Plusieurs membres de la communauté arménienne ont perdu leurs droits de résidence dans la ville sainte ces derniers mois. Dans le quartier arménien de Jérusalem, une librairie conserve avec soin des Mémoires, derniers vestiges de l'histoire
de centaines de communautés arméniennes rayées de la carte de Turquie il y a cent ans. Un siècle plus tard, les Arméniens de Jérusalem, pour la plupart des descendants de réfugiés, redoutent la disparition de leur propre communauté de la ville sainte après plus de 1 500 années de présence.
« C'est une communauté à l'agonie. Seule l'Église nous rassemble », se lamente Arshalouys Zakarian, 97 ans, assise avec des proches dans son jardin près de la cathédrale Saint-James. L'Église domine le quartier que les Arméniens, qui y sont actuellement 2 000, occupent depuis l'Empire ottoman aux côtés des quartiers juifs, musulmans et chrétiens de la vieille ville.
En sirotant leur thé, les invités de Zakarian évoquent l'histoire de ces enfants partis à l'étranger en quête de travail, souvent en vain, et confrontés à la bureaucratie israélienne pour obtenir le droit de revenir vivre à Jérusalem. « Pour la première fois de notre histoire, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir rester, après 1 500 ans (passés ici) », confie un homme qui travaille pour l'Église arménienne après une carrière passée aux États-Unis. Sa fille, née à Jérusalem, peut lui rendre visite mais ne peut pas y vivre.
À l'instar de la majorité des musulmans palestiniens, les responsables du patriarcat arménien estiment que le contrôle qu'Israël exerce sur les permis de résidence et de construction à Jérusalem vise à inciter les non-juifs à quitter la ville sainte. « Le retrait des cartes d'identité est devenu un sujet très préoccupant », explique l'historien George Hintlian, ancien secrétaire du patriarcat. « Cinq Arméniens nés ici ont perdu leurs droits de résidence le mois dernier. » Les non-juifs, qui représentant un tiers des 750 000 habitants de Jérusalem, ont un droit de résidence mais n'ont pas accès à la citoyenneté israélienne depuis l'occupation par l'État hébreu de Jérusalem-Est en 1967. Pour sa part, Israël estime n'être en rien obligé de garantir l'entrée d'immigrés à Jérusalem et rejette les accusations de discrimination. Mais aux yeux des Arméniens, il s'agit d'une politique deux poids deux mesures qui menace leur communauté.
Dans la librarie, Hintlian feuillette des exemplaires de Mémoires, énumérant les noms, les familles, des anecdotes ou encore les plans des communautés arméniennes qui ont quitté la Turquie pour l'État hébreu après la Première Guerre mondiale. « Ce qui reste de l'Arménie historique tient dans ces livres. Pour un peuple qui a subi un génocide, c'est très important », explique-t-il. Mais si la majorité des juifs fait preuve d'empathie envers un peuple dont l'histoire fait écho à la leur, les Arméniens restent prudents quant à la politique mise en place par le gouvernement israélien. « Pour les Israéliens, nous sommes des survivants d'un génocide », poursuit Hintlian. « Mais pour l'administration israélienne, nous sommes avant tout des Palestiniens. »
Beaucoup redoutent les projets territoriaux dans leur quartier qui couvre un sixième de la vieille ville mais n'accueille qu'une petite partie de ses 40 000 habitants. Au milieu des années 1940, la communauté comptait 16 000 membres à Jérusalem et dans d'autres villes de la Palestine britannique. Il s'agissait pour la plupart de réfugiés en provenance de Turquie qui ont contribué à la renaissance de l'arménien. L'Église arménienne, qui possède les plus grandes églises grecque-orthodoxe et catholique romaine de la ville sainte, devrait voir son avenir assuré par son histoire, ses revenus et les dons de la diaspora. « C'est une lutte démographique », dit Hintlian « Des diplomates disent "regardez les Arméniens ont beaucoup d'espace mais ils sont peu nombreux" ».
Au nombre des craintes persistantes des Arméniens figure celle d'un accord dans le cadre des pourparlers de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne, attribuant les quartiers musulmans et chrétiens à l'État palestinien et le quartier arménien à l'État hébreu. « Les relations avec les musulmans se sont refroidies. Il y a eu des affrontements entre le clergé arménien et grec à propos de la tombe de Jésus. Et quelques juifs utraorthodoxes sont ouvertement hostiles », raconte Nourhan Manoogian, venu de Syrie juste avant la guerre de 1967.
S'appuyant sur une histoire arménienne qui a vu nombre de ses membres survivre à des sièges sanglants, Manoogian se dit toutefois confiant en l'avenir : « Dans quarante ans, nous serons encore là », assure-t-il. Autour de la table, dans le jardin de Zakarian, une touche de défi détonne au milieu des sentiments nostalgiques. « Les Arméniens ont eu une vie difficile », conclut l'institutrice à la retraite. « Mais ce sont des battants.»
L'orient le jour
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