les vices traversent toute la vision anthropologique de l’homme à partir de Platon, pour se transformer en manifestation « psychopathologique ».
Ce qui fut autrefois la particularité d’une minorité, semble aujourd’hui l’ethos de notre société. Cela signifie que la corruption (comme d’autres vices capitaux), n’est pas seulement une évidence morale, mais un mal qui revêt les caractéristiques d’une pathologie. Les sciences psychiatriques montrent de plus en plus comment ce problème de nature moral, caractérisé par des troubles de l’esprit, est en train de se transformer en une vraie plaie sociale.
Autrement dit le cœur humain perd sa dignité et s’attaque à l’argent et au pouvoir pour les transformer en idoles et en devenir esclave.
C’est là que se cache la destruction intérieure et psychologique de la corruption, qui est autre chose qu’un péché, au point de faire dire au pape François, quand il était encore archevêque de Buenos Aires « ça nous fera beaucoup de bien, à la lumière de la Parole de Dieu, d’apprendre à discerner les différentes situations de corruption qui nous entourent et nous menacent avec leurs séductions… ça nous fera beaucoup de bien de nous redire les uns les autres: Pécheur oui, corrompu non !, et de le dire avec crainte, afin qu’il ne nous arrive pas d’accepter l’état de corruption comme si cela était un péché de plus ».
« Le corrompu – a déclaré et écrit Mario Bergoglio – passe sa vie au milieu des raccourcis de l’opportunisme, au prix de sa propre dignité et de celle des autres. Le corrompu a le visage d’une sainte nitouche qui a l’air de dire « je n’y suis pour rien », comme disait ma grand-mère. Il mériterait un doctorat honoris causa en cosmétique sociale. Et le pire c’est qu’il finit par y croire. Oh ! combien il est difficile que la prophétie puisse entrer là-dedans! C’est pourquoi, même si nous disons pécheur oui, crions avec force mais corrompu, non ! » Ces paroles, le pape les a prononcées en 2005 quand il était archevêque de Buenos Aires. Elles ont été rassemblées plus tard dans le livre « Guérir de la corruption ».
Le 11 novembre 2013 dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe, l’évêque de Rome François, a réaffirmé que « pour le péché il y a toujours le pardon, pas pour la corruption ! Ou mieux, il faut guérir de la corruption. C’est un chemin fatiguant, où même la parole prophétique a du mal à se frayer un chemin ».
Les paroles du pape secouent, montrent l’urgence d’une décision : celle de ne pas rester complices d’une véritable « culture » de la corruption, dotée de sa propre capacité doctrinale, d’un langage propre à elle, d’une façon d’agir particulière. Comme le montre la science psychiatrique la mauvaise « santé intérieure » a des retombées sur la vie individuelle et sur le capital civil de la société.
Ces effets sont particulièrement lourds dans un pays comme l’Italie, où selon la Cour des comptes (statistiques 2012), la corruption vaut environ 60 milliards par an. Cela signifie que sur chaque Italien pèse une taxe occulte de 1.000 euro par an, nouveaux-nés inclus. Il s’agit d’une pathologie sociale et individuelle qui ronge et freine le développement de notre pays, avec un impact non seulement économique, mais également sur son image, sa réputation et la confiance (entre les citoyens et vers l’étranger) qui pèse sur l’Italie tout entière.
Même si la corruption n‘est pas un phénomène uniquement italien, son chiffre d’affaire s’élève à 1.000 milliards de dollars environ, selon une estimation de la Banque mondiale obtenues au travers d’interviews réalisées auprès d’entreprises sur les paiement effectués, sur les pots-de-vin, sur l’argent employé pour garantir la bonne marche de sociétés privées et sur les paiement pour obtenir les contrats.
Cette estimation ne comprend pas l’appropriation de fonds publics, vol, blanchiment d’argent sale, la fuite de capitaux et l’évasion fiscale. Selon la Banque mondiale le niveau de corruption en Italie couvre près de la moitié de celle estimée dans toute l’Europe.
Selon les indicateurs de perception de Trasparency International, l'Italie est descendue en flèche à la 72ème place, au niveau du Ghana et de la Macédoine, et en Europe seule la Grèce fait encore moins bien.
Il est vrai que les estimations doivent toujours être prises avec des pincettes et qu’il faut attendre celles qui pourront fournir des outils adéquats, mais en attendant, la lecture synoptique d’autres données permet de comprendre de manière empirique la gravité de la situation italienne dans ce domaine.
La littérature scientifique nous dit que dans les pays corrompus les entreprises évoluent en moyenne 20% de moins que celles qui sont en activité dans les pays où la corruption est plus basse.
Quand les services fournis sont sous monopole la corruption augmente ultérieurement. L’Italie depuis 1990, avec un taux moyen de 1%, est le pays qui a le moins grandi parmi les 31 pays les plus industrialisés.
A ces coûts il nous faut ajouter la décroissance du capital civil et du capital « réputation » de l’Italie vers l’étranger. On peut considérer le marché économique comme une table de jeu : si on est conscient de trouver des « tricheurs » à la table, personne ne s’assiéra à cette table.
C’est ce qui s’est passé avec l’Italie et le résultat est connu: réduction des investissements étrangers, exode des entreprises, en particulier les entreprises frontalières qui sont en train de déplacer leurs sièges à quelques kilomètres de l’Italie.
Quelle est la cause de cette corruption diffuse? L’histoire abonde de faits liés à corruption, et les causes sont multiples. Une chose est sûre: la corruption se manifeste à chaque fois que se concrétise une asymétrie de pouvoir, fruit d’un mauvais fonctionnement de la gouvernance sur le conflit d’intérêt. Soit une asymétrie entre le service au bien commun et l’utilisation du pouvoir pour des intérêts mesquins et égoïstes.
En Italie, cette asymétrie se manifeste surtout dans la gestion du pouvoir politique. Il est urgent et nécessaire que les institutions et le pouvoir politique donnent des signes de leur engagement à défendre le bien commun sans profiter de la situation de privilège et de pouvoir pour servir des intérêts égoïstes.
Comment contenir le phénomène ? Quelles sont les stratégies de lutte à mettre en œuvre pour combattre la destruction civile de la corruption ?
Je ne crois pas que la voie pénale soit le seul chemin exhaustif à suivre pour résoudre le problème de la corruption, bien au contraire. L’Italie, pour limiter le phénomène de la corruption, doit recommencer à investir dans l’éducation à la vie civile, éduquer au bien commun, donner sa confiance aux vertus sociales, soutenir le capital social et civil. Mais surtout elle doit alimenter l’espérance.
Dans ce contexte, il faut aussi que les 300.000 associations de bénévolat, donnent de l’espace à des projets éducatifs pour affronter le thème de la corruption. Il faut augmenter la culture de la légalité.
Pour croyants et non croyants il est nécessaire de se rebeller à la corruption endémique, il ne faut pas céder au désespoir, pensant qu’on n’arrivera jamais à vaincre la corruption. A ce propos le pape François invite tout un chacun à rejeter la « mondanité spirituelle » qui est une tentation sournoise, car celle-ci est un encouragement à l’égoïsme, provoque chez le chrétien un « complexe d’infériorité » qui le conduit à suivre les autres, à faire « comme tout le monde fait ».
Avec cette logique, apparaît moins dans la vie de tous les jours, la « différence chrétienne », ce « parmi vous il ne doit pas être ainsi » (Mc 10, 43), cette règle de conduite que nous rappelle Jésus sur l’exercice du pouvoir.
Si nous réfléchissons bien, le terme même de « corruption » nous renvoie à la corruption du corps causée par la mort.
Il se passe la même chose dans notre vie intérieure et sociale: la corruption est un vase communiquant qui va de la dimension physique à la dimension morale – elle démembre, rend mesquins, empoissonne l’esprit, fait des individus des êtres indifférents et insensibles aux besoins des autres, jusqu’à endurcir les cœurs et à faire mourir.
Traduction d'Océane Le Gall
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