« Non seulement Marie n’a jamais péché mais elle a été protégée de toutes les blessures que les péchés des hommes, depuis les origines, ont infligées à notre race », explique Mgr Perrier qui ajoute : « Comme l’Immaculée Conception est le privilège de Marie et d’elle seule, nous risquons de penser qu’elle ne nous concerne guère. Ce serait une triple erreur ».
« Je suis l’Immaculée Conception »
Le 25 mars 1858, la Dame de Massabielle donne, enfin, son nom : « Je suis l’Immaculée Conception. » C’était la 16ème fois qu’elle apparaissait à Bernadette mais, jusqu’ici, elle avait toujours refusé de décliner son identité. Quand Bernadette le lui avait demandé, le 18 février, elle avait répondu : « Ce n’est pas nécessaire. » Depuis, cinq semaines s’étaient écoulées. Deux semaines pendant lesquelles Bernadette entendit l’appel répété à la pénitence. Puis trois semaines de silence. Si la préparation a été si longue, c’est parce que le message était d’une importance exceptionnelle.
Quatre ans plus tôt, le pape Pie IX, après avoir consulté tous les évêques du monde, avait proclamé que la Vierge Marie « au premier instant de sa conception… avait été préservée intacte de toute souillure du péché originel ». Non seulement, elle n’a jamais péché mais elle a été protégée de toutes les blessures que les péchés des hommes, depuis les origines, ont infligées à notre race. Car le péché laisse des traces, comme la maladie même si le patient a guéri. Marie, au contraire, comme dit la préface de la Messe du 8 décembre, « a été préservée de toutes les séquelles du premier péché », un premier qui a été suivi de tant d’autres !
A Bernadette, la Sainte Vierge en dit même plus que le dogme de 1854. L’immaculée Conception est tellement exceptionnelle que Marie prend la grâce qui lui a été donnée pour son nom propre : « Je suis l’Immaculée Conception. »
Au jour de l’Annonciation, quand l’ange du Seigneur s’adresse à elle, il ne l’appelle pas de son nom habituel, « Marie ». C’était pourtant un beau nom, qui rappelait Myriam, la sœur de Moïse. Dans l’évangile selon saint Luc, l’ange emploie un mot qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament et que nous traduisons habituellement en « pleine de grâce ». Il serait plus juste de dire : perle de grâce, chef d’œuvre de la grâce. C’est son nom propre.
Marie n’est pas la grâce. Ce n’est pas elle qui donne la grâce : « La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ », dit saint Jean dans le Prologue de l’évangile. Mais elle est totalement habitée par la grâce, comme le Temple l’était par la gloire de Dieu. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la Grâce vienne en elle pour y prendre chair.
Par le privilège de l’Immaculée Conception, Dieu « préparait à son Fils une demeure digne de lui » (oraison et préface du 8 décembre). Il y a donc un lien entre l’Immaculée Conception de Marie et sa mission, être la Mère de Dieu. Non pas au sens habituel, qui confond l’Immaculée Conception de Marie et la conception virginale de l’enfant Jésus. Si Marie a bénéficié d’un privilège unique, ce n’est pas pour son profit personnel, mais pour qu’elle puisse accepter librement la mission, humainement incroyable, qui lui est demandée. L’Ancien Testament connaît des conceptions miraculeuses chez des femmes âgées ou stériles. Mais de conception virginale, point ! Pour accepter cette mission, il faut, à Marie, une foi absolument pure, plus pure que celle d’Abraham, de Zacharie ou de saint Pierre.
Dieu ne peut accepter que le « oui » d’un être libre. Mais la liberté, comme disait Jean Paul II à Lourdes en 2004, a besoin d’être libérée de toute entrave, de toute fragilité. Pour l’acte de foi de Marie au jour de l’Annonciation, acte unique et décisif dans l’histoire de l’Humanité, Dieu a doté Marie d’une liberté intégrale. Le privilège de l’Immaculée Conception a rendu Marie suffisamment libre pour accepter l’invraisemblable.
Comme l’Immaculée Conception est le privilège de Marie et d’elle seule, nous risquons de penser qu’elle ne nous concerne guère. Ce serait une triple erreur.
Tout d’abord, ce que la Vierge est de naissance, c’est ce que nous sommes appelés à être, c’est la réalité de l’Eglise, la « sainte » Epouse du Christ comme nous le disons dans le Credo. Dans l’épître aux Ephésiens, saint Paul emploie le même mot – « immaculé » – pour parler de l’Eglise ou des chrétiens. Comme dit la préface du 8 décembre, l’Immaculée Conception est le « modèle » de la sainteté.
Mais il ne faudrait pas se tromper sur le privilège accordé à la Vierge : il ne lui évite pas les épreuves de la foi. A part la Visitation, presque toutes les apparitions de la Vierge dans les évangiles sont des moments d’épreuve. Et il arrive qu’elle « ne comprenne » pas. Sa foi, que nul doute n’a jamais effleurée, doit grandir. Comme nous, Marie a vécu un « pèlerinage de la foi » comme disait le pape Jean Paul II. Qu’elle nous assiste dans les moments d’obscurité !
Enfin, si nous avons compris pourquoi Marie a joui de ce « privilège », nous ne devons pas être jaloux. Car son privilège lui est accordé en vue de sa mission. Pour une mission unique, elle a reçu une grâce unique. Cela signifie que nous aussi, pour les missions qui nous sont confiées, nous recevons la grâce nécessaire.
Il existait autrefois une confrérie de la « félicitation » de la Vierge Marie. Elle-même disait que toutes les générations la proclameraient « bienheureuse ». Le 8 décembre, nous prenons notre place dans cette suite de générations. Honorons-la !
+ Jacques Perrier
ancien évêque de Tarbes et Lourdes
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