5. Le pape Benoît XVI et le dialogue avec les juifs
Il ne fait aucun doute que les grands efforts entrepris par le Pape Jean-Paul II en faveur du dialogue judéo-catholique a été légitimé et soutenu théologiquement par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi d’alors, le cardinal Joseph Ratzinger. Dans le cadre de ses fonctions de cette époque, il a maintenu un contact personnel avec les juifs et il a publié des articles novateurs sur la relation spécifique du christianisme au judaïsme dans le contexte des religions du monde.[1] Le fondement de ce point de vue de Joseph Ratzinger, comme théologien, se trouve dans sa conviction que l’Ecriture Sainte ne peut être comprise que comme un seul livre, comme il l’explique lui-même dans une note biographique : « L'étape décisive, pour moi, fut donc de chercher à comprendre le lien entre l'Ancien et le Nouveau Testament, qui est le fondement de toute la théologie patristique. Cette théologie dépend de l'interprétation de l'Écriture ; le noyau de l'exégèse patristique est le « testamentorum concordia » par la médiation du Christ dans l'Esprit Saint »[2]. Sur cette base, il est évident pour Joseph Ratzinger qu'il ne peut pas y avoir d’accès à Jésus, et donc pas d'entrée des nations dans le peuple de Dieu, sans l'acceptation dans la foi de la révélation de Dieu qui parle dans l'Ecriture Sainte, que les chrétiens nomment l'Ancien Testament. C’est donc, pour lui, une préoccupation essentielle de démontrer les liens profonds qui existent entre les thèmes du Nouveau Testament et le message de l'Ancien Testament en sorte que, d’une part la continuité intrinsèque entre le Nouveau et l'Ancien Testament et d’autre part l'innovation du message du Nouveau Testament en sont clairement illuminées. Par exemple, dans son livre sur Jésus de Nazareth, qui a été accueilli avec une gratitude particulière de la part des Juifs,[3] le verdict de Joseph Ratzinger sur le procès de Jésus, à savoir que le rapport biblique du procès de Jésus ne peut pas servir de base pour quelque affirmation de la culpabilité collective des juifs que ce soit, était déjà clairement perçu par le théologien Ratzinger : « Le sang de Jésus n’entraîne pas d'appel à des représailles, mais il appelle tous à la réconciliation. Il est devenu lui-même, comme le montre la lettre aux Hébreux, le Jour éternel des Expiations de Dieu »[4].
Dans le contexte de ces convictions théologiques, on n’est donc pas surpris que le pape Benoît XVI poursuive et fasse progresser le travail de conciliation de son prédécesseur en ce qui concerne le dialogue judéo-catholique. C’est au grand rabbin de Rome qu’il a adressé la première lettre de son pontificat; et il a aussi, lors de sa première rencontre avec une délégation juive, le 9 juin 2005, donné l'assurance que l'Eglise avançait résolument sur les principes fondamentaux de « Nostra Aetate » et qu’il avait l’intention de poursuivre le dialogue sur les traces de ses prédécesseurs. En passant en revue les sept années de son pontificat, nous constatons que, dans ce court espace de temps, Benoît XVI a fait toutes les démarches que le Pape Jean-Paul II a accomplies en 27 ans de pontificat : il a visité l'ancien camp d’extermination d'Auschwitz-Birkenau, le 28 mai 2006 ; lors de sa visite en Israël en mai 2009, il est allé lui aussi devant le Mur des Lamentations, il s'est entretenu avec le Grand Rabbinat de Jérusalem et a prié pour les victimes de la Shoah à Yad Vashem et, le 17 janvier 2010, il a été chaleureusement accueilli par la communauté juive à Rome, dans la synagogue. Sa première visite d'une synagogue avait déjà eu lieu, bien sûr, le 19 Août 2005 à Cologne, à l'occasion de la Journée mondiale de la jeunesse, et le 18 avril 2008, il a visité la synagogue de Park East à New York. Nous pouvons affirmer avec gratitude qu’aucun pape dans l'histoire n’a visité autant de synagogues que Benoît XVI.
Toutes ces activités sont, bien sûr, marquées par son propre style. Alors que le Pape Jean-Paul II avait un sens raffiné des grands gestes et des images fortes, Benoît XVI s’appuie avant tout sur la puissance de la parole et de l’humble rencontre. Il en a donné une expression particulièrement claire lors de sa visite au mémorial de Yad Vashem quand il a délibérément fait allusion au nom de ce lieu et médité sur le caractère inaliénable donné par Dieu au nom de chaque personne : « Il est possible de tisser un réseau insidieux de mensonges pour convaincre les autres que certains groupes ne méritent pas d’être respectés. Néanmoins, quoi que vous fassiez, il est impossible d’enlever son nom à un être humain ».[5] Il faut aussi accorder une mention spéciale à l’inimitable méditation spirituelle donnée par le pape Benoît XVI sur le Décalogue, qu’il a désigné comme l’ « étoile polaire de la foi et de la moralité du peuple de Dieu », lors de sa visite à la Grande synagogue de Rome. Ainsi, le pape Benoît XVI s'efforce sans cesse, par la puissance de ses mots et par sa profondeur spirituelle, de mettre en valeur les multiples richesses du patrimoine spirituel commun du judaïsme et du christianisme et d’ajouter de la profondeur théologique aux lignes directrices établies par la déclaration « Nostra Aetate », à laquelle nous reviendrons dans la conclusion.
(à suivre)
Traduction de l'anglais par ZENIT [Hélène Ginabat]
NOTES:
[1] J. Cardinal Ratzinger, “Die Vielfalt der Religionen und der eine Bund” (Urfeld 1998).
[2] Préface de la nouvelle édition de J. Ratzinger, « Le Peuple et la maison de Dieu dans la doctrine ecclésiale de saint Augustin », (St Ottilien 1992) XI-XX, cit. XV
[3] Cf. J. Ratzinger – Benoît XVI, « Jésus de Nazareth. La semaine sainte : De l’entrée dans Jérusalem à la résurrection » (…), en particulier … : « le procès de Jésus ».
[4] J. Cardinal Ratzinger, « Jesus von Nazareth, Israel und die Christen. Die Beziehung und ihr Auftrag nach dem Katechismus der katholischen Kirche von 1992“, in „Evangelium – Katechese – Katechismus. Streiflichter auf den Katechismus der katholischen Kirche“ (Munich 1995) 63–85, cit. 81.
[5] Benoît XVI, “Nessuno neghi o dimentichi la Shoah. Visita al Memoriale di Yad Vashem, 11 maggio 2009”, in : Enseignements de Benoît XVI, V, 1 2009 (Cité du Vatican 2010) 787-789, cit. 787.
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