Nous sommes deux fois scandalisés ; une première fois par les abus sexuels que des clercs, trop nombreux, ont commis envers des enfants
et qui ont été souvent couverts de façon inadmissible ; une seconde fois par l’hypocrisie et la malveillance dont font preuve les adversaires de l’Église en s’emparant de n’importe quel prétexte pour s’attaquer à Elle, et plus particulièrement à Benoit XVI. Nous n’avons cependant pas jugé bon de prendre la plume jusqu’à présent : les évêques de France ont procédé aux mises au point nécessaires, et parmi eux Mgr Dominique Rey [1]. Deux raisons nous conduisent à sortir de cette réserve, en notre qualité de catholiques laïcs, fidèles à l’Église dans toute la mesure de nos moyens, et engagés dans la vie publique.
La première est bénigne ; elle provient de la pétition de soutien au pape qui circule [2]. Nous comprenons l’indignation qui pousse ses auteurs à réagir, et nous partageons l’affection qu’ils veulent exprimer envers notre Saint Père. Néanmoins, nous pensons qu’ils s’embarquent dans une voie hasardeuse, qui consiste à opposer au bruit médiatique un autre bruit médiatique : à ce jeu, ils n’ont aucune chance de gagner. Surtout, la bataille est d’un autre ordre.
En outre, le texte proposé comporte une approximation rédactionnelle gênante : faut-il vraiment « assumer » le poids des crimes de certains prêtres et les défaillances de leurs supérieurs ? Nous ne voulons pas tomber dans le piège d’une culpabilité collective où nos adversaires voudraient nous enfermer, qui gommerait le caractère personnel des fautes commises et par conséquent des sanctions à prendre, et qui diluerait dans le pathos les mesures indispensables de redressement. Autre chose est la demande de pardon formulée envers les victimes par Benoît XVI en sa qualité de pasteur universel, ce que les fidèles ne sont pas, et comme Jean-Paul II l’avait fait avant lui : elle exprime l’engagement de l’Église à corriger et réparer ce qui doit l’être.
La seconde raison est beaucoup plus sérieuse. Elle est suscitée par ceux de nos frères chrétiens qui se mettent à hurler avec les loups et qui entendent utiliser les affaires de pédophilie pour s’en prendre à l’institution ecclésiale et régler leurs comptes avec elle. Nous visons en particulier la tribune publiée le 9 avril dernier dans le journal Le Monde par diverses personnalités catholiques connues, prêtres ou laïcs en charge de responsabilités ecclésiales [3]. Nous y décelons une triple falsification de la vérité.
Trois falsifications inadmissibles de la part de catholiques
La première falsification porte sur le contenu même de la lettre du pape aux Irlandais. Non, elle ne se réduit pas à des excuses et à une demande de pardon. Cette lettre, dont le contenu véritable a été largement escamoté, comporte une série de mesures précises, lourdes et d’ampleur inégalée : demande aux Irlandais de consacrer une année de pénitence le vendredi (jeûne, prière, lecture de la Sainte Écriture, œuvres de miséricorde) jusqu’à Pâques 2011, à titre de réparation pour obtenir la grâce de la guérison et du renouveau ; adoration eucharistique à organiser dans tous les diocèses ; envoi par Rome de Visites apostoliques (en d’autres termes, des missions d’inspection) dans un certain nombre de diocèses, séminaires, et congrégations religieuses ; organisation d’une Mission au niveau national pour tous les évêques, prêtres et religieux [4]. Excusez du peu ! Il n’y a pas de précédent dans l’histoire moderne de l’Église.
La deuxième falsification consiste à laisser croire que le Saint Siège a entretenu et entretient encore le silence et la complicité sur ce genre d’affaire. Faut-il rappeler que dès 2002, Jean Paul II et les évêques américains ont entrepris de « faire le ménage » aux Etats-Unis, avec des résultats tangibles ? Si les non chrétiens sont éventuellement excusables de ne pas connaître les arcanes du droit canonique (encore qu’un journaliste respectueux de sa déontologie ait le devoir de s’informer), les auteurs de cette tribune, eux, ne le sont pas. Les normes édictées dès cette époque (mesures préventives de protection dès lors qu’il y a présomption sérieuse d’abus sexuel sur mineur, envoi systématique du dossier canonique à Rome précisément pour éviter l’enlisement local, saisine systématique de la justice civile, etc. [5]) ont permis d’entreprendre un réel nettoyage de l’abcès.
La troisième falsification porte sur le lien suggéré entre pédophilie et célibat sacerdotal. On sait que c’est faux : les trois quarts des actes de pédophilie sont commis par des gens mariés ; et ils le sont soit dans les familles (il serait d’ailleurs intéressant d’étudier la corrélation entre leur occurrence et la décomposition familiale) soit dans les enceintes qui hébergent des enfants et adolescents, à commencer par les écoles et certains lieux de loisir, quel qu’en soit le statut.
Bien plus, s’il existe une particularité propre au milieu ecclésiastique sur ce sujet, c’est celle que la cardinal Tarcisio Bertone a souligné, en dépit du tollé hypocrite qu’elle a suscité, à savoir le lien fréquent (même s’il n’est pas général) entre les tendances homosexuelles et la pédophilie [6]. Ce détournement de réalité n’a qu’un but : permettre aux signataires de ressortir leurs vieilles revendications à l’encontre de la discipline de l’Église dont ils ont choisi d’ignorer les fondements théologiques, et de l’exercice de l’autorité dans laquelle ils ne voient qu’un « pouvoir » humain. Ils se sont ainsi modelés sur les canons d’un monde dont l’approbation compte davantage à leurs yeux que le service auquel ils ont été appelés.
Dans la persécution, être fidèle jusqu’au bout
Le chroniqueur d’un hebdomadaire non religieux faisait récemment observer que, en ne se pliant ni aux diktats médiatiques ni au conformisme politico-culturel de notre époque, mais en poursuivant sa remise en ordre avec lucidité dans sa perception de la situation de l’Église et avec fermeté dans sa conduite pastorale, Benoit XVI fait sans doute preuve d’un bien plus grand « sens politique » que tous les donneurs de leçons ; mais il le fait dans la perspective du Royaume qui n’est pas celle du monde. C’est sans doute la raison pour laquelle les attaques contre lui se font de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes.
Ces attaques ne devraient pas nous surprendre. Comme Mgr Rey l’a souligné dans l’homélie précitée, l’Église est « la seule autorité morale capable de rappeler à l’homme ses principes d’humanité », et « la préoccupation de certains (est) de saper par avance et systématiquement (son) autorité au moment où des choix décisifs dans l’ordre éthique et anthropologique sont en jeu dans le monde ». Nous sommes réellement engagés dans un combat eschatologique où nous devons nous souvenir que « le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, vous aussi, ils vous persécuteront » en croyant servir Dieu (Jn XV, 20). Et Jésus d’ajouter : « Bienheureux êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt V, 11). L’heure vient pour notre temps, sachant aussi que Jésus a prié pour Pierre afin qu’il ne défaille pas.
Que le successeur de Pierre soit le premier persécuté n’a donc rien qui dût nous étonner : il est le pasteur dont la chute est recherchée afin que se disperse le troupeau. C’est une solide raison pour ne pas rester spectateur ni baisser les bras car nous serons jugés sur notre fidélité « jusqu’au bout ». Mais nous ne sommes pas ici dans le registre médiatique ou pétitionnaire. Benoît XVI vient de dire aux Irlandais comment rester fidèles en combattant : ceux d’entre nous qui veulent s’associer à eux concrètement et assumer une part du fardeau de la réparation qu’appellent les actes de pédophilie commis par des prêtres, trouveront un vrai moyen (spirituel, donc efficace) de le faire en reprenant à leur compte les demandes que le pape leur a adressées.
[1] Cf. nos éditions du 1er avril : « Résister spirituellement et intellectuellement ».
[2] Cf. http://www.appelaverite.fr/
[3] Cf. Le Monde du 9 avril 2010 : « Face aux abus sexuels, la désolation et le pardon du pape ne suffisent pas. »
[4] Cf. § 14 de la Lettre aux Irlandais, sur notre site partenaire Génération-BenoîtXVI.com.
[5] Cf. le guide de procédure canonique établi à cette époque et mis en ligne sur le site du Vatican (en anglais).
[6] Le cardinal Bertone s’appuie sur une enquête menée depuis dix ans par le Saint-Siège sur 3000 prêtres pédophiles, notamment américains, traités au Saint-Siège entre 2001 et 2010 pour des faits remontant aux cinquante dernières années : 10 % des cas concernent une attirance physique pour des garçons impubères ; 60 % relèvent de l’« éphébophilie », c’est-à-dire de penchants pour des adolescents de même sexe ; 30 % seraient liés à des attirances hétérosexuelles. 70 % des cas de prêtres pédophiles relèvent donc de la pédophilie ou de l’éphébophilie homosexuelles. La remarque du cardinal, qui s’exprimait dans le cadre d’une interview et non d’un exposé scientifique, est un simple constat, et pour une population dont il a la charge.