comme « simple pèlerin ». Conformément à la volonté de simplicité de Joseph Ratzinger, aucune cérémonie n’a marqué cet instant historique, hier à 19h00 GMT, à partir duquel le siège pontifical est « vacant » jusqu’à l’élection d’un successeur. Aux huit coups de 20h00 heure locale sonnés par la cloche de l’église, les gardes suisses en faction devant le porche de la villa pontificale de Castel Gandolfo, au sud-est de Rome, ont levé le camp, fermant les lourds battants de la porte à grand fracas. Le drapeau blanc et or du Vatican a été descendu, sous les applaudissements de la foule et les « Viva il papa ». Au Saint-Siège, des scellés ont été posés sur les appartements pontificaux, en attendant le prochain occupant. L’ex-pape, à la tête d’une Église de 1,2 milliard de fidèles sur les cinq continents, est devenu « Sa Sainteté Benoît XVI, pape émérite » mais n’a plus aucun pouvoir.
Au terme de huit ans de pontificat, le pape allemand s’était auparavant brièvement adressé une ultime fois depuis le balcon de la villa de Castel Gandolfo à des milliers de personnes enthousiastes et émues, dont beaucoup pleuraient. Sur une maison du village, des lettres géantes proclamaient « Merci Benoît, nous sommes tous avec toi ! ». Pour son ultime apparition en public en tant que pape, Benoît XVI a commis un léger lapsus : « Je ne suis plus pape », a-t-il commencé avant de se reprendre. À 19h00 GMT, « je ne serai plus pape, mais seulement un pèlerin qui entame l’ultime étape de son pèlerinage sur terre ». Le pape, qui compte désormais se consacrer à la prière et la réflexion, a confié vouloir « encore travailler pour le bien de l’Église et pour le bien commun de l’humanité avec mon cœur, mon amour, ma prière et ma réflexion ». Pour sa part, le maire, Milvia Monachesi, qui l’a fait « citoyen honoraire », a trouvé Benoît XVI « très très fatigué, très très éprouvé ».
Avant de rejoindre la résidence d’été de Castel Gandolfo où il passera les deux prochains mois et trois heures avant sa démission, le pape avait quitté le Vatican, sans cérémonie. Dans la cour Saint-Damase et devant une cinquantaine de gardes suisses au garde-à-vous, des cardinaux, prêtres et tous ses collaborateurs proches ont salué Joseph Ratzinger, certains s’agenouillant pour baiser son anneau. Alors que son secrétaire particulier Georg Gänswein éclatait en sanglots, le vieux pontife, frêle et voûté, s’appuyant sur une canne et marchant à pas lents, est sorti de l’appartement pontifical. Il a esquissé un pâle sourire et salué timidement l’assistance de la main. Puis il a quitté le Vatican à bord d’un hélicoptère blanc, orné d’un fanion aux couleurs du Saint-Siège. Alors, les cloches de Rome se sont mises à sonner à toute volée au moment où l’hélicoptère décollait au-dessus de la somptueuse basilique Saint-Pierre. Dans le même temps, le pape postait son ultime tweet sur son compte @pontifex. « Mettez le Christ au centre de vos vies. Merci pour votre amour et pour votre soutien », a-t-il écrit trois heures avant l’entrée en vigueur de sa démission historique.
Proche par la prière
Joseph Ratzinger, 85 ans, qui ne se sentait plus à même d’assumer le poids de sa charge, avait annoncé sa démission le 11 février à la surprise générale. Benoît XVI laisse donc à son successeur, à qui il a promis « obéissance inconditionnelle », la charge de reprendre en main l’Église catholique. Une tâche qui s’annonce ardue alors que celle-ci est confrontée à la fois à une contestation interne, à la persécution des chrétiens dans le monde, à de multiples enjeux éthiques et à des scandales de toutes sortes en son sein. Néanmoins, « j’ai franchi ce pas dans la pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais aussi dans une grande sérénité d’âme », avait dit Joseph Ratzinger mercredi devant une foule émue place Saint-Pierre. Se retirant « dans la prière et la réflexion », il a assuré qu’il resterait aux côtés des 1,2 milliard de catholiques répartis dans le monde.
En fin de matinée hier, dans la solennelle Salle Clémentine, plus d’une centaine de cardinaux venus de la Curie et des cinq continents, dont ceux qui, âgés de moins de 80 ans, participeront à l’élection de son successeur, ont salué un à un le pape. « Parmi vous se trouve le prochain pape, auquel je promets déférence et obéissance inconditionnelles », leur a-t-il garanti dans une brève allocution, assurant qu’il serait proche d’eux « par la prière » au prochain conclave. Il leur a souhaité d’être « un orchestre » dont « les diversités concourent à l’harmonie » de la réalité plus élevée de l’Église. De plus, il leur a exprimé ses remerciements pour leur « proximité », leurs « conseils » et leur « grande aide ». Plus tard, le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, a insisté sur cette promesse d’obéissance, une « démarche très originale » qui prouve que Joseph Ratzinger n’a « aucune intention d’interférer » dans les décisions de son successeur. Des plus jeunes, comme l’archevêque de Manille, Luis Antonio Tagle, aux plus âgés de 90 ans et plus, 144 cardinaux ont défilé devant lui, certains en pleurs ou au bord des larmes. Benoît XVI a alors parlé à nouveau de « moments très beaux et de moments où il y a eu quelques nuages dans le ciel », pendant ses huit ans de pontificat.
Ponctué de controverses
Son règne a été ponctué de controverses, notamment sur la levée de l’excommunication d’un évêque révisionniste, mais surtout le scandale des centaines d’actes pédophiles commis par des prêtres que la hiérarchie a parfois protégés. Plus récemment, le scandale VatiLeaks a révélé de nouvelles intrigues au Vatican, tandis que la presse évoquait dernièrement la présence d’un prétendu « lobby gay ». Le futur pape devra « prendre la Curie en main », a estimé le cardinal belge Godfried Danneels. Le prélat béninois Barthélémy Adoukounou, ancien élève de Benoît XVI et numéro deux de « ministère » de la Culture du Saint-Siège, a affirmé que le nouveau pape aurait à s’opposer à plusieurs évolutions, selon lui, inquiétantes : « La volonté de construire le monde en tout comme si Dieu n’existait pas, de formater l’homme », ainsi que celles de « casser la famille et de détruire la nature ».
La prise d’effet de sa démission a ouvert la fameuse période du « siège vacant », pendant laquelle le cardinal camerlingue assurera l’interrègne. Cette lourde tâche incombera au fidèle secrétaire d’État de Joseph Ratzinger, le cardinal Tarcisio Bertone. Mais le pape émérite devrait rester environ deux mois à Castel Gandolfo, loin du brouhaha médiatique qui entourera le conclave chargé d’élire son successeur mi-mars. Pour couvrir cet événement, le Vatican a déjà reçu pas moins de 3 641 demandes d’accréditations de 668 médias venant de 61 pays.
Enfin, lorsqu’il rentrera au Vatican fin avril, Joseph Ratzinger s’installera dans un ancien monastère niché en hauteur dans les jardins, où il pourra croiser peut-être son successeur et voisin. Une cohabitation inédite.
L'orient le jour