Deux sorties apportent cette semaine des éclairages complémentaires, dans des styles très différents : Lebanon, de l’Israélien Samuel Maoz, qui met en scène un équipage de tankistes au Liban en 1982, et Brothers, de Jim Sheridan (remake du film danois Brødre de Susanne Bier), qui évoque le parcours d’un casque bleu américain envoyé en mission à l’étranger.
Quelque chose là-bas est mort en moi
Lebanon, Lion d’or unanimement attribué lors de la dernière Mostra de Venise, est une expérience radicale de cinéma, indissociable du vécu de son auteur. Comme Ari Folman pour Valse avec Bachir en 2008, son réalisateur a puisé dans ses propres souvenirs de soldat engagé à 20 ans dans un conflit qui, aujourd’hui encore, hante la société israélienne. Samuel Maoz fut le tireur du premier char israélien à traverser la frontière libanaise en 1982.
« Quelque chose là-bas est mort en moi », confie-t-il. L’évocation de ce moment terrible fut longtemps impossible pour lui, jusqu’à ce que, sur son écran de télévision, « le show de la deuxième guerre du Liban », en 2006, « atroce, obscène », ne vienne faire sauter les verrous de l’indicible. Lebanon, glissait-il à Venise, répond à une double nécessité : « faire ressentir » pour donner à comprendre et rechercher une forme de pardon à travers « l’itinéraire de quatre âmes meurtries ».
La guerre telle que la vit le spectateur de ce film est une épreuve : celle d’un huis clos terrible dans le ventre monstrueux d’un char, d’où l’extérieur ne s’envisage qu’à travers la ligne de mire : œil de mort utilisé par l’artilleur pour ajuster les cibles mais aussi jeter alentour des regards de cyclope traqué. Bâti sur la « mémoire émotionnelle » de son auteur, conçu comme un choc sensoriel, Lebanon allie avec force un dispositif minimaliste et la reconstitution minutieuse d’un état intérieur.
Film expérimental nourri d’un authentique cauchemar
Le spectateur se trouve lui aussi piégé dans cette étroite cabine blindée, plongé dans l’obscurité et la puanteur graisseuse, l’odeur d’urine et d’huile brûlée, l’insupportable frôlement des corps moites, l’assourdissant cliquetis des chaînes et l’énorme vibration du moteur. Le voilà aux côtés de ces hommes aveuglés par la peur et pourvoyeurs de mort, pris dans l’infernal étau de leur conscience. Rien à voir avec un jeu vidéo.
Film expérimental nourri d’un authentique cauchemar, Lebanon offre une stupéfiante vision de l’homme dans l’urgence de la guerre, dessaisi de son libre arbitre, écrasé entre instinct de survie et révolte morale… Sachant bien, avant que le vent n’ait dissipé la fumée de son propre tir, que c’est aussi un peu lui qu’il vient de condamner.
« Revenir de la guerre avec ses dix doigts en sachant qu’ils ont tué, c’est terrible », dit Samuel Maoz, affirmant dans le même souffle que ce traumatisme-là n’est en rien comparable avec celui des victimes. Une manière de dire qu’il n’y a que des perdants, que toutes les âmes saignent. Un premier geste esquissé qui a permis au réalisateur de reprendre son souffle après deux décennies de douloureuse apnée.
À l’en croire, le film a laissé des sentiments ambivalents en Israël comme auprès des critiques arabes qui l’ont vu. « Traître » aux yeux de ceux qui, dans son pays, l’accusent d’avoir parlé de ce qu’on devrait taire, il est toujours un « s… de sioniste » pour les autres. Comme Ari Folman, il appartient pourtant à une génération, « la première née en Israël », qui n’hésite plus à s’interroger sur la guerre non plus du point de vue collectif mais en fonction des effets qu’elle produit sur l’individu