C’est ainsi que, selon le père Bernardo Cervellera, directeur de AsiaNews, plus que de liberté religieuse, il faudrait parler d’une certaine tolérance religieuse. Le P. Cervellera a accordé une interview à l'émission de télévision « Là où Dieu pleure ».
Q : Environ 10% de la population vietnamienne est catholique. Les choses se sont améliorées, mais peut-on parler de liberté religieuse au Vietnam aujourd’hui ?
Père Cervellera : Il y a quelques améliorations. Par exemple, ces dernières années, les séminaires qui auparavant étaient limités à un nombre fixe de candidats, ont été ouverts et les vocations se multiplient. On observe aussi une certaine tolérance de la part du gouvernement envers, par exemple, l’assistance médicale fournie par les religieuses, l’éducation dans les maternelles etc. Je parlerais de tolérance, pas de permission. Dans un certain sens, il y a davantage de liberté, mais toutes ces libertés sont sujettes au bon vouloir du gouvernement qui tantôt les accorde, tantôt non.
Mais les violences continuent contre les chrétiens ?
Dans certaines zones du Vietnam, par exemple au nord et parmi les tribus des montagnes, les violences continuent. A Sung La et dans d’autres diocèses ainsi que dans de petites villes ou villages, les catholiques ne peuvent pas célébrer la messe de Noël ou de Pâque et ont l’interdiction de faire le catéchisme et d’enseigner la foi aux enfants, parce que les autorités locales n’autorisent aucune expression de foi. Concrètement, ils veulent détruire la foi catholique.
D’où tenez-vous vos informations ?
Nos informations proviennent de sources internes vietnamiennes. Il est très dangereux pour eux de nous faire parvenir ces informations. Par ailleurs, plusieurs diocèses au Vietnam ont eu assez de courage pour publier sur leur site Internet les nouvelles et discours des évêques, les analyses et critiques concernant un certain nombre de violations de la liberté religieuse. Donc, nous sommes informés à travers ces sites Internet.
Vous écrivez dans Asia News que la violence anti-catholique est souvent une conséquence de la corruption ?
Une grande partie de la violence contre l’Eglise catholique aujourd’hui au Vietnam est le fait de la subornation et de la corruption des cadres du Parti communiste. Le Vietnam se trouve dans une phase de transition. Auparavant, il y avait une économie communiste centralisée. A présent, le pays s’oriente vers une économie capitaliste et, de ce fait, de nombreux cadres du Parti prennent le contrôle et deviennent propriétaires d’édifices qui appartenaient auparavant aux églises – même des temples bouddhistes ou édifices d’autres confessions. Ceci est illégal car la loi vietnamienne stipule que tous les édifices ou terrains qui ont été expropriés et confisqués à l’Eglise ou à d’autres doivent être restitués quand ces biens ne sont plus utilisés par l’Etat.
Ce serait donc ça le problème ?
Oui, ces cadres communistes s’approprient ces propriétés et en font des lieux de villégiature ou des villas, pour ensuite les revendre dans le marché immobilier, qui est en pleine expansion au Vietnam. Mais l’Eglise cherche à revendiquer ces propriétés. C’est ce qui s’est passé à Hanoï, Saigon, Vinh et beaucoup d’autres endroits – et les catholiques sont dans leur droit en réclamant ces biens. La réponse du régime communiste a été violente. Ils ont arrêté, frappé les catholiques qui réclamaient légitimement la restitution de leurs biens. Un prêtre a été jeté du second étage d’un immeuble, tandis qu’un autre était battu jusqu’à tomber dans le coma. La violence est une façon de museler la voix et les droits des catholiques.
Les catholiques vietnamiens ont besoin de prières…
Chaque Eglise persécutée a besoin de soutien, et surtout à travers la prière : la prière de toute l’Eglise dans le monde parce que personne ne peut résister à la souffrance et la persécution due à l’absence de liberté religieuse sans la force qui vient de la prière. Un autre fait est à prendre en considération : le Vietnam devient de plus en plus un pays entretenant de nombreuses relations commerciales internationales – ces relations commerciales devraient également permettre de faire connaître l’importance des droits de l’homme et le respect de la liberté religieuse. De cette façon, les affaires se porteraient mieux parce qu’en l’absence de liberté religieuse, tous les autres aspects des droits humains, y compris la liberté d’entreprendre des projets économiques, sont en danger.
L’histoire des martyrs du Vietnam expliquerait donc aussi la rapide croissance de l’Eglise ?
Je crois que oui. L’Eglise du Vietnam est, avec celle de Chine, l’une des Eglises les plus persécutées d’Asie, du moins au cours de ces derniers siècles. Aux 18e et 19esiècles, il y a eu peut-être 200 000 martyrs vietnamiens. Ces martyrs ont été le germe d’une nouvelle vie de l’Eglise. Le second aspect qui rend la vie de l’Eglise au Vietnam aussi forte est son unité.
D’où vient cette unité ?
Cette unité vient de l’éducation qu’ils ont reçue des jésuites et aussi des témoignages donnés par l’Eglise au peuple vietnamien tout au long de l’histoire de l’Eglise dans le pays. Les autorités ecclésiastiques jouissent aujourd’hui d’une confiance plus grande que les fonctionnaires du gouvernement.
Un des plus grands témoins a été le cardinal François-Xavier Nguyễn Văn Thuận. Pouvez-vous nous parler un peu de sa vie ?
Il est l’une des grandes personnalités du Vietnam contemporain. François Nguyễn Văn Thuận était prêtre et a été nommé évêque quelques mois avant l’invasion du Vietnam du sud par le Vitenam du nord. Il a été évêque auxiliaire de Saigon durant cette période. Mgr Văn Thuận a tout donné au service du peuple du sud : aux pauvres, aux enfants, pour l’éducation, pour la construction de logements etc..
Pourquoi alors a-t-il été emprisonné ?
Il a été emprisonné, tout d’abord, parce qu’il était apparenté au dernier président du Vietnam du Sud et en second lieu, parce qu’il était évêque. Il était un ardent défenseur de son peuple, et le peuple le suivait. C’est pourquoi il a été emprisonné pendant 13 ans, dont neuf passés dans l’isolement total. Mgr Văn Thuận – plus tard cardinal Văn Thuận – a écrit un livre important, un journal, sur son séjour en prison, dans lequel il dit que dans les moments de désespoir, la prière a été son unique consolation. Dans son livre, il raconte aussi comment il célébrait la messe en secret et comment sa famille lui envoyait des soi-disant « médicaments », qui étaient en fait le vin, et comment il mettait de côté le pain de la prison pour l’hostie. Un journal bouleversant, un livre bouleversant. Un élément très émouvant dans ce livre est que beaucoup de ses gardiens s’étaient liés peu à peu d’amitié avec lui et qu’un grand nombre se sont convertis grâce à son témoignage.
Quelle impression vous a-t-il fait quand vous l’avez rencontré ?
Il était très tranquille. Je l’ai rencontré à Rome. Si mes souvenirs sont exacts, le Vatican a obtenu sa libération contre la promesse faite au gouvernement vietnamien qu’il ne reviendrait jamais au Vietnam. Je l’ai connu alors qu’il était secrétaire du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Il était, comment dire, très calme mais très perspicace et toujours très engagé pour le Vietnam. Il rencontrait les réfugiés ici en Italie ou les gens venant du monde entier pour lui rendre visite. Il passait son temps à travailler et à soutenir l’Eglise du Vietnam avec ce que je définirais un calme serein comme pour dire : « Nous savons que le Christ sera toujours victorieux. Rien ne presse, pas d’angoisse ».
Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer pour l'émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
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