Une réflexion bien singulière et inédite sur le carême nous est proposée par le dominicain Wojciech Giertych, théologien de la Maison pontificale, dans un entretien dont nous publions la première partie avec l’aimable autorisation de L’Osservatore Romano.
Benoît XVI dans son message pour le carême avait invité à réfléchir surtout au rapport entre la foi et la charité. Quel doit être le juste rapport entre ces vertus théologales ?
en langue latine, signifie « être en mouvement, en marche ». Une foi pleine incite donc à la marche, au pèlerinage, c’est-à-dire que l’on va vers Dieu. Concrètement, cela signifie que le motif, la raison formelle de toutes les choses que l’ont fait est par amour de Dieu.
La charité donne à l’homme la possibilité d’aimer Dieu comme un ami. C’est donc une ouverture sur les autres : l’amour et l’amitié avec Dieu, par voie de conséquence, font que l’on considère aussi notre prochain comme un ami de Dieu, comme un membre de la même communauté nourri par l’amour de Dieu. En ce sens, la foi animée par la charité tâche de vivre toutes les réalités quotidiennes, les rapports sociaux et familiaux, comme un moyen pour exprimer cette amitié avec Dieu. Une amitié par ailleurs exigeante, puisqu’elle doit se manifester dans la vérité. Rappelons à ce propos que la foi passe avant la charité dans la mesure où ne pouvons être des amis de Dieu sans croire à son existence.
Comme éviter les risques liés au fidéisme et à l’activisme moraliste ?
Le fidéisme, c’est la conviction que la foi est un rejet de la raison. Alors qu’au contraire la foi permet le questionnement, la recherche, une pensée claire. Avoir la foi ne signifie pas fermer les yeux et croire en niant la raison. La foi est beaucoup plus exigeante que la seule expérience affective ; elle pénètre la raison sans l’éliminer, donc provoque les décisions, les actes. L’activisme moral est un autre genre de risque, quand on s’adonne par exemple à une activité sans rapport avec Dieu, sans avoir foi en Lui. Il y a des personnes qui pensent devoir toujours agir. Cette attitude est parfois due à une idéologie, à une réaction politique, ou à des formes d’injustice. La perspective n’est donc, dans ce cas-là, que morale, c’est-à-dire une réaction au mal que l’on voit autour de soi et auquel on veut répondre. La réaction chrétienne, elle, n’est pas uniquement morale, elle est avant tout théologale, c’est-à-dire adaptée à la fécondité de Dieu. Celui qui œuvre par amour de Dieu, est poussé par la foi et par la charité, et il devient par conséquent transparent à la fécondité de Dieu. Il est important de comprendre que Dieu sauve le monde à travers les hommes ouverts à sa force.
Proposer le jeûne, la prière et l’aumône comme pratiques pour vivre chrétiennement le carême a-t-il encore du sens aujourd’hui ?
La liturgie propose ces trois moyens pour raviver la relation qui nous unit à Dieu. Mais plus important encore, elle rappelle qu’il existe la possibilité de rencontrer Dieu par les vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Oui, c’est vrai, la tradition parle de prière, de jeûne et d’aumône, mais on peut trouver aussi d’autres moyens, plus actuels. On peut écrire une phrase extraite de la Bible et la poser sur notre bureau pour nous souvenir de la présence de Dieu. On peut prier attentivement, à heures fixes. Le jeûne ne se réfère pas seulement à la nourriture, mais aussi à la télévision, à Internet, à la recherche de plaisirs.
Quel est l’antidote contre le danger de l’« anesthésie spirituelle » qui menace la société moderne et nous rend aveugles devant les souffrances des autres ?
Je dirais que cette menace n’est pas la plus dangereuse car l’indifférence envers Dieu est encore pire, elle pousse à ne pas chercher Dieu et ouvre la voie au grand problème du manque de foi. La foi est un don de Dieu qui garantit le contact avec Lui. Nous devons accomplir des gestes de foi durant la journée, en priant, dans la liturgie, pour sortir l’esprit de ses limites rationnelles et pouvoir pénétrer le mystère de Dieu.
À chaque fois que l’on se connecte à Dieu par un acte de foi, on s’ouvre à sa grâce. Il me semble que beaucoup ont oublié cela, du coup l’anesthésie spirituelle s’installe. On croit que Dieu existe dans le ciel, mais on ne croit pas à la possibilité d’une relation vivante avec Lui. Si l’homme ignore Dieu, il ignore aussi les autres.
(A suivre, demain, 13 mars 2013)
Traduction d’Océane Le Gall
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