Ici et là, le chef de l’Église maronite, qui a respecté la tradition selon laquelle le nouveau patriarche réserve à la France sa première visite à l’étranger, a évoqué avec ses interlocuteurs « les craintes de ce qui se passe sur le plan géopolitique dans certains pays du Moyen-Orient ».
À l’issue de leur rencontre, hier, au Quai d’Orsay, le patriarche Raï et M. Alain Juppé ont exprimé leurs « craintes communes » de voir les événements de Syrie déboucher sur une guerre civile, ou ce que Mgr Raï a considéré comme « une dérive vers l’extrémisme » ou un effritement sur des bases religieuses et confessionnelles.
Entre les deux hommes, il a également été question de soucis « pastoraux » à l’égard des chrétiens d’Orient, qui constituent, selon M. Juppé, « une priorité pour la France ».
Au sujet de la Finul, M. Juppé a affirmé qu’un retrait de la France de la force internationale serait « une catastrophe ».
Cette perspective avait été soulevée par le président Sarkozy, après un attentat contre une patrouille du contingent français de la force internationale, en mai dernier.
M. Sarkozy avait affirmé que la France pourra se retirer de la Finul, si des « mesures de sécurisation » suffisantes ne sont pas prises, pour empêcher un tel attentat de se reproduire. Le Liban, pour sa part, s’est engagé à prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin.
Embarras et inquiétude
Prenant la parole au cours du repas donné en son honneur, la patriarche a déclaré :
« Depuis quelques mois, la géographie politique du Moyen-Orient a commencé à subir des transformations qui ont provoqué en nous embarras et inquiétude. Nous savons bien que des forces profondes, internes et légitimes, travaillent ces sociétés aspirant au changement, sans négliger aussi les ingérences étrangères. Pour régler ce dilemme et clarifier nos positions entre ce que nous acceptons et ce que nous refusons, nous proposons ces quelques facteurs. En ce qui nous concerne, nous Libanais, et par rapport aux chrétiens de l’Orient, toute tendance à diviser le Moyen-Orient en États confessionnels est une tendance que nous rejetons. Car nous considérons que le pluralisme, dans lequel les minorités s’agrègent harmonieusement, est plus à même que d’autres systèmes à garantir la dignité et la liberté, notre présence et notre prospérité au Moyen-Orient (…). Nous proposons donc, face aux dérives confessionnelles de quelque nature qu’elles soient, le modèle d’un État civil qui assurerait la séparation entre la religion et l’État, et reposerait sur les droits fondamentaux de la personne humaine et reconnaîtrait la liberté de croyance et assurerait une vie digne et sûre à toutes les minorités. Chers amis, nous aurons besoin de votre expérience, de votre compréhension et de votre aide pour instaurer cet État civil dans les pays du Moyen-Orient. »
Par ailleurs, le patriarche a réitéré son hostilité à toute implantation des Palestiniens au Liban, soulignant la nécessité que ces derniers « préservent leur statut de réfugiés » placés sous la supervision de l’Unrwa.
« Nous demandons à la France la préservation de la spécificité du Liban », a-t-il dit, avant d’ajouter que « la francophonie » est « un pari important pour notre pays et » la pierre angulaire d’une coopération profonde « entre le Liban et la France. Et de réclamer la consolidation de la francophonie (au Liban) avec des instruments plus efficaces ».
Enfin, le patriarche n’a pas omis d’exprimer son respect et sa gratitude pour la présence du contingent français de la Finul au Liban-Sud.
En fin d’après-midi, le patriarche a été reçu à l’Hôtel de Ville, siège de la mairie de Paris.
Au Sénat
Lundi soir, le patriarche a été reçu au Sénat par le président Gérard Larcher, qui avait ensuite donné un dîner en son honneur. Le patriarche en avait profité pour appeler les Libanais, à l’heure des grands bouleversements régionaux, « à l’intensification du dialogue dans l’esprit de vraie réconciliation nationale » et « à s’approprier davantage leur pacte national ».
« Aucune fraction libanaise n’est en mesure, dans les circonstances actuelles, d’engager le Liban pour l’avenir. Les divisons internes rendent illégitime toute prétention (exclusive d’une communauté) à parler au nom du Liban », a estimé le patriarche Raï.
Au passage, le patriarche a fait sourire les convives en rappelant qu’entre la France et le Liban, il est une « histoire partagée » particulière, et que « la chapelle attenante au Petit Luxembourg (siège du Sénat) fut le premier lieu de culte des maronites en France entre 1893 et 1899 ».
Par ailleurs, le patriarche a rencontré lundi et hier soir de nombreux notables de la communauté libanaise à Paris, ainsi que des représentants de plusieurs forces politiques, notamment ceux du 14 Mars et ceux des Forces libanaises.
PAR HABIB CHLOUK / L'ORIENT LE JOUR