Tous les vendredis, des milliers de chrétiens et une poignée de musulmans affluent vers l’église copte de Saint-Marc au Caire, où le père Makari Younane chasse les démons depuis plus de trente ans.
Le vieil homme à la barbe blanche asperge énergiquement d’eau bénite ceux qui ont accouru de toute l’Égypte, et parfois même des États-Unis, pour se faire exorciser ou bénéficier d’une guérison « miraculeuse ». Tout au long du service de trois heures, des cris s’élèvent d’entre les bancs de l’église, où se tordent des Égyptiens « possédés ». Certains finissent par s’évanouir. Ils sont ensuite posés près de l’autel en attendant d’être exorcisés. « Ça n’allait pas bien du tout dans ma tête », affirme une Égyptienne, baignée de sueur et d’eau bénite. « J’étais fatiguée, j’étais envoûtée, mais Dieu m’a guérie et c’est fini », ajoute-t-elle.
Une autre femme, extatique, dit venir à la messe chaque semaine depuis qu’elle a vécu un « miracle » : « J’ai eu un enfant. Ensuite, pendant dix ans, je n’arrivais pas à tomber enceinte, j’ai donc commencé à venir ici. Dieu m’a alors guérie et je suis tombée enceinte. »
Pour le père Makari, « certains ont des problèmes de santé, d’autres sont ensorcelés et d’autres encore sont possédés par le démon. Il y en a aussi qui ont des problèmes familiaux ou des soucis financiers ». Le prêtre dit avoir découvert son pouvoir par hasard, lorsqu’il a guéri par une prière un homme possédé rencontré dans la rue. Depuis, « je le fais pour Dieu et pour Jésus », affirme-t-il.
Le père Makari a sa propre équipe de production vidéo, qui compte plusieurs cameramen et se tient prête à filmer toute guérison. Devant l’église, des enregistrements vidéo et audio des exorcismes et de sermons sont en vente. Le service est aussi retransmis sur des écrans géants pour que les milliers de personnes assises devant l’église puissent le voir en direct.
Le prêtre Makari dit avoir été critiqué par des médias égyptiens en raison de la présence de musulmans lors des services. « Je ne guéris pas les gens, c’est Jésus qui le fait. Pour moi, il n’y a aucune différence entre musulmans et chrétiens. Tout est fait au nom de Jésus », réagit-il, en disant « ne rien demander en échange ». « Il est normal que des musulmans et des chrétiens viennent à l’église », estime Nour, une adolescente musulmane. « Les musulmans viennent pour être guéris par le prêtre. Il est vraiment très gentil, il nous guérit quand nous en avons besoin. »
En Égypte, il est de coutume que musulmans et chrétiens (ces derniers formant de 6 à 10 % de la population selon les estimations) célèbrent des fêtes ensemble. Certains dignitaires religieux musulmans, comme le cheikh Ali Abdel Baqi, directeur du Centre de recherches islamiques de l’université al-Azhar, affirment que le fait d’être « possédé » est lié à des problèmes physiques ou psychologiques mal identifiés. Pour eux, le lieu où la personne est « guérie » est sans importance. « Les démons n’existent pas, affirme le cheikh. Tout ça, c’est psychologique, ce qui signifie que n’importe qui peut guérir. Cela peut se passer n’importe où, dans le cabinet d’un médecin par exemple. Ce n’est pas interdit par l’islam. »
Pour l’Église copte, qui reconnaît les activités du père Makari, seule une personne se disant possédée sur 1 000 l’est réellement. « 99 % d’entre elles ont juste des problèmes psychologiques », affirme le père Abdel Messih, professeur de théologie à l’Institut des études coptes. « Il y a beaucoup de problèmes dans la société. La situation est mauvaise et se détériore », explique la sociologue Madiha al-Safti. Chômage, flambée des prix et malaise social se conjuguent alors, d’après elle, pour constituer un « terrain fertile pour que les fantasmes prennent le dessus ».
Charles ONIANS (AFP)
L'Orient le jour- 26/3/2008