Il semble que le Saint-Siège rencontre des difficultés persistantes avec le monde des médias. Beaucoup d’analystes soulignent même une certaine difficulté de l’Eglise à communiquer
Nous sommes effectivement confrontés à un problème d’une extrême gravité.
Les messages de l’Eglise sont soumis à une forme de manipulation et de falsification de la part d’un certain nombre de médias occidentaux. J’observe une fixation de certains journalistes sur les thèmes moraux, comme l’avortement ou les unions homosexuelles, qui sont bien sûr des enjeux très importants, mais qui ne résument absolument pas la pensée et l’oeuvre de l’Eglise. Ainsi, force est de constater le peu d’échos apporté par la presse aux activités sociales et caritatives des milliers d’organisations catholiques dans le monde. Pourquoi ce silence assourdissant ? Si nous repensons au discours du pape à Ratisbonne, je ne comprends pas l’erreur des médias qui n’ont jamais souligné que les propos du Saint-Père ne portaient pas spécifiquement sur l’islam, que le thème central de son intervention était celui de Dieu présent au centre de la vie sociale, une société sans Dieu étant destinée à l’autodestruction. La pensée de Benoît XVI a été proprement occultée. Les commentateurs qui isolent des phrases, dans une extrapolation fallacieuse des choses, se livrent à un exercice malhonnête de leur métier.
Archevêque de Gênes, vous avez eu des propos très virulents contre le livre et le film « Da Vinci code ». A posteriori, comment jugez-vous ce phénomène ?
Nous retrouvons aujourd’hui le même type d’attaque avec le film de James Cameron, qui prétend avoir retrouvé l’ossuaire du Christ et de sa famille. Il s’agit d’une stratégie menée contre l’Eglise et
contre la figure divine du Christ. Ces campagnes cherchent à saper la foi du peuple chrétien et la confiance des fidèles envers l’Eglise. Concernant le Da Vinci code, il était impossible, même dans le cadre d’une oeuvre romanesque, de laisser sans réponse de telles inventions et de telles
stupidités, qui ont pour seule source la malveillance la plus cupide. Les évangiles apocryphes, auxquels ces films ou ces livres se réfèrent, ne sont pas, comme certains cherchent à le faire croire, une découverte contemporaine. La plupart de ces textes sont connus depuis l’Antiquité. Les évangiles apocryphes les plus anciens remontent au IIIe siècle après. J.-C., alors que les Evangiles reconnus par l’Eglise ont été écrits, au plus tard, quelques décennies après la vie, la mort et la résurrection du Christ. Les auteurs qui cherchent à semer la confusion entre ces deux sources profitent de l’ignorance religieuse. L’Eglise doit donc reprendre en main l’organisation de la catéchèse, renouveler la prédication de ses pasteurs et dénoncer systématiquement les mensonges. Le Saint-Père résume parfaitement ce combat en expliquant que nous avons le devoir d’affirmer ensemble les raisons historiques, philosophiques et théologiques de la foi.
Pourquoi Benoît XVI donne-t-il à la lutte contre le relativisme une place aussi importante ?
La dénonciation des ravages du relativisme constitue un défi historique pour l’Eglise. Car une société qui considère que rien n’a vraiment d’importance et que tout se vaut ne peut plus reconnaître une vérité absolue, ni même partager des valeurs universelles. Le pape veut rappeler l’importance du droit naturel, sur lequel se fondent les normes de la communauté internationale.
Le procès de Nuremberg n’aurait pu avoir lieu sans les bases d’une morale naturelle reconnue, qui précède les autres lois. Dans la Lettre aux Romains, saint Paul écrit bien que cette morale est inscrite dans le coeur de l’homme. Il faut combattre le relativisme en cherchant à expliciter le véritable lien qui existe entre la foi et la raison : la foi et la raison ne s’opposent pas.
L’introduction d’une nouvelle religion sur le sol européen, avec l’islam, ne représente-t-elle pas un autre défi nouveau pour l’Eglise ?
Le multiculturalisme est aujourd’hui un fait dans un certain nombre de pays européens, en particulier la France. L’Eglise en prend acte, et entend naturellement se mesurer à cette situation.
La présence catholique et chrétienne en Europe présuppose une affirmation sans complexe de notre identité. Nous revenons ainsi à l’impérieuse nécessité de la catéchèse et de l’éducation, en
particulier l’éducation morale. Les racines chrétiennes de l’Europe sont avant tout des repères spirituels et moraux. La connaissance de ce que nous sommes permet la confrontation et le dialogue avec d’autres cultures et d’autres visions de l’homme. Dans son discours de Ratisbonne, le Saint-Père a bien précisé qu’une saine confrontation avec l’islam n’est pas
seulement une nécessité de fait, mais une exigence afin de concevoir les principes qui peuvent nous unir, ainsi que nos différences. Au-delà de la vaine polémique qui a suivi ce discours, de nombreux penseurs de l’islam ont perçu positivement cette invitation du pape à confronter nos deux systèmes.
Dans nos sociétés laïques, quelle peut être la place de l’Eglise dans l’espace public ?
La laïcité, c’est l’autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse, non par rapport à la morale. Je regrette que certains Etats, en particulier la France, se soient tant opposés à l’inscription des racines chrétiennes dans le projet non abouti de Constitution européenne. Il ne faut pas confondre la laïcité et le laïcisme. La foi n’est pas un fait privé : elle touche l’ensemble des composantes de la vie de la cité. En France, la foi a été le moteur d’oeuvres sociales caritatives immenses, telles que la Société de Saint-Vincent-de-Paul ou le
Secours catholique. La foi exige donc une grande visibilité.