Aujourd'hui, en cette Journée internationale de la mémoire des victimes de la Shoah, adoptée par les Nations Unies en 2005, c'est l'occasion, comme le fait Radio Vatican, de rappeler les différentes interventions de Benoît XVI sur « cette tragédie qui a marqué l'histoire du XXe siècle », depuis son élection en avril 2005.
Radio Vatican cite en particulier comme « historiques » et « émouvantes » les visites du pape au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau en 2006 et au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, le 11 mai 2009 (le pape y évoque le « nom » des victimes, indélébile dans la mémoire de l'humanité), mais aussi sa condamnation du négationnisme et du « réductionnisme », à l'occasion de la Journée de la mémoire de 2009.
Mais c'est aussi l'occasion de rappeler que dans son livre « Lumière du monde », le pape dit préférer, pour désigner le rapport entre juifs et chrétiens, l'expression « nos pères dans la foi » à l'expression « frères aînés », et il explique pourquoi.
La mémoire de la Shoah à Auschwitz
Dans son allocution à Auschwitz-Birkenau, auprès des stèles en différentes langues, le pape « allemand » comme il le dit, avoue qu'il préférerait le silence aux discours en ce lieu : « Prendre la parole dans ce lieu d'horreur, d'accumulation de crimes contre Dieu et contre l'homme, lieu qui est sans égal au cours de l'histoire, est presque impossible – et particulièrement difficile et opprimant pour un chrétien, pour un Pape qui vient d'Allemagne. Dans un lieu comme celui-ci, les paroles manquent; en réalité, il ne peut y avoir qu'un silence effrayé – un silence qui est un cri intérieur vers Dieu: Pourquoi, Seigneur, es-tu resté silencieux? Pourquoi as-tu pu tolérer tout cela? C'est dans cette attitude de silence que nous nous inclinons au plus profond de notre être, face à l'innombrable foule de tous ceux qui ont souffert et qui ont été mis à mort; toutefois, ce silence devient ensuite une demande de pardon et de réconciliation, formulée à haute voix, un cri au Dieu vivant, afin de ne plus jamais permettre une chose semblable ». Il met ses pas dans ceux du pape polonais, le 7 juin 1979.
Il insiste sur le sens de la visite du pape « allemand » après celle du pape polonais : « Le Pape Jean-Paul II était venu ici comme un fils du peuple polonais. Aujourd'hui, je suis ici comme fils du peuple allemand, et c'est précisément pourquoi je dois et je peux dire comme lui: je ne pouvais pas ne pas venir ici. Je devais venir. C'était et c'est un devoir face à la vérité et au droit de ceux qui ont souffert, un devoir devant Dieu d'être ici, en tant que Successeur de Jean-Paul II et en tant que fils du peuple allemand – fils du peuple dans lequel un groupe de criminels arriva au pouvoir au moyen de promesses mensongères, au nom de perspectives de grandeur, au nom de l'honneur retrouvé de la nation et de son importance, par des perspectives de bien-être, mais également par la force de la terreur et de l'intimidation, de sorte que notre peuple a pu être utilisé et abusé comme instrument de leur soif de destruction et de domination. Non, je ne pouvais pas ne pas venir ici. »
Mais il rappelle aussi sa présence, aux côtés de Jean-Paul II et une autre visite: « Le 7 juin 1979, je me trouvais ici comme Archevêque de Munich-Freising parmi les nombreux Evêques qui accompagnaient le Pape, qui l'écoutaient et qui priaient avec lui. En 1980, je suis ensuite revenu une fois de plus dans ce lieu de l'horreur avec une délégation d'Evêques allemands, bouleversé par tant de mal et plein de reconnaissance parce que sur ces ténèbres avait brillé l'étoile de la réconciliation ».
« Telle est encore la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui: pour implorer la grâce de la réconciliation – avant tout de Dieu, qui seul peut ouvrir et purifier nos coeurs; puis des hommes qui ont souffert, et enfin la grâce de la réconciliation pour tous ceux qui, en cette heure de notre histoire, souffrent à nouveau à cause du pouvoir de la haine et de la violence fomentée par la haine », a ajouté le pape.
Il y pose la question du silence de Dieu : « Combien de questions nous envahissent en ce lieu! La même question revient toujours à nouveau: Où était Dieu en ces jours-là? Pourquoi s'est-il tu? Comment a-t-il pu tolérer cet excès de destruction, ce triomphe du mal? »
Un mal qu'il exprime aussi en ces termes : « Les potentats du Troisième Reich voulaient écraser le peuple juif tout entier; l'éliminer du nombre des peuples de la terre. Alors, les paroles du Psaume: "On nous massacre tout le jour, on nous traite en moutons d'abattoir" se vérifièrent de façon terrible ».
« Nous pouvons ainsi espérer que du lieu de l'horreur naisse et croisse une réflexion constructive et que le souvenir aide à résister au mal et à faire triompher l'amour », a aussi déclaré Benoît XVI.
Le pape et la Journée de la mémoire
Pour la Journée de la mémoire, le pape a prononcé ces paroles, au terme de l'audience générale du 28 janvier 2009 : « En ces jours où nous rappelons la Shoah, me reviennent en mémoire les images recueillies lors de mes visites répétées à Auschwitz, l'un des camps dans lesquels a eu lieu le massacre atroce de millions de juifs, victimes innocentes d'une haine raciale et religieuse aveugle. Alors que je renouvelle avec affection l'expression de ma pleine et indiscutable solidarité avec nos frères destinataires de la Première Alliance, je souhaite que la mémoire de la Shoah incite l'humanité à réfléchir sur la puissance imprévisible du mal lorsqu'il conquiert le cœur de l'homme ».
Le pape reprend la terme des stèles de Birkanau : « avertissement » en disant : « Que la Shoah soit pour tous un avertissement contre l'oubli, contre la négation ou le réductionnisme, car la violence contre un seul être humain est une violence contre tous. Aucun homme n'est une île, a écrit un poète célèbre ».
« Que la Shoah enseigne en particulier aux anciennes et aux nouvelles générations, a insisté le pape, que seul le chemin difficile de l'écoute et du dialogue, de l'amour et du pardon conduit les peuples, les cultures et le religions du monde à l'objectif souhaité de la fraternité et de la paix dans la vérité. Que jamais plus la violence n'humilie la dignité de l'homme! »
Une violence que le jeune Joseph Ratzinger a vécu, comme il l'évoque à l'angélus du 9 novembre 2008, pour le 70e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), appelant les catholiques à une « profonde solidarité avec le monde juif ».
« C'est aujourd'hui le 70e anniversaire de ce triste événement qui a eu lieu dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, lorsque s'est déchaînée en Allemagne la furie nazie contre les juifs. Les commerces, les bureaux, les habitations, et les synagogues furent attaqués et détruits, et de nombreuses personnes furent également tuées, ce qui fut le début de la persécution violente et systématique des juifs allemands qui déboucha sur la Shoah », a rappelé Benoît XVI.
Benoît XVI prononce un nouvel appel au « jamais plus », et insiste sur le devoir d'éduquer les jeunes dans le respect de l'autre. « Aujourd'hui encore, je ressens douloureusement ce qui est arrivé à cette tragique occasion, dont le souvenir doit servir à faire en sorte que des horreurs semblables ne se répètent jamais plus et que l'on s'engage, à tous les niveaux, contre toute forme d'antisémitisme et de discrimination, en éduquant surtout les jeunes générations au respect et à l'accueil réciproque », a déclaré le pape.
Le pape demande aux catholiques de manifester leur « solidarité » avec la communauté juive. « J'invite en outre, a ajouté Benoît XVI, à prier pour les victimes d'alors et à vous unir à moi en manifestant une profonde solidarité avec le monde juif ».
Dans sa salutation en allemand, le pape a évoqué ces « terribles événements » qui ont eu lieu dans ce qui était « alors le Reich allemand », lorsque « les citoyens juifs » ainsi que leurs biens et leurs synagogues sont devenus « l'objectif d'actes de violence destructeurs et indignes ».
Benoît XVI a dit prier, « en souvenir des victimes » pour demander l'aide de Dieu pour la « construction d'une société » où des gens « de différentes religions et de différents peuples puissent vivre ensemble dans la paix et la justice ».
Visite à la synagogue de Rome
L'an dernier à l'occasion de la Journée de dialogue avec le judaïsme, le 17 janvier en Italie, le pape s'est rendu à la grande synagogue de Rome où il a reconnu amèrement que de nombreux catholiques sont restés indifférents au drame de la shoah. Il y a aussi rappelé le caractère irréversible du chemin d'amitié entre juifs et catholiques depuis notamment le concile Vatican II et « Nostra Aetate ». Il a demandé pardon pour les souffrance infligées par les chrétiens au peuple juif : « l'Eglise n'a pas manqué de déplorer les fautes de ses fils et de ses filles, en demandant pardon pour tout ce qui a pu favoriser d'une manière ou d'une autre les plaies de l'antisémitisme et de l'antijudaïsme » (cf. Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme, Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah, 16 mars 1998).
« Il me revient à l'esprit, a ajouté Benoît XVI, la prière pleine de tristesse au Mur du Temple à Jérusalem du Pape Jean-Paul II, le 26 mars 2000, qui résonne avec vérité et sincérité au plus profond de notre cœur : « Dieu de nos pères, tu as choisi Abraham et sa descendance pour que ton Nom soit apporté aux peuples : nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l'histoire, les ont fait souffrir, eux qui sont tes fils, et, en te demandant pardon, nous voulons nous engager à vivre une fraternité authentique avec le peuple de l'Alliance ».
Les Juifs, nos « pères dans la foi »
Il semble que le pape ait fait faire un saut à la réflexion sur les rapports entre juifs et catholiques dans son livre-entretien avec Peter Seewald « Lumière du monde » (Bayard 2011) en employant cette expression : « nos pères dans la foi ».
Benoît XVI évoque sa formation théologique et le lien inextricable entre Premier et Nouveau Testament. Il ajoute : « Nous avons été touchés en tant qu'Allemands par ce qui est arrivé sous le IIIe Reich, et nous nous en sommes d'abord tenus à regarder le peuple d'Israël avec humilité et honte, et avec amour », avec un impact non-indifférent sur sa pensée théologique.
A propos des « frères aînés », il fait observer : « Les juifs n'aiment pas trop entendre les mots « le frère aîné », que Jean XXIII employait déjà. Dans la tradition juive, le « frère aîné », Ésaü, est aussi le frère réprouvé. On peut quand même employer ces mots parce qu'ils disent quelque chose d'important. Mais il est exact que les Juifs sont aussi nos « pères dans la foi ». Et ces mots rendent peut-être encore plus visible la manière dont nous sommes liés. »
Anita S. Bourdin
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