Mark Riedemann a rencontré l’évêque d’Eshowe, en Afrique du sud, pour l’émission Là où Dieu pleure, en coopération avec L'Aide à l'Église en détresse. L’évêque du Zululand déplore, par ailleurs, que la communauté internationale vienne souvent « avec des solutions toutes faites ».
Mark Riedemann – Excellence, Eshowe est une des plus anciennes colonies européennes au Zululand. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le Zululand et sur les Zoulous ?
Mgr Xolelo Thaddaeus Kumalo – Le Zululand a été fondé par le roi Shaka, qui est connu pour être le guerrier qui a réussi à vaincre un régiment de soldats anglais. Les Zoulous ont eu leurs rois et leurs chefs, et ils croient dans leur mode de vie traditionnel.
Quelles sont leurs activités économiques?
Comme la plupart des Sud-Africains, ils travaillent dans des usines dans des villes lointaines comme Johannesburg et Devon, mais ceux qui restent au pays vivent de l’agriculture.
Avant votre nomination, étiez-vous déjà allé au Zululand ? Quelle a été votre réaction quand vous avez pris contact avec ce peuple ?
Je n’étais allé au Zululand qu’occasionnellement, pour une ordination par exemple.
Bien que je sois né dans la province du Cap-Oriental, je suis resté davantage dans le diocèse de Bethléem, au centre de l'Afrique du Sud. C’est un peuple très différent des Ngunis et en particulier des Zoulous. Ce sont des gens plus pacifiques, pas des guerriers.
Les tribus sont-elles si différentes? Venant de la province du Cap-Oriental, par exemple, avez-vous été accepté bien que n’étant pas Zulu?
L’Afrique du sud a été moins tribaliste que les autres pays africains en raison de la lutte contre l'apartheid. L'industrialisation, qui a amené les gens à aller travailler ensemble dans les mines et dans les usines, a fait perdre l'esprit de tribalisme ; il est donc facile d'être accepté, que vous soyez Sotho, IsiXthosa, Zulu ou Swazi.
Le Zululand a été une région de croyances africaines traditionnelles et beaucoup de Zulu croient dans la religion traditionnelle africaine. De quoi s’agit-il ?
Il s'agit de la façon dont ils se comportent, leur façon de parler et de vivre. Les Zoulous comme la plupart des peuples africains, sinon tous, ont toujours cru en un Dieu unique. Mais l'expression de leur foi a toujours été différente.
Par exemple ?
Les Zoulous croient en un Dieu qui est très grand et qu’on appelle ‘Unkulunkulu’, ce qui signifie ‘celui qui est grand’, ou ‘Umvelinqangi’ qui veut dire ‘celui qui est venu en premier’. Il faut donc des personnes qui peuvent parler à ce dieu en notre nom ; ce sont les ancêtres. Ces ancêtres exigent toujours certains rituels comme de tuer une vache ou une chèvre pour satisfaire Dieu ou lui adresser une demande. Chaque étape de la vie est célébrée rituellement dans la tradition zouloue. Quand un enfant nait et qu’on lui attribue un nom, on tue un animal et les anciens pratiquent certains rites pour présenter l'enfant aux ancêtres.
Les Zulus étaient-ils prêts à accepter le christianisme parce qu’ils pouvaient y reconnaître des points communs avec leurs traditions?
Malheureusement, lorsque les missionnaires sont arrivés, ils n’ont pas vraiment reconnu ces croyances traditionnelles. Les gens ont essayé de vivre deux vies parce que toute leur culture était considérée comme païenne, tout ce qui était africain, y compris les noms ; c'est pourquoi en Afrique, en particulier en Afrique du Sud, nous avons deux noms. Mon nom, Xolelo, signifie le pardon ; c’est une notion chrétienne. Mais comme c’était un nom païen et africain, il fallait en trouver un autre. Il ne s’agissait pas seulement de donner un nom de saint, c'était une attitude générale.
Les Zulus étaient capables de reconnaître ce qui, dans l’Eglise catholique, était similaire à leur culte ancestral. Par exemple, de même que l’Eglise catholique croit dans l’intercession des saints auprès de Dieu, ils ont reconnu là ceux qui parlent en notre faveur à ‘celui qui est grand’.
Mais en ce qui concerne le baptême et la façon dont les Zulus présentent le nouveau-né aux ancêtres, la religion chrétienne n'a jamais réconcilié ces deux rites. Ce n'est que maintenant qu’on parle d'inculturation : comment utiliser notre culture de sorte que nous devenions de meilleurs chrétiens ou de meilleurs catholiques à partir de ce que nous sommes.
Ces groupes tribaux ont cependant accueilli le christianisme. L'Esprit Saint a donc pu travailler malgré tout …
Oui. Je pense que, dans les écoles, l'éducation a joué un rôle essentiel. Les gens qui allaient à l’école essayaient de comprendre la Bible, ce que le message chrétien leur disait et ils se sont convertis facilement.
Vous avez dans votre diocèse le sanctuaire marial de Ngome. Pouvez-vous nous en parler ?
Ngome est en effet un lieu particulier. Il y a de nombreux lieux de pèlerinage en Afrique du Sud. Nous ne sommes pas vraiment sûrs que Marie soit apparue à Ngome, mais le fait est que les gens le croient. Ils vont y prier et ils sont convertis et guéris ; c’est cela l’important. Et c'est pourquoi, quelques années avant la mort de mon prédécesseur, après une longue réflexion, il a déclaré ce lieu comme lieu de prière. Ce sont non seulement les Africains du sud, mais aussi les Basothos et les Angolais qui viennent spontanément y prier.
Vous avez parlé de guérison. Pourquoi la guérison est-elle importante ?
Les gens se sentent malades spirituellement et physiquement. Ils croient que Dieu peut les aider et qu’il les aide réellement par l'intercession de Notre-Dame. C'est pourquoi ils viennent nombreux à Ngome pour prier et rapporter de l'eau qu’ils partagent à leur retour et plus tard ils témoignent autour d’eux. Des guérisons et des conversions se produisent.
Cela fait maintenant plus de dix ans que l’apartheid a été supprimé. Diriez-vous que votre pays cherche encore son identité ?
Oui, je pense qu'il cherche encore son identité. Nous avons été séparés en groupes. Il faudra des années pour que nous ayons une identité sud-africaine. Si l’on considère simplement le culte, c’est encore très difficile. Chacun est invité à prier. Mais le style et le temps dépendent de la culture… Pour certaines personnes, participer à une célébration de plus d'une heure est un grand sacrifice, mais pour l'Afrique noire, trois heures est un minimum. C’est déjà difficile entre chrétiens, alors vous imaginez au niveau d’une nation. Même aujourd’hui pour les fêtes nationales, on voit rarement des blancs et des noirs à une même célébration.
L’Afrique du sud a un potentiel et le pays est riche en minéraux, mais il y a aussi un taux de chômage de 40% et près de 8 millions d'Africains noirs sont sans-abri : peut-on dire que les Africains noirs sont laissés pour compte dans ce développement d'une nouvelle Afrique du Sud ?
Je pense qu'ils ont été laissés en arrière avant et qu’il faut les aider. Le nouveau gouvernement s’est efforcé de construire des maisons dans les banlieues car c'est là que les Africains noirs sont allés chercher du travail, abandonnant les zones rurales. Malheureusement, en dépit de ses bonnes intentions, notre gouvernement ne sait pas gérer les choses. Les travaux ont été confiés à des entrepreneurs qui, pour la plupart, ont construit des maisons de mauvaise qualité et ont mis l'argent dans leurs poches. Beaucoup de ces maisons doivent être reconstruites, c’est du gaspillage. Peu d’entre eux sont arrêtés parce que la corruption est partout en Afrique du Sud. C'est pour cela nous ne nous développons pas.
Mgr Buti Tlhagale, OMI, président de la Conférence épiscopale d'Afrique du Sud mentionne spécifiquement la corruption et la violence parmi les principaux problèmes auxquels le gouvernement sud-africain doit encore s’attaquer. L'autre défi est, bien sûr, la question du sida. Comment l'Eglise travaille-t-elle dans ce domaine?
L’Eglise essaie d’abord de s’adresser à tout le monde, lors de déclarations de la Conférence des Evêques, comme le fait Monseigneur Buti Tlhagale. L'Eglise cherche également à sensibiliser ses propres membres aux problèmes de la violence et de la corruption. Elle explique que la corruption est un péché qui empêche le développement et elle exhorte les catholiques à essayer de changer la situation de l'intérieur en tant que membres de la communauté.
En ce qui concerne la question du VIH / SIDA, nous avons repris le programme de l'Ouganda appelé ‘Education pour la vie’ que nous sommes en train d'essayer de diffuser dans les différents diocèses. Nous formons les jeunes à un changement de style de vie à travers l'éducation et des groupes de soutien.
Le sida fait toujours rage avec 22% de personnes infectées et la communauté internationale a essayé d’apporter une solution avec le préservatif. Qu’en pensez-vous ? N’est-ce pas d'une part une pression venant de l'extérieur et d'autre part, contre les valeurs traditionnelles africaines ?
Je pense que la communauté internationale est toujours arrogante envers nous, les Africains. Ils viennent avec des solutions toutes faites. Ils ne posent pas de questions. Ils savent ce qui est bon pour nous, les Africains, et le préservatif fait partie de cette arrogance. Les gens pensent que le préservatif prévient la maladie. Cela contribue à la répandre parce que tous les jeunes en entendent parler à l’école dans le programme d’éducation sexuelle, même s’ils ne se sentent pas concernés. Ils l'essaient et c'est pour cela que vous avez encore un taux élevé de personnes touchées par le sida.
Quel est votre plus grand besoin aujourd'hui, que vous souhaiteriez communiquer aux destinataires de ce message ?
Chaque personne, chaque nation doit essayer de rencontrer Jésus. Notre plus grand besoin en ce moment dans l'Eglise est l'évangélisation. En fin de compte si les gens sont reliés au Christ, la plupart de leurs difficultés, les problèmes de corruption et de violence disparaîtront.
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