ensuite en homme de justice, car il n’y a pas de paix sans justice, surtout dans les rapports entre les nations. Génialement relevée par Jean-Paul II, tout au long de son pontificat, la nature éthique des tensions qui traversent le monde n’est que trop évidente.
Mais Benoît XVI sera là avec les moyens de la paix tels que l’Église en dispose. Et l’Église n’est ni un État ni une organisation internationale. Il sera là avec un bon jugement, un jugement bâti sur ce que l’Église sait de l’homme, avec à son service une autorité spirituelle qu’il tient de Jésus-Christ Lui-même et un certain crédit auprès de la communauté internationale.
Première remarque, indispensable, le pape débarque dans un Moyen-Orient très différent de celui qui existait au moment où s’est préparée, puis s’est tenue l’Assemblée spéciale du synode sur les Églises catholiques au Moyen-Orient (octobre 2010). En deux ans, le Moyen-Orient a été bouleversé par des soulèvements populaires qui ont complètement modifié les rapports politiques et le paysage géopolitique du Moyen-Orient, notamment dans les pays arabes de présence chrétienne (Égypte et Syrie surtout). En deux ans, aussi, les crises engendrées par le nucléaire iranien se sont aiguisées et l’émergence de la Turquie comme « démocratie islamique » s’est affirmée. En outre, l’antagonisme entre les États-Unis et la Russie s’est durci. De la Caspienne à l’Égypte, toute la région est en ébullition, et l’on sait combien les chrétiens d’Orient sont sensibles aux tensions politiques, lesquelles, souvent, se doublent de tensions économiques. L’Église fait donc face à une situation évolutive bien différente de celle qui l’a précédée, ce qui rend sa tâche d’autant plus difficile.
Par ailleurs, au cœur de la région, il y a un nœud qui s’appelle Israël. Et l’Église sait que cette crise est celle qu’il est fondamental de régler pour un apaisement durable de toute la région, et pour le plus grand bien de ses communautés chrétiennes.
Liban, cas d’exception
C’est dans ce contexte que Benoît XVI, ou plutôt le Saint-Siège, car le pape travaille en équipe, est appelé à s’adresser aux Églises catholiques du Moyen-Orient. S’il le fait à partir du Liban, c’est qu’il est conscient que le Liban est, sur le plan civil, un cas d’exception dans la région, qu’il est le seul pays arabe où règnent une communauté culturelle et une égalité civique absolues entre chrétiens et musulmans, une égalité encadrée et réglementée par une répartition des hautes charges de l’État entre chrétiens et musulmans, qui a donné lieu à un système politique original.
Sur le plan religieux, aussi, le Liban est un cas d’exception. Comme l’écrit un expert du synode, Annie Laurent, le pays du Cèdre est « un concentré de fidèles relevant de tous les rites chrétiens du Proche-Orient. Il y a les catholiques (maronites, melkites, arméniens, chaldéens, syriaques, coptes, latins) et ceux qui ne sont pas dans la pleine communion avec Rome (grecs-orthodoxes, arméniens apostoliques, assyriens, syriaques-orthodoxes, coptes-orthodoxes et protestants de diverses dénominations). C’est donc un lieu particulièrement propice au dialogue œcuménique ».
D’abord rassurer, ensuite corriger
Que va dire le pape ? Rien qu’on ne sait déjà, à coup sûr. Mais ce qu’il dira sera dit avec des mots neufs et un souffle neuf. Mais surtout, ce qui sera dit sera marqué du charisme particulier de Benoît XVI, celui de la clarté doctrinale.
Il y aura d’abord, parmi les grands titres, les problèmes de la présence chrétienne minoritaire et de la relation à l’islam. Les problèmes donc de la liberté religieuse, de la liberté de croyance et de culte, et du dialogue.
Il y a ensuite les problèmes intrinsèques à l’Église. Repli grégaire de chaque communauté sur ses intérêts propres, contamination séculière de la masse des chrétiens, déchristianisation des élites, cas de corruption du clergé, fossé entre les jeunes et la hiérarchie, tentation de l’émigration, nécessité d’une nouvelle évangélisation sont certains des grands problèmes dont l’Église catholique doit tenir compte.
On peut imaginer que Benoît XVI va d’abord rassurer. Les médias, sensibles à la dimension politique du voyage pontifical, ont d’ores et déjà placé cette visite sous le signe de la grande peur pour les chrétiens d’Orient. Peur que cette masse se délite davantage encore, après la grande saignée irakienne. Peur des régimes islamistes qui se mettent en place. Peur d’une guerre froide qui peut dégénérer en un nouvel holocauste. Peur du jihadisme. Peur que les lieux saints et Jérusalem ne soient perdus.
Aussi justifiées que soient ces différentes appréhensions, l’Église a le devoir de les dissiper. La peur est grégaire. Elle induit des conduites d’échec qui produisent cela même qu’on cherche à éviter.
Mais surtout, le sujet n’est pas là. Si quelque chose peut être fait pour dissiper cette peur, on peut être sûr que l’Église l’a déjà fait, ou le fera. Mais le Saint-Siège entoure généralement ce genre d’action diplomatique ou de contacts internationaux de la plus grande discrétion. On peut supposer que le Saint-Siège, que ce soit à travers l’Exhortation apostolique attendue ou par d’autres canaux, interpellera aussi bien le gouvernement israélien que les gouvernements du monde arabe sur le respect des minorités et de la liberté religieuse, sur le respect des lieux saints ; et qu’il s’adressera aussi aux autorités religieuses musulmanes des différents pays arabes elles-mêmes, que ce soit directement ou à travers le dialogue interreligieux. Mais cela, il le fera par la parole, par l’entente, sans autre prise sur le réel que la parole donnée.
Le défi de la fidélité au Christ
Par contre, le véritable défi que va lancer Benoît XVI aux Églises orientales, aux Églises apostoliques du Moyen-Orient, c’est celui de la fidélité au Christ et à l’Église qu’Il a fondée, celui de leur communion et de leur témoignage.
Certes, dans le sillage et la continuité de l’Exhortation apostolique « Une espérance pour le Liban » de Jean-Paul II, qui s’adressait aux Libanais, mais aussi indirectement à tous les catholiques d’Orient, l’Exhortation apostolique « Communion et Témoignage » attendue proposera des lignes directrices pour faire face aux problèmes engendrés par la situation économique et sociale de chaque pays : affaissement des structures familiales, retard de la nuptialité, crise de l’emploi, émigration, vente des biens-fonds associée à une « islamisation de la terre » imputée à certaines puissances occultes musulmanes, rapport aux médias, rapport avec les non-chrétiens, engagement politique, présence chrétienne dans la fonction publique et la vie syndicale, etc. Tous ces sujets, qui touchent de près ou de loin à la foi chrétienne, à la présence chrétienne et/ou à la cohérence de vie d’un chrétien en Orient, concernent de près l’Église catholique.
Mais au-delà de toutes ces importantes questions, la grande affaire du Saint-Siège devrait être la nouvelle évangélisation et l’unité.
Par nouvelle évangélisation, il faut comprendre une nouvelle proclamation de Jésus-Christ à une masse de fidèles « sacramentalisés » mais non évangélisés.
L’unité, elle, se décline sous trois modes. Il y a d’abord l’unité à l’intérieur de chaque Église, et là, toutes les interrogations sont permises : pourquoi cinq universités catholiques, dont quatre au sein de l’Église maronite ? N’y a-t-il pas là dispersion des ressources et des énergies ? N’y a-t-il pas là une source de rivalités improductive ?
Il y a ensuite l’unité et la coopération entre les Églises catholiques des différents rites, en vue du témoignage… et de l’efficacité.
Il y a enfin l’unité – dans la diversité des rites – entre les Églises catholiques et orthodoxes, avec comme point focal la question d’une date commune pour la célébration de la fête de Pâques.
Bien entendu, ces sujets ne seront qu’esquissés. L’Exhortation attendue ne sera qu’un instrument de travail aux mains des Églises orientales, une boussole supplémentaire – mais non superflue – destinée à les sortir de la jungle politique, économique et morale où elles avancent, désorientées.
Finalement, tout sera dans la réponse que les Églises catholiques du Moyen-Orient seront prêtes à donner aux orientations de Benoît XVI. Citant les Mémoires de Kissinger, un ancien responsable religieux raconte que le machiavélique secrétaire d’État, venu dans la région, n’a rien compris des Libanais, parce qu’ils parlaient tous en même temps. Dans le même temps, ajoute le religieux, il n’a rien compris non plus des Syriens, parce qu’ils se taisaient tous en même temps, sans qu’on puisse savoir s’ils se taisaient parce qu’ils ne savaient rien, ou parce qu’ils en savaient trop.
C’est fatal, l’Exhortation apostolique, comme l’auberge espagnole, ne portera que sur les questions qu’on aura franchement abordées au Synode de 2010. Le non-dit ou l’oblique d’hier continueront nécessairement d’être le non-dit et l’oblique d’aujourd’hui.