Rite Romain: XXVème dimanche du Temps ordinaire – Année C – 22 septembre 2013
Am 8,4-7; 1Tm 2,1-8; Lc 16,1-13: Comment être Administrateurs intègres et sages
(Rite Ambrosien, à Milan: IVème Dimanche après le martyre de Saint-Jean le Précurseur
Pr 9,1-6; Ps 33; 1Cor 10,14-21; Je 6,51-59: Pain vivant descendu du ciel)
1) Une déclaration déconcertante, mais pas trop
Le récit de l’évangile d’aujourd’hui relate une déclaration de Jésus qui est, du moins, déconcertante. En conclusion à la Parabole du fermier déloyal licencié par son propriétaire, Jésus affirme : « Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile[1], car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » (Lc 16,8).
Avec une détermination qui est sage même si elle est malhonnête, ce fermier qui devait quitter son emploi à cause de sa malhonnêteté, appela tous les débiteurs de la ferme et leur annula une partie de leur dette. De cette façon, lorsqu’il fut licencié, cet escroc s’était fait tant d’amis partout que personne d’entre eux ne le laissa mourir de faim.
Il s’était fait du bien à lui-même et autour de lui en trompant et en volant son patron. C’était un voleur, mais un voleur judicieux. Si les hommes pouvaient utiliser cette même ruse pour le salut de l’âme, comme cet homme l’utilisa pour la subsistance de son corps, beaucoup de personnes seraient converties à la foi en le Royaume.
Donc, ce récit du Christ ne se termine pas avec une approbation et un encouragement à la corruption. Le Messie fait l’éloge de la sagesse, de la décision et de la prévoyance de l’administrateur : il n’approuve pas sa malhonnêteté.
Face à cette situation de crise où tout l’avenir de cet homme était en jeu, ce dernier a démontré trois choses : sa décision rapide, sa grande ruse, et son aptitude pointue à programmer un futur qui était devenu incertain. Il a agi rapidement et intelligemment (même si ce n’était pas honnête) parce qu'il voulait protéger son avenir.
Jésus dit à ses disciples qu’ils devaient agir de la même façon pour protéger non pas leur avenir sur la terre qui ne dure que quelques années mais leur avenir dans l’éternité. Il voulait dire : « Faites comme cet administrateur; faites-vous des amis, ceux qui pourront vous accueillir lorsque vous serez dans le besoin ». Nous le savons, ces amis puissants sont les pauvres : en effet, le Christ considère que ce que l’on donne aux pauvres Lui est donné à Lui en personne. Saint Augustin disait : « Les pauvres sont, si nous le voulons, nos coursiers et nos porteurs : ils nous permettent de transférer dès maintenant nos biens dans la maison que l’on est en train de construire pour nous dans l’au-delà ». L’Eglise rappelle cet enseignement à tous les époux pendant le rite du mariage lorsqu’elle fait dire au prêtre au moment de la bénédiction: « Sachez reconnaître Dieu dans les pauvres et dans les souffrants parce qu’ils vous accueilleront un jour dans la maison du Père ». Les amis dont il faut tenir compte sont les pauvres parce que ce seront eux qui suggéreront les invités qu’il faut admettre au banquet céleste lors du jugement final
2) Nous aussi, nous sommes appelés à être des Administrateurs
A travers la parabole de l’administrateur « sage », le Seigneur nous invite non seulement à être prévoyants, mais il nous rappelle aussi que nous sommes aussi des « administrateurs » auxquels le Seigneur a confié les biens de ce grand champ qui est la Terre.
Nous ne sommes pas propriétaires, nous sommes qu’administrateurs de biens confiés par Dieu. La « malhonnêteté » est de s’en approprier indûment en les utilisant sans tenir compte de la volonté du « Patron » qui les a mis entre nos mains afin que nous les partagions.
La cupidité excessive, l’utilisation égoïste finissent par polluer le don, en le rendant à son tour « malhonnête ». C’est vraiment comme ça. Ce que nous sommes et ce que nous avons vient de Dieu et ne peut être qu’un bien. C’est notre mode de relation à ce bien qui le pervertit et le rend sale jusqu’à franchir les frontières du « péché ». Et tôt ou tard nous serons appelés à rendre compte de cette falsification : en tant que « administrateurs infidèles » devant le jugement sans appel du « Patron ».
Mais voici une voie d’issue insoupçonnée : nous pouvons racheter ces mêmes richesses que nous avons rendues « malhonnêtes » (Argent trompeur) et nous pouvons les rendre à leur bonté primitive et naturelle si nous les partageons dans le signe de la gratuité de l’amour. Jésus suggère la « sainte habileté» à ceux qui se reconnaissent humblement « administrateurs malhonnêtes » ; ils s’ouvrent ainsi à l’action de guérison et rédemptrice de Dieu et ils deviennent Ses mains de Providence et de Bonté.
Demandons à Dieu, le Père bon, de nous donner la grâce de pouvoir utiliser d’une façon sainte les biens de la terre, pour que nous puissions expérimenter la joie du partage. Qu’Il nous libère de chaque forme de possession égoïste et qu’Il nous rende instruments de son amour. Il s’agit d’être sages parce qu’en connaissant clairement le sens chrétien de la vie, nous réussirons à la lumière de son Esprit à « évaluer avec sagesse les biens de la terre dans la continuelle recherche des biens du ciel » (Prière après la communion de la messe du mardi de la première semaine de l’Avent).
3) Administrateurs de biens du Ciel
N’oublions pas que le trésor que Jésus a confié à ses disciples et à ses amis est le Règne de Dieu. Ce règne de Dieu est Jésus Lui-même vivant et présent parmi nous. Comme Il se donne Lui-même à nous, Il nous a donné les richesses suivantes à faire fructifier en plus des qualités naturelles:
– Sa Parole, déposée dans le Saint Evangile;
– le Baptême qui nous renouvelle dans le Saint Esprit;
– la prière – le « Notre Père »- que nous élevons vers Dieu comme fils unis dans le Fils;
– Son pardon qu’il a demandé d’apporter à tous ;
– le Sacrement de son Corps immolé et de son Sang versé.
Les vierges consacrées nous donnent un exemple de comment être prudents, en misant tout, absolument tout, sur l’intelligence, et en mesurant sur elles, nos paroles et nos choix.
L’intelligence exigée n’est pas celle qui mesure la connaissance des choses, du savoir et du « savoir-faire ». Elle consiste, plutôt, à prendre ses propres décisions à la lumière dans un but fixé; C’est la « proue de la connaissance » (Paul Claudel[2]) du bateau de notre vie qui se dirige vers l’éternité.
L'intelligence nous apprend à ne pas nous arrêter dans l’immédiat mais à regarder au but final. En effet « c’est ton Esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capable pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union su Christ et de l’Eglise. Heureux ceux qui consacrent leur vie au Christ et le reconnaissent comme source et raison d’être de la virginité. Ils ont choisi d’aimer celui qui est l’époux de l’Eglise et le Fils de la Vierge Mère » (Rituel de la consécration des Vierges, les deux dernières phrases du n.24).
Lecture patristique
Commentaire de la parabole de l'économe infidèle
par S. Théophile d'Antioche, rapporté par S. Jérôme
Théophile, qui a été le septième évêque de l'Eglise d'Antioche après saint Pierre, et qui nous a laissé un illustre monument de son érudition, faisant un corps d'histoire des paroles des quatre évangélistes, explique ainsi cette parabole dans ses Commentaires :
« Cet homme riche qui avait un fermier ou un économe est Dieu, dont les richesses sont infinies. Son économe est saint Paul, qui, instruit aux pieds de Gamaliel dans la science des saintes Ecritures, était chargé du soin d'enseigner aux autres la loi du Seigneur. Mais ayant commencé à persécuter ceux qui croyaient en Jésus-Christ, à les charger de chaînes, à les faire mourir, et à dissiper par là les biens de son maître, le Seigneur, blâmant une conduite si violente et si emportée, lui a dit: «Saül ; Saül, pourquoi me persécutez-vous? » Il vous est dur de regimber contre l'aiguillon.
Que ferai-je ? dit alors en lui-même cet économe infidèle. De maître et d'intendant que j'étais; je me vois réduit au rang des disciples et des ouvriers. « Je ne saurais travailler à la terre, car je vois qu'on a aboli tous les commandements de la loi, qui ne nous proposait pour récompense que des biens terrestres et passagers, et que cette loi aussi bien que les prophètes n'ont duré que jusqu'à Jean. « J'ai honte de mendier, » et de me voir réduit à apprendre des gentils, et d'Ananie qui n'est qu'un disciple, la science du salut et de la foi, moi qui ai été le maître et le docteur des Juifs. Je vais donc prendre le parti qui me paraît le plus avantageux pour moi, afin que, lorsqu'on m'aura ôté l'administration que l'on m'avait confiée, les chrétiens me reçoivent chez eux.
Il commença donc à instruire ceux qui avaient renoncé au judaïsme pour embrasser la foi de Jésus-Christ; et de peur qu'ils ne crussent qu'ils devaient être justifiés par la loi de Moïse, il leur fit voir que cette loi était abolie, que le temps des prophètes était passé, et qu'ils devaient regarder comme des ordures ce qu'autrefois ils avaient considéré comme un gain et un avantage.
Il fit ensuite venir deux des débiteurs de son maître. Le premier devait «cent barils d'huile: » c'était le peuple gentil qui avait besoin que Dieu répandit sur lui l'abondance de ses miséricordes. De cent barils dont il était redevable, et qui est un nombre plein et parfait, l'économe lui fit faire une obligation de cinquante; nombre qui marque la pénitence, et qui revient aux années de jubilé, et à cette autre parabole dont il est parlé dans l'Évangile, ou un créancier remet à l'un de ses débiteurs cinq cents deniers et à l'autre cinquante. Le second devait « cent mesures de blé :» c'était le peuple juif, qui s'était nourri des commandements de Dieu comme d'un froment très pur. L'économe lui fit faire une obligation de quatre-vingts mesures : c'est-à-dire qu'il l'engagea à croire en la résurrection du Sauveur, et à passer de l'observation du sabbat à la célébration du dimanche, qui est le premier jour de la semaine.
Ce fut par une conduite si sage que cet économe mérita l'approbation et les éloges de son maître, qui le loua d'avoir renoncé pour les intérêts de son salut à la sévérité d'une loi dure et austère, pour prendre les sentiments de douceur et de miséricorde qu'inspire l'Evangile.
Mais pourquoi, me direz-vous, appelle-t-on cet économe « infidèle, » puisqu'il n'agissait que par l'esprit de la loi dont Dieu même est l'auteur? C'est que, quoiqu'il servît Dieu avec un véritable zèle et des intentions épurées, néanmoins son culte était défectueux et partagé, parce qu'en croyant au Père il ne laissait pas de persécuter le Fils, et que reconnaissant un Dieu tout-puissant, il ne voulait pas confesser la divinité du Saint-Esprit.
Saint Paul a donc fait paraître plus de prudence en transgressant la loi que les enfants de lumière, qui, en vivant dans la pratique exacte de la loi de Moïse , ont méconnu Jésus-Christ qui est la véritable lumière de Dieu le Père. »
[1] La traduction liturgique italienne utilise “avec ruse” ou “rusés”, et dans le texte grec chez Luc, il est écrit : “φρoνίμως” qui signifie littéralement “sagement”. La Vulgate latine, quand à elle, le rend par le terme latin “prudenter” que l’on peut traduire par “prudemment, avec prudence”. Dans la traduction liturgique française c’est le mot “habile” qui est utilisé et la Bible de Jérusalem met comme titre de la parabole “L’administrateur avisé” et le terme “avisé” est aussi utilisé dans le texte, parce que « φρoνιμώτεροι » (fronimòteroi) est l’adjectif comparatif de φρόνιμος (frònimos) qui signifie “raisonnable, sensé, sage”. La traduction anglaise utilise l’adverbe wisely =sagement et/ou shrewdly= astucieusement. La traduction liturgique nous aide à éviter l’équivoque de penser que Jésus fait les éloges de la malhonnêteté, le texte littéral nous permet de comprendre le but de l’éloge et l’invitation à être sages, intelligents et prudents.
[2] Paul Claudel (Villeneuve-sur-Fère, 6 août 1868 – Paris, 23 février 1955) est un poète, dramaturge et diplomate français. Aux dires de Claudel lui-même, sa conversion au catholicisme eu lieu dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris, en écoutant le Magnificat pendant la Messe de Noël en 1886: “Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable…Que les gens qui croient sont heureux! Si c’était vrai, pourtant ? – C’est vrai ! – Dieu existe, il est là ! C’est quelqu’un, c’est un être aussi personnel que moi ! – Il m’aime, il m’appelle.” (Contacts et circonstances, Œuvres en Prose, Gallimard, La Pléiade, pp.1009-1010). Je pense que l'inspiration derrière la poésie de ce grand écrivain catholique, c'est la «vocation» de vérité, de bonté et de joie au milieu des hommes. Pour cela, le poète est appelé à découvrir et montrer aux frères "toute la sainte réalité que nous avons reçue et au milieu de laquelle nous sommes placés".
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