La décision a été prise à l’unanimité des vingt membres du saint-synode de retirer les deux représentants de l’Église qui siègent dans cette commission, a rapporté l’agence officielle MENA. L’Église « estime inopportun de continuer à être représentée après les réserves de diverses forces politiques sur la façon dont la commission constituante a été composée », selon la MENA. La commission, formée de 100 personnes désignées par le Parlement, est principalement composée de membres des Frères musulmans et de salafistes, très largement majoritaires parmi les députés et sénateurs.
La décision de l’Église de boycotter la commission constituante survient après la décision, annoncée samedi, des Frères musulmans de présenter un candidat à l’élection présidentielle du 23 mai prochain, rompant leur promesse de soutenir un candidat d’union non issu de la confrérie. Cette décision de présenter la candidature de Khaïrat al-Chater a totalement changé la donne de l’élection présidentielle.
Homme d’affaires avisé et stratège politique habile, y compris du fond des geôles de Hosni Moubarak où il a plusieurs fois séjourné, M. Chater n’est pas encore entré en campagne qu’il figure déjà au rang des favoris du scrutin. À 61 ans, ce père de dix enfants incarne l’impatience nouvelle d’une confrérie islamiste qui a attendu son heure pendant 84 ans et n’entend désormais pas laisser passer sa chance, au point d’être revenue sur sa promesse de ne pas briguer la présidence.
Les Frères musulmans ont justifié ce revirement par le fait que le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui a promis de rendre le pouvoir aux civils à l’issue de la présidentielle, a cherché, selon eux, à limiter les pouvoirs du Parlement depuis la nette victoire de leur parti Liberté et Justice (PLJ) aux législatives. Le score du PLJ, qui a remporté plus de 40 % des sièges à l’Assemblée du peuple, loin devant tous les autres partis, semble placer M. Chater dans un fauteuil en vue de la présidentielle.
Pour autant, sa candidature va renforcer les divisions entre islamistes, qui présenteront au moins trois candidats – les deux autres étant le dissident réformateur des Frères musulmans Abdel Moneim Aboul Fotouh, exclu de la confrérie l’an dernier, et le salafiste Hazem Salah Abou Ismaïl, proche, bien qu’indépendant, du parti al-Nour, deuxième des législatives avec environ 25 % des voix. Ces deux candidats bénéficient d’une bonne assise populaire et certains, y compris au sein du PLJ, s’inquiètent de l’impact de cette cacophonie sur l’image de la confrérie – 52 des 108 membres de son conseil consultatif se seraient d’ailleurs prononcés contre la candidature de Khaïrat al-Chater, selon un responsable islamiste.
Signe, peut-être, qu’il est conscient de la délicatesse de la situation, Khaïrat al-Chater a fait profil bas depuis l’officialisation de sa candidature, se contentant d’annoncer dans un communiqué sa démission de son poste de vice-président du PLJ. Selon son avocat, son casier judiciaire a été effacé pour lui permettre de se présenter.
Homme de l’ombre jusqu’à la révolution, il est pourtant un personnage-clé depuis la chute de M. Moubarak, les émissaires, notamment occidentaux, se pressant pour rencontrer celui qui passe pour être le grand argentier de la confrérie, comme lors de la négociation d’un prêt de 3,2 milliards de dollars du Fonds monétaire international.
Le changement de stratégie de la confrérie traduit aussi la dégradation de ses relations avec l’armée, avec laquelle le reste de l’opposition l’a pourtant accusée de connivence, voire d’alliance, au moment des législatives. Le refus du CSFA de limoger le gouvernement transitoire, dirigé par un ancien Premier ministre de Hosni Moubarak, après les élections législatives est d’ailleurs un des arguments avancés par le secrétaire général de la confrérie pour justifier la candidature de M. Chater.
L'orient le jour