Sous la présidence effective du pape, et dans un contexte local très tendu, ils diront au monde, et à l’Église latine, qu’on peut être croyant en Orient sans être musulman. Et chrétien autrement que selon le rite latin. Cinq points devraient retenir l’attention.
L’ÉMIGRATION. Seule la paix pourra tarir l’hémorragie
Le constat. Les chiffres sont éloquents, l’émigration chrétienne hors du Moyen-Orient est massive et diverse. « Plus de la moitié des Palestiniens, en majorité chrétiens, vivent hors du Moyen-Orient. Ils sont ainsi plus de 300 000 au Chili. La moitié des chaldéens, soit environ 400 000, ont récemment fui l’Irak, en raison de la guerre », constate Giuseppe Caffulli, directeur des Éditions Terra Santa (éditeur italien de la custodie franciscaine de Terre sainte).
Historiquement, on sait que des territoires entiers peuvent se vider d’une présence chrétienne : en un siècle, la Turquie est passée de 25% à 0,13% de chrétiens. Cette hémorragie n’est pas anodine. Les chrétiens, par leurs institutions (écoles, hôpitaux, universités) ouvertes à tous, sont des facteurs de dialogue et de contact entre les communautés. Leur exil entraîne donc un véritable appauvrissement culturel.
Le Synode devra aussi se pencher sur les conséquences juridiques de cette émigration massive. Parfois, les diasporas sont plus importantes que les communautés d’origine ; les patriarches demandent un droit de juridiction universelle leur permettant d’établir une hiérarchie hors de leur territoire, à l’instar des Églises orthodoxes.
Les solutions. « Certes, nous pouvons aider les familles à se loger, à trouver un emploi. Mais ce serait sans commune mesure avec l’ampleur du problème, confirme à La Croix le P. David Jaeger, qui fut le délégué du Custode de Terre sainte à Rome. La plus grande œuvre de charité consiste à convaincre les pays occidentaux de faire leur possible pour construire une paix durable et sûre au Moyen-Orient. »
Et Mgr Philippe Brizard, ancien directeur de l’œuvre d’Orient, précise : « Pour rester sur place, ils devraient pouvoir être des agents actifs du développement social, notamment à travers la levée des discriminations pour l’accès aux fonctions publiques. » Il faut également noter, plus récemment, une immigration chrétienne importante vers le Moyen-Orient, en provenance d’Asie du Sud-Est : Kerala, Sri Lanka, Philippines…
L’ISLAM. Vers la liberté religieuse pour tous ?
Le constat. Ce dossier est extrêmement sensible. À Rome, chacun se souvient des conséquences imprévues des propos du pape à Ratisbonne, le 12 septembre 2006 : assassinat d’une religieuse, églises brûlées. Ou de l’assassinat de Mgr Luigi Padovese, président de la Conférence épiscopale turque, le 3 juin 2010, peu avant la remise par Benoît XVI à Chypre de l’Instrumentum laboris aux évêques orientaux.
En Orient, la population musulmane fait très vite l’amalgame entre Occidentaux, chrétiens et « croisés ». Juridiquement, le problème est le respect de la liberté religieuse, et de l’État de droit, dans les pays. C’est pourquoi le Saint-Siège, dans l’Instrumentum laboris en appelle à une « laïcité positive », inspirée de la laïcité à la française.
Les solutions. L’instauration d’une citoyenneté unique marquerait la fin des exemptions consenties aux minorités religieuses, dont les chrétiens. Pour le P. Jaeger, « le problème, c’est l’accès à la démocratie. Il ne faut pas séparer le sort des chrétiens du sort des autres : il n’existe pas de liberté religieuse sans respect de l’ensemble des droits de l’homme.
La solution est liée au degré de développement juridique et démocratique du pays. » Venant de Rome, les indications sont claires : « Le dialogue avec l’islam, indispensable pour travailler ensemble au bien commun, est un pèlerinage ; l’essentiel est de rester sur la route », affirme un proche du dossier.
Pour autant, les patriarches des Églises orientales reprochent parfois à Rome un certain irénisme, et demandent l’application d’une véritable réciprocité. Mgr Joseph Kallas, évêque de Beyrouth et de Byblos pour les melkites, avance : « On ne change pas le monde musulman en le matant, mais en le développant socialement et culturellement. Il faut développer la fraternité avant d’exiger l’unité de la foi ou celle de l’administration. »
LA COMMUNION. Vers l’unité des Églises catholiques arabes ?
Le constat. Mgr Philippe Brizard rappelle : « Il n’existe pas entre ces Églises de problèmes christologiques ou sacramentels. Ce Synode pourra être un véritable moment de communion, une expérience d’Église commune. Mais, pour cela, les Églises d’Orient, souvent plus préoccupées de marquer la différence avec le voisin que de réaliser des actions communes, devront dépasser leurs particularismes. »
En sachant que, de l’Occident, « elles n’attendent surtout pas des leçons ! » Mgr William Shomali, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem, est plus sévère (lors de la conférence du 13 mai 2010 à Jérusalem) : « Actuellement, cette communion laisse à désirer. Les Églises orientales ont besoin d’une révolution semblable à Vatican II pour s’adapter, se moderniser et pouvoir mieux répondre aux besoins de leurs fidèles. »
Comme le relève Mgr Louis Sako, évêque de Kirkouk (Irak), « avoir cinq évêques catholiques dans la même ville, pour de petites communautés, est un handicap ».
Les solutions. À Rome, on est confiant : Le pape est pour ces Églises un facteur de communion, affirme un spécialiste romain. L’Instrumentum laboris insiste : « Le danger est dans le repli sur soi et la peur de l’autre. Il faut à la fois renforcer la foi et la spiritualité de nos fidèles et resserrer le lien social et la solidarité entre eux, sans tomber dans une attitude de ghetto. » Et le texte propose que « tous les cinq ans, une Assemblée rassemble l’ensemble de l’épiscopat au Moyen-Orient ».
L’ŒCUMÉNISME. Tous ensemble pour le bien commun
Le constat. Dans la plupart des pays concernés, il se pratique un véritable « œcuménisme populaire » entre catholiques et orthodoxes. Certes, l’appartenance ecclésiale est précise, mais les relations au quotidien sont importantes.
Pas partout : en Égypte, la situation est tendue entre la petite minorité copte-catholique et les millions de coptes-orthodoxes, eux-mêmes discriminés par rapport à l’islam dominant. Il faut se souvenir en effet qu’historiquement, les Églises catholiques orientales sont issues de l’orthodoxie. D’où de nombreuses frictions.
Mgr Joseph Kallas, évêque de Beyrouth et de Byblos pour les melkites, porte une analyse qui semble assez largement partagée : « Ce Synode n’avancera pas l’union avec les Églises orthodoxes tant que le fondement d’unité théologique ne sera pas établi. » Manière de renvoyer le dossier à Rome.
Les solutions. C’est en effet bien à Rome que se trouve la clé du dossier œcuménique au Moyen-Orient. Benoît XVI ne cesse d’affirmer que le bien commun à construire ensemble justifie la mise en évidence des valeurs communes. Il le dira à nouveau, probablement, au cours du Synode, en insistant sur l’unification possible des fêtes chrétiennes (Noël et Pâques) et la gestion commune des lieux saints de Terre sainte.
JÉRUSALEM ET LE CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN. Soutenir les populations
Le constat. Dossier sensible, très politique, focalisé sur la Terre sainte, où les chrétiens sont souvent pris en tenailles entre les deux protagonistes. Dans ses discours en Terre sainte, en mai 2009, Benoît XVI a su conserver un savant équilibre entre les deux parties. Les négociations trilatérales impliquant les États-Unis, Israël et les Palestiniens, si elles peuvent être décisives pour l’avenir, « manquent cruellement d’un véritable médiateur », constate un diplomate du Saint-Siège, assez pessimiste sur l’évolution du dossier.
En Israël, les difficultés quotidiennes des Palestiniens chrétiens, pour aller et venir, se soigner, éduquer leurs enfants ou simplement aller prier à Jérusalem, restent une blessure ouverte.
Les solutions. Le Saint-Siège a toujours soutenu le droit des Israéliens et des Palestiniens à vivre dans deux États séparés, reconnus et sûrs. L’Instrumentum laboris évoque « l’occupation israélienne des Territoires palestiniens ». Et les négociations semblent traîner en longueur entre Israël et le Saint-Siège, notamment sur le statut des lieux saints et la liberté de circulation des chrétiens là-bas.
Frédéric MOUNIERlcroix.com |