{mosimage} Le sujet de la sainteté est toujours émouvant. Derrière ce mot si beau, il y a le mystère du don de soi d’une personne à quelque chose d’invisible et pourtant plus réel que la réalité sensible. Le don de soi, c’est-à-dire le don d’une vie, d’une volonté.
L’Église est en voie de proclamer « bienheureux », en attendant de le proclamer « saint », le père capucin Jacques Haddad (1875-1954), ce géant fondateur de la première partie du XXe siècle, auquel nous devons tant d’institutions comme « Deir el-Salib », le Couvent de la Croix, l’Hospice du Christ-Roi, le couvent Notre-Dame du Puits, l’hôpital Saint-Joseph, à Dora, l’école Val Saint-Jacques, pour ne citer que les plus connus, ainsi que la fondation de la Congrégation des Sœurs franciscaines de la Croix du Liban (1930), dont les religieuses semblent être dotées du don d’ubiquité, puisqu’on les voit partout.
La béatification de père Jacques fait suite à la reconnaissance de l’authenticité d’une guérison miraculeuse attribuée à son intercession. La reconnaissance du miracle est toute récente. Elle date du 22 mars dernier. Il s’agit de la guérison « stupéfiante et durable », après une neuvaine de prière au père Jacques faite par son neveu installé au Canada, de Mariam Kattan, une femme de Maghdouché, atteinte d’un cancer parvenu en phase terminale. Une dizaine de rapports médicaux attestent de son surprenant rétablissement.
La reconnaissance du miracle ouvre la voie à la béatification de père Jacques, dernière étape avant la canonisation, pour laquelle l’Église exige l’authentification d’un second miracle.
Le premier degré de cette échelle de gloire spirituelle commence par la proclamation de « l’héroïcité des vertus » du fidèle, ou de la fidèle, qui lui vaut le titre de « vénérable ».
Selon le père Salim Rizkallah, postulateur par intérim de la demande de béatification, celle-ci doit être décidée par un consistoire de 18 cardinaux relevant de la Congrégation des saints, au Vatican. Le consistoire se réunit trois fois par an, précise-t-il, à la fête des saints Pierre et Paul (29 juin), au début de la période de l’Avent et au début du Carême. Normalement, il approuve les dossiers qui lui paraissent répondre aux critères posés, et fixe une date pour la cérémonie religieuse de béatification.
Le père Salim estime que le père Jacques sera proclamé bienheureux au plus tard au printemps prochain. La cérémonie de béatification aura lieu au Liban même, à la différence de la canonisation, qui se fait toujours à Rome. Il souhaite que cette cérémonie se tienne durant l’année scolaire, pour permettre aux innombrables écoles tenues par les religieuses de la Croix, la congrégation fondée par le père Jacques, d’y participer.
On doit à « Abouna Yaacoub », né à Ghazir (Kesrouan), la fondation d’une trentaine d’écoles de villages gratuites, en plus des projets gigantesques qui font partie de notre paysage familier.
Outre les écoles, les religieuses de la Croix s’occupent aussi d’églises, comme la cathédrale Saint-Louis, et de lieux de mission qui n’appartiennent pas à la congrégation. Il faut citer, sur ce plan, les nonciatures apostoliques au Liban et en Syrie, l’hôpital Notre-Dame à Zghorta, la Maison du prêtre âgé de Maadi, en Égypte, l’orphelinat des Franciscains, à Jérusalem, et le couvent Sainte-Lucie, à Alexandrie.
Cette extraordinaire présence, on la doit à n’en pas douter à l’élan de sainteté imprimé à la congrégation par le père Jacques, que ses contemporains ont décrit comme un homme infatigable, mélange subtil de bonté et d’énergie.
Un saint des temps modernes
Le père Jacques est un saint des temps modernes. On l’a comparé à saint Vincent de Paul. On peut le comparer à Mère Teresa de Calcutta. Comme eux, comme tout être humain, il a dû avoir, souligne le nonce apostolique, Mgr Luigi Gatti, dans un album qui lui a été consacré, « ses moments mystiques et ses difficultés ». Il les a dépassés tous deux par la foi qui, tel un feu, l’a consumé, ne laissant de lui que l’or de la charité.
Au mystère de la sainteté succède généralement l’utilitarisme spirituel. En apprenant qu’un homme va bientôt être déclaré saint, nous avons tous tendance à vouloir « essayer » son intercession. Faisons-le donc, mais comprenons que le père Jacques a vécu à l’ombre de la croix, par laquelle il a commencé toutes ses fondations. On ne s’en approchera qu’en comprenant la fécondité de cette croix, qui n’est pas triste, mais triomphante.
« Ce n’est pas seulement sa vie d’homme que le Seigneur nous a donnée, c’est aussi sa mort. Et cette mort était pour lui d’une importance telle qu’il en parlait toujours comme de l’heure décisive de son existence », écrit Adrienne von Speyr, dans son ouvrage Parole de la Croix et Sacrement.
Ce qui est vrai pour Jésus est vrai aussi pour beaucoup de saints. L’heure de la mort est pour eux décisive. Quasi aveugle et leucémique, on raconte que, pressentant la fin, le père Jacques a demandé à son supérieur, qui devait s’absenter, « la permission de mourir ». « Ne te donne plus de peine, ma fille. Tu m’as bien soigné. Laisse-moi aller à la rencontre du Seigneur », dit-il à mère Marie de la Croix, la supérieure de la congrégation, qui ne sait plus quoi faire pour alléger ses souffrances.
Le père Jacques cachait soigneusement les grâces particulières dont il était favorisé, mais il semble qu’il ait eu connaissance du jour et de l’heure de sa mort, « la neuvième » selon l’Evangile, c’est-à-dire 3 heures de l’après-midi, heure à laquelle le Christ en croix « a remis son esprit entre les mains du Père ». « Encore une heure et demie », a-t-il soufflé à la religieuse qui le veillait, après avoir demandé l’heure qu’il était.
Le père Jacques pressentait aussi que le Liban connaîtrait après sa mort une période de « purification ». «Mon pauvre Liban », répétait-il, sans s’en expliquer. Les années lui ont donné raison.
On l’imagine facilement recommandant aux religieuses de sa congrégation : « Mes filles, ne laissez personne vous détourner de l’essentiel : la personne de Jésus-Christ présente dans l’Église. »
Fadi Noun- L'orient le jour- 3 Juillet 2007