L'AED déplore « la frilosité de l'Union Européenne », dans cet entretien avec Grégor Puppinck, directeur de l'ECLJ (European Center for Law and Justice).
Un texte a été proposé pour soutenir les chrétiens persécutés dans les pays du Moyen-Orient et renforcer l'action de l'Union Européenne en faveur de la liberté religieuse. Une polémique est apparue sur la mention même du mot « chrétien » dans le texte, si bien que ce dernier a été reporté sine die, faute de consensus.
Marc Fromager, directeur national de l'Aide à l'Eglise en Détresse, s'est dit « consterné » de cette nouvelle : « A force de déclarations ambigües déconnectées de la réalité, en l'occurrence le refus de spécifier la tragédie de la persécution antichrétienne dans le monde, l'Europe étale une fois encore son insignifiance politique ».
L'Aide à l'Église en Détresse est une association internationale de droit pontifical, membre associé du Conseil National de la Solidarité des Evêques de France. Elle soutient les chrétiens partout où ils sont persécutés, réfugiés ou menacés. L'AED intervient dans 137 pays : www.aed-france.org
AED – Comment expliquez-vous la frilosité de l'Union Européenne à défendre les chrétiens du Moyen-Orient ?
Grégor Puppinck – Le 31 janvier dernier, à Bruxelles, la politique a été guidée par la peur. Il y a eu de vraies positions courageuses de la part de l'Italie, la Hongrie, la France, la Pologne, ou encore la Roumanie. Mais certains gouvernements européens ont été lâches, par peur de déplaire, par crainte de s'attirer en retour les foudres des gouvernements musulmans. Le Conseil européen a renoncé à condamner les persécutions subies par les Chrétiens de peur de condamner leurs persécuteurs.
AED – Quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?
Grégor Puppinck – Les gouvernements ont justifié leur inaction par souci de ne pas attiser le conflit de civilisation entre l'Occident et le monde arabo-musulman. Je pense que l'inaction européenne aura l'effet inverse, qu'elle va contribuer à l'accentuation des causes et manifestations de ce conflit. Ne rien dire sur les persécutions antichrétiennes, c'est encourager les gouvernements à poursuivre leurs politiques discriminatoires, laquelle incite à l'exode des chrétiens, affaiblit le pluralisme culturel et religieux dans leur pays et renforce la bipolarisation. C'est de la lâcheté à court terme, et de l'inconséquence à long terme. Tout ce qui sera fait pour aider les chrétiens à rester sur place dans des conditions de sécurité contribuera à l'apaisement du conflit civilisationnel, en évitant cette bipolarisation.
AED – Après la résolution adoptée par le Parlement Européen le 20 janvier puis la recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 27 janvier, lesquelles mentionnaient clairement la violence à l'encontre des chrétiens, cela n'est-il pas étonnant ?
Grégor Puppinck – Effectivement. La politique étrangère demeure vraisemblablement l'affaire des gouvernements. Ils ne sont pas face aux mêmes réalités non plus. Dans un contexte de tension et de peur, au nom de la prudence, ils ont été lâches.
Notons aussi que le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté le 20 janvier une résolution sur la liberté religieuse. Le projet initial mentionnait les chrétiens, mais sous pression de la Turquie, cette mention a été retirée afin que le texte puisse être adopté par consensus. Pour être acceptable par la Turquie, il a fallu retirer toute mention de christianisme, ce qui a vidé le texte de sa substance. Au final, le texte adopté se contente de dire « Comme l'ont démontré les récents événements tragiques, des personnes de toutes confessions sont de plus en plus victimes de discriminations et d'agressions – parfois au prix de leur vie – uniquement en raison de leurs convictions religieuses. » Dire cela, c'est non seulement manquer d'honnêteté et de courage, mais aussi de respect pour les victimes des attentats de Bagdad et d'Alexandrie.
AED – Comment envisagez-vous la suite de la discussion ?
Grégor Puppinck – Le texte sera peut être proposé à nouveau si nous sommes nombreux à le demander. Nous allons continuer à agir. Il faut notamment interpeller les cinq gouvernements qui ont refusé le texte du 31 janvier (Portugal, Espagne, Luxemburg, Irlande, Chypre). Quand on laisse un violent agir par peur de ses réactions, on l'encourage à continuer. Les chrétiens persecutés ont besoin d'être soutenus.
Propos recueillis par Raphaelle Autric
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