Alité depuis sept ans, Youssouf est paralysé depuis qu'il a reçu une balle dans le dos lors de combats entre l'armée américaine et les fedayins. Paralysé, le visage émacié, les bras décharnés, à 27 ans sa vie a basculé. Il ne reçoit aucune aide de l'État ni pour se soigner, ni pour se nourrir. Il n'est pas le seul dans ce cas. Depuis l'invasion américaine en 2003, les conditions humanitaires se sont considérablement détériorées en Irak. Quatre millions de personnes, soit 15 % de la population, seraient en situation d'insécurité alimentaire d'après l' ONU.
Rédacteur en chef d'une revue chrétienne locale, Adel, la quarantaine, a décidé d'agir. Accompagné d'un groupe de bénévoles, il rend visite à des malades abandonnés ou à des familles détruites par la guerre. Au sein d'une association caritative chrétienne, il apporte une aide matérielle, mais surtout une présence et un peu de chaleur humaine.
« Ce sont mes vrais frères que j'ai découverts sur ma route, c'est Dieu qui me les a envoyés », témoigne Youssouf en regardant Adel. Il pourrait se faire soigner dans les hôpitaux mais il faudrait continuer à verser des bakchichs. « J'étais obligé de fournir des cartes de téléphone portable pour que l'on s'occupe de moi, et quand je n'avais plus d'argent on me laissait dans mon coin, soupire le malade. Je ne reçois rien de l'État, pourtant je lui ai donné beaucoup, j'ai servi pendant sept ans dans la garde républicaine, pendant la première guerre du Golfe.»
«C'est assez dangereux ici»
Dans son malheur, Youssouf, chrétien non pratiquant, a retrouvé la foi : « Dieu est toujours avec moi. Je ressens une certaine paix. Heureusement, sinon je me serais déjà suicidé. Avant, je croyais au hasard, maintenant je suis sûr que Dieu est à mes côtés. »
Adel et ses amis doivent partir car il n'est pas prudent de circuler trop tard dans les rues de la capitale. Malgré les nombreux contrôles de police, Bagdad reste peu sûr. « Nous faisons très attention, nous sommes les plus discrets possible. Nous n'empruntons jamais les mêmes chemins pour ne pas éveiller les soupçons. » Deux filles de l'association l'accompagnent afin de passer plus facilement les check-points.
Un prêtre fait également partie de la tournée, mais aucun signe distinctif ne permet de reconnaître sa fonction. Ils se rendent maintenant dans un quartier situé au coeur de Bagdad. « C'est assez dangereux ici. Il y a beaucoup de dealers et aussi des trafiquants d'organes. » Adel apporte couvertures et nourriture à une veuve dont le mari a été assassiné il y a quatre ans par un gang qui voulait le kidnapper.
Les chrétiens se sentent souvent marginalisés
Dans son salon Nada montre du doigt la photo de son mari, accrochée au mur. Brun, portant la moustache, l'homme a un physique imposant. « Sa famille est riche, elle pourrait m'aider mais elle m'a laissé tomber. » Nada paraît gênée, puis elle reprend : « Ils n'ont jamais accepté notre mariage, je suis issue d'un milieu trop modeste pour eux. » Malgré son dénuement, elle offre du thé, du café et quelques bonbons à ses visiteurs.
À la nuit tombante, le petit groupe se retire pour une dernière visite à Mansour et sa femme. Ils vivent dans une grande maison éclairée à la bougie et n'ont plus de revenus depuis que Mansour est paralysé des jambes. « Je suis allé voir l'administration pour obtenir une indemnisation mais tout le monde me passait devant et mon dossier était mis de côté. Tout ça parce que je suis chrétien. »
Depuis la chute du régime, la confessionnalisation s'est accrue en Irak et chaque communauté tente de tirer profit de l'État. Les chiites ont le pouvoir et les chrétiens, qui ne représentent que 2 % de la population, se sentent souvent marginalisés. Mansour déplore surtout la dégradation des rapports humains : « La dureté du coeur est née avec la guerre. Avant, jamais on ne m'aurait traité ainsi. »
Vincent VULIN, à Bagdad
La Croix