Les trois bus de notre pèlerinage montent de nuit vers Jérusalem. Lundi, Tel Aviv, mardi, Jérusalem, seconde arrivée de nuit.
Le cardinal Aron Jean-Marie Lustiger (1926-2007), dont la mémoire vivante est le motif de ce voyage avertit le pèlerin qui croirait que devant Jérusalem sa marche prendra fin: « Jérusalem, toujours, renvoie ailleurs, puisque, aussi bien pour le juif que pour le chrétien – pour le musulman aussi -, pour l’agnostique ou pour l’athée, ce que cette Terre symbolise échappe à jamais à toute possession : la paix, l’unité des hommes, le bonheur, la liberté, Dieu. Le bout du chemin n’est jamais atteint, si ce n’est dans une poursuite du chemin. »
Une alliance d’amour
Demain, mercredi, le mémorial que le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a voulu dédier à l’ancien archevêque de Paris sera inauguré, dans le jardin du monastère bénédictin d’Abu Gosh, fréquenté par chrétiens, juifs et musulmans, dans un village arabe.
Cette journée à Tel Aviv a fait partie des préparations nécessaires, riche de rencontres et d’un accueil exceptionnels, un contact religieux et culturel. A l’Université Bar Ilan, le matin, pour une réflexion sur "Les défis des reponsables religieux dans une société démocratique", avec notamment le recteur, Haim Taitelbaum, le grand rabbin de Ramat Gan, Ariel Yaakov, le cardinal Vingt-Trois, le professeur Yedidia Stern, Mme Yaffa Zilberschats. Et l’après-midi, au fameux théâtre Habima, pour une représentation spéciale du Marchand de Venise de Shakespeare dans une mise en scène audacieuse à la fois poignante et pleine d'humour, de rythme et de surprises, qui a remporté un succès remarquable.
Le pèlerinage, accompagné par l’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois et par l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Jean-Pierre Ricard, a commencé son premier matin par la messe. Chaque messe est unique. Mais cette messe, au cœur de l’université hébraïque de Bar Ilan, portait une émotion particulière, sous le sceau d’une hospitalité unique.
D’emblée, le cardinal Vingt-Trois a souligné ce qu’il appelait un « signe providentiel » : la mémoire liturgique du bienheureux Jean-Paul II, lui qui a « marqué de façon décisive la relation entre chrétiens et juifs » et qui l’a exprimé par des gestes aussi importants que ceux qu’il a posés en Terre sainte ».
Commentant ensuite la lecture de l’Epître aux Romains, l’archevêque de Paris a souligné que « saint Paul nous entraîne dans la contemplation de la figure du Christ, comme clef d’interprétation de l’histoire de l’humanité et de l’histoire spirituelle de l’humanité » : c’est « l’histoire de l’alliance voulue avec le Peuple élu et appelée à s’accomplir dans l’humanité tout entière », qui « comprend toute l’histoire humaine, histoire des choix de la liberté humaine et de l’élection d’Israël, de la venue du Christ accomplissant la promesse faite à Israël », « une alliance d’amour qui s’accomplit à travers le choix de la liberté humaine ».
Mémorial en terre de France
Voilà le cadre de cette « action de grâce pour l’histoire de Jean-Marie Lustiger et pour la porte ouverte devant nous pour entrer dans cette histoire d’alliance et répondre à la réconciliation que Dieu veut accomplir avec l’humanité », chemin pour devenir « des témoins de la miséricorde de Dieu dans ce monde, et des témoins de l’espérance ».
Le soir, le nouvel ambassadeur de France en Israël, qui vient de présenter ses lettres de créance, le 10 octobre, M. Patrick Maisonnave, a accueilli ces étonnants voyageurs que nous sommes, aux côtés duConseiller pour les affaires religieuses au ministère des Affaires étrangères, M. Roland Dubertrand.
M. Maisonnave a notamment affirmé que la France « est heureuse de pouvoir contribuer à renforcer le dialogue entre les religions », mentionnant une « responsabilité » vis-à-vis des chrétiens d’Orient, et il a spécialement mentionné les chrétiens de Syrie.
Pour ce qui est de l’inauguration du mémorial d’Abu Gosh, il a rendu hommage au « rôle décisif du cardinal Lustiger pour rapprocher juifs et chrétiens ». L’endroit, a-t-il ajouté, est « bien choisi », puisque c’est un « domaine français », un lieu marqué par la « coexistence pacifique » de communautés vivant ailleurs dans un « environnement marqué par la défiance et l’hostilité ». Et il a salué « l’engagement personnel » de l’ancien président du CRIF, M. Richard Prasquier, dans ce projet de mémorial.
Le rôle de la francophonie
Le cardinal Vingt-Trois a salué la présence de M. Dubertrand qui représente le ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, à l’inauguration du mémorial. Il a exprimé sa « reconnaissance » au ministre pour ce mémorial construit dans un monastère qui est « propriété de la République » et qui jouit d’une situation en quelque sorte « extraterritoriale » : c’est une « terre de France » au cœur du pays, et dans une communauté – des bénédictins olivétains et des bénédictines -, pour laquelle les relations entre juifs et arabes n’est pas un « événement exceptionnel » et veut « contribuer à une meilleure compréhension entre les communautés et semer des germes de paix ».
Dans ce sens, le cardinal Vingt-Trois considère que la francophonie joue un rôle tout à fait particulier : « jusqu’à une date récente », le français était le « véhicule » d’une certaine « communauté culturelle » entre gens qui, par ailleurs, s’opposaient.
Il s’agit donc, pour l’archevêque, de contribuer à « développer la capacité culturelle que représente » la langue française, comme une « porte pour entrer dans une culture humaniste sans laquelle la tolérance ne serait qu’un cache-misère pour recouvrir l’incompatibilité et l’horreur ».
Il souhaite que les responsables des communautés « trouvent dans le français le signe visible de la disponibilité de notre pays non pas à être un ‘agent double’ mais un ‘agent de liaison’ qui peut être un tiers nécessaire pour que ceux qui ont des difficultés à se parler puissent le faire ».
L’importance des pèlerinages
De fait, les pèlerinages « irriguent la relation avec la communauté juive et avec la communauté palestinienne », et, face au « risque » que les chrétiens « disparaissent des écrans radars », les « relations directes avec les communautés chrétiennes du Moyen Orient sont un objectif en elles-mêmes » : un « signe que ces chrétiens des premières heures ne sont pas oubliés par les chrétiens des dernières heures ».
L’archevêque a annoncé qu’en 2014 un nouveau « pèlerinage national des étudiants » sera organisé pour permettre aux nouvelles générations cette découverte, cette expérience, et que le lien au judaïsme ne constitue pas une « idéologie », mais un lien « charnel, physique » et que le lien aux communautés chrétiennes du Moyen Orient n’est pas une « clause de style mais communion ».
Dans cet esprit, le passage d’un pèlerinage en mémoire du cardinal Lustiger pourra laisser « une trace » du fait que « nous n’acceptons pas que la religion soit signe et facteur de division », mais bien « signe et facteur de communion ».
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