Zenit – Eminence, le pape Benoît XVI vous a conféré cette haute dignité. Que ressentez-vous ?
Cardinal Filoni – Les préfets de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples ont toujours été cardinaux. En tant que telle, cette nomination n’a pas été une nouveauté absolue, même si j’ai personnellement accueilli cette nouvelle avec un sentiment de gratitude et aussi, je dirais, d’indignité par rapport à la dignité du cardinalat. Je crois que ce geste de Benoît XVI est dû, avant tout, à notre Congrégation, dont je suis le préfet. Je crois que cette dignité concerne en particulier tous ces prêtres, ces missionnaires, religieux, religieuses, laïcs qui dépensent leur vie chaque jour pour l’Evangile, dans tous les pays et territoires de notre compétence. Je suis persuadé que c’est avant tout à eux que cette reconnaissance est adressée.
Que signifie la « prise de possession » d’une paroisse par chacun des cardinaux ?
Chaque cardinal a un « titre ». Mon « titre » est lié à la paroisse Notre Dame de Coromoto in San Giovanni di Dio. Cela signifie qu’un cardinal devient membre du clergé de Rome. Comme tel, selon la tradition très ancienne qui veut que les cardinaux soient membres du diocèse du pape, il aide le souverain pontife dans son ministère pastoral, dans son ministère suprême de chef de toute l’Eglise. Etre lié à une église, à une paroisse, signifie ensuite impliquer toute la population de celle-ci dans la prière, dans l’affection, dans le soutien au ministère du pape ; c’est une forme d’implication que je crois nécessaire, pour que le pape sente que sa mission est soutenue et aimée par toute l’Eglise, en particulier par cette communauté, par cette paroisse concrète.
Le pape vous a donné l’anneau cardinalice qui porte un nouveau motif, n’est-ce pas ?
Ce motif a été voulu par Benoît XVI et représente deux figures, celle de saint Pierre et celle de saint Paul qui, comme nous le savons, sont ici, à Rome, les témoins de la foi. Il s’agit donc d’un symbole étroitement lié au siège apostolique. Pierre par sa foi, Paul par sa prédication aux nations. Ces deux aspects s’unissent dans la personne du pape et, naturellement, les cardinaux participent de cette même réalité. Il y a aussi une petite étoile, qui est justement le symbole de la foi.
Dans ses messages, le pape a demandé aux cardinaux de ne pas suivre « la logique du monde », mais celle de Jésus. Vous-même, comment avez-vous reçu ce message ?
Je crois qu’il est dans le style du pape Benoît XVI. Il a toujours dit que l’Eglise n’est pas une fin en soi, que l’Eglise est voulue par Jésus afin que les hommes, en connaissant l’Evangile, puissent connaître Dieu. La spiritualité est centrale dans la mission de Benoît XVI. Et donc, le rappel de ce caractère central aux fidèles, aux prêtres, aux évêques et aux cardinaux, me semble ce qu’il y a de plus beau. C’est tout à fait dans la ligne du ministère pastoral du pape.
Sur quoi le pape Benoît XVI met-il l’accent dans son message pour la Journée missionnaire du mois d’octobre ?
Le pape dit que l’Eglise a une mission, que son centre et son horizon sont l’annonce de l’Evangile. Le pape part du concile Vatican II ; c’est ainsi que, cinquante ans plus tard, une question se pose à nous : que représentait l’Eglise missionnaire il y a cinquante ans, et que représente l’Eglise missionnaire aujourd’hui ? Alors, naturellement, en s’inspirant de cette question, Benoît XVI parle d’une ecclésiologie missionnaire, que le concile a mise au centre de la réflexion de toute l’Eglise : l’œuvre missionnaire non plus comme l’action des seuls instituts religieux, mais de toute l’Eglise qui y participe. Pensons, par exemple, combien les laïcs ont été impliqués : alors qu’avant ils étaient un peu en marge de l’activité missionnaire, aujourd’hui ils en sont devenus les protagonistes. D’une certaine manière, nous pourrions même dire que, si les vocations missionnaires traditionnelles diminuent, les vocations missionnaires de laïcs ont énormément augmenté. Combien de mouvements, désormais, voient justement dans l’annonce de l’Evangile le centre de leur activité. Dans le message de Benoît XVI, il y a un second point : la priorité est l’annonce de l’Evangile, sachant que plus de cinq milliards de personnes ne le connaissent pas. Le troisième point est la foi et l’annonce. Cela signifie qu’on ne peut pas annoncer l’Evangile si l’on n’a pas une cohérence de vie, si l’on n’aime pas sa propre foi ; c’est de l’amour de sa propre foi que provient l’élan pour l’annoncer aux autres. Enfin, l’annonce se fait charité : lorsque j’annonce l’Evangile, je ne suis plus indifférent aux autres, et en conséquence, je me charge aussi de leurs besoins matériels.
Dans beaucoup d’endroits, l’Eglise souffre car ses membres, persécutés ou expulsés de leur terre, ne peuvent pas professer leur foi. Quel regard l’Eglise pose-t-elle sur le martyre dans le monde d’aujourd’hui ?
Dans mon allocution de remerciement au pape Benoît XVI, dimanche 19 février, j’ai rappelé que la pourpre était le signe du martyre, par lequel l’Eglise doit toujours passer. Aujourd’hui encore, à cause de la fidélité de l’Eglise à son Seigneur, tant de ses membres souffrent le martyre, des tribulations et des persécutions. Il semble donc connaturel à la vie de l’Eglise qu’elle ne soit pas séparée d’un témoignage qui parfois se teinte aussi de pourpre, de rouge, de sang.
Nombreux sont ceux qui se souviennent de votre comportement pendant l’attaque de l’Irak, et de celui de toute l’Eglise : vous avez alors couru le risque du martyre…
Dans ces moments-là, on ne pense pas au martyre, on pense à être fidèle tant à la mission que l’on a reçue – c’était pour moi, à cette époque celle que m’avait confiée le pape Jean-Paul II -, qu’à la mission qui consistait à garder unis les évêques, les prêtres et les fidèles. Je me souviens toujours avec une grande émotion spirituelle de la manière dont tous les prêtres sont restés dans leurs paroisses, dans leurs églises ; beaucoup d’entre eux ont ouvert leurs églises et les gens, apportant leurs matelas et leurs couvertures, y ont trouvé refuge, en espérant que ces lieux-là au moins seraient protégés des bombardements. Ceux qui trouvaient refuge dans les églises étaient non seulement les chrétiens mais aussi les musulmans, avec lesquels des moments de prière et de chant étaient partagés. Ce fut un témoignage extraordinaire, qui reste encore dans la mémoire de nos chrétiens. Tout ceci, aujourd’hui, nous rappelle que, bien que les chrétiens soient une minorité en Irak, ils ont donné un témoignage fantastique non seulement à l’Eglise entière, mais aussi au peuple irakien.
Parlons de la Chine, de la Corée du nord, du Vietnam, où les fidèles ne peuvent pas exprimer librement leur foi. Y a-t-il eu des pas en avant dans ces pays ?
Il s’agit de sociétés très différentes des nôtres, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan culturel ; l’Eglise, dans ces pays, est minoritaire. Elle ne s’impose donc pas par la force du nombre, mais ce que l’Eglise demande, dans ces endroits, ce qu’elle revendique, c’est cette liberté qui est propre à toute personne et, naturellement, à tout croyant. Notre espérance ne diminue pas, au contraire, elle nous accompagne, sinon ce serait inutile que nous travaillions dans ce but. Et naturellement, avec cette espérance, nous croyons aussi au dialogue à tous les niveaux, dans une compréhension réciproque, pour connaître les raisons de situations comme celles-là. Nous espérons qu’un jour les difficultés pourront être dépassées. L’Eglise assure les gouvernements qu’ils n’ont rien à craindre des catholiques. Les catholiques sont des hommes et des femmes qui, en professant leur foi, deviennent des citoyens loyaux envers leur pays et ses autorités ; ils revendiquent seulement la liberté de prier et de s’organiser selon les pratiques de leurs Eglises, en particulier de l’Eglise catholique.
Eminence, quel message pouvez-vous adresser à tous les missionnaires qui sont des lecteurs de Zenit ?
Oui, c’est une belle occasion pour dire aussi à tous les missionnaires : sachez combien nous apprécions et nous aimons votre mission. Nous sommes là pour la soutenir, pour l’aider. Parfois, nous y réussissons mieux, parfois moins bien ; cela fait partie d’une évolution naturelle des choses. Mais vous êtes la part la plus importante, la plus belle de notre activité ecclésiale. Vous êtes la meilleure part de notre Congrégation !
Propos recueillis par José Antonio Varela Vidal
Traduction d’Hélène Ginabat
zenit