Eminence, vous avez participé au conclave de 2005, caractérisé par une élection rapide du cardinal Joseph Ratzinger. Huit ans après, vous interviendrez à ce nouveau conclave en intervenant dans la phase préparatoire, même si ayant plus de 80 ans, vous ne pourrez pas voter. Les contextes historiques sont différents …
En ligne générale et par principe, tous les conclaves se ressemblent en termes de procédure et de but à atteindre. Certes, les temps changent et aujourd’hui il y a une nouveauté que je voudrais souligner: pour la première fois parmi les cardinaux siègera un cardinal chinois, l’archevêque de Hong Kong John Tong Hon. Pas seulement : il y en aura un, philippin, mais de mère chinoise, le cardinal Luis Antonio Tagle. Tous les deux ont été créés cardinaux l’année dernière : le premier en février, le second lors du petit consistoire de novembre, voulu par Benoît XVI.
Ce qui voudrait dire qu’on ne peut exclure un tournant historique dans l’élection du pape?
Ça je ne peux pas le savoir. Toutefois l’élection d’un cardinal chinois au siège de Pierre serait certainement un événement historique. Et si cela arrivait, les conséquences seraient très importantes. Vous savez que la Chine joue depuis désormais des années un rôle primordial dans le monde, qu’elle l’influence de plus en plus. Les Chinois sont partout. De plus en plus. Avec un pape chinois, la Chine aussi ne pourrait pas ne pas commencer à changer sérieusement chez elle et dans ses rapports avec l’extérieur!
Mais parmi les cardinaux il y en a plus d’un qui font un autre type de raisonnement : Justement parce que l’Europe catholique (et pas seulement) est en pleine crise, nous devons choisir un européen qui vive cette crise sur son dos, la connaisse et serait capable de réagir d’une manière appropriée …
Nous européens nous avons encore souvent une mentalité eurocentrique, comme si nous étions encore des dominateurs. Or, la réalité actuelle est très différente, parce que nous continuons à perdre encore de notre influence. Je ne pense pas que l’on doive choisir le pape en fonction de l’appartenance géographique ou de la couleur de la peau. Le pape est le pape de tous et pour tous, pour l’Europe et pour la Chine. Un Pape, quelle que soit sa couleur, doit connaître les problèmes de l’Eglise et il doit avoir le courage de les affronter comme ont fait Jean Paul II et Benoît XVI …
Deux papes que certains opposent …
Mais non! Moi je les ai bien connus et je sais qu’il ne faut pas les opposer. Tous les deux ont suivi les traces de l’évangélisation. Jean Paul II a été le plus grand missionnaire de l’histoire ; ses voyages étaient des voyages apostoliques, certes pas du tourisme ! Il avait une vision globale de la réalité mondiale. Chez Benoît XVI on a vu apparaître, de manière claire et déterminée, une volonté d’affronter les problèmes les plus urgents de la société, pas seulement d’un point de vue catholique.
Le problème de la famille est universel et de sa crise émergent presque tous les autres problèmes. Y compris celui des jeunes. Les gouvernants devraient donner la priorité au soutien à la famille, indépendamment du fait que nous soyons chrétiens ou pas, car on ne saurait séparer les ‘principes, valeurs chrétiennes » de ceux du genre humain, qui valent pour tous. Jean Paul II est venu rappeler à l’homme l’obligation de vivre selon les valeurs humaines : l’homme est la marche de l’Eglise et tout le pontificat du Wojtyla tendait à mettre en œuvre ce principe.
Le nouveau pape aussi devra miser sur cela …
C’est indispensable. Le nouveau pape devra donc savoir communiquer simplement et donc efficacement. Même un grand théologien comme Joseph Ratzinger a su le faire, a su s’adapter à cette exigence de s’exprimer dans la langue de l’homme d’aujourd’hui, sans naturellement trahir la doctrine.
Les cardinaux sont dans la phase préparatoire du conclave, réunis comme on dit en « congrégations générales » …
L’important est de ne pas faire vite mais bien. Les congrégations générales développent leurs dynamiques intérieures, parfois surprenantes. Pour avoir, tous, les idées claires sur l’état et les problèmes principaux de l’Eglise et sur les personnes susceptibles de pouvoir accéder au siège de Pierre, il nous faut un peu de temps. Et que l’on n’exagère pas avec cette question de l’âge. Comme disait Einstein, « Un homme n'est vieux que quand les regrets ont pris chez lui la place des rêves. ».
[L’entretien avec le cardinal Saraiva Martins a été diffusé sur le quotidien Suisse Il Corriere del Ticino, le 6 mars 2013]
Traduction d'Océane Le Gall
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