Il était une fois, dans un royaume très lointain, Une belle princesse nommée Rym. Mais la princesse était bien triste, car les voix de son peuple n’étaient qu’un chuchotement. Car son désir le plus cher était d’entendre chanter dans le pays et d’entendre les crieurs publics annoncer des nouvelles depuis le plus haut des murailles.
Mais les forces du mal conspiraient contre la jeune fille. En vérité, dans l’entourage du roi, ceux-là mêmes qui multipliaient les courbettes obséquieuses complotaient en secret pour réduire ses rêves en poussière.
À l’occasion d’un grand banquet, la princesse proclama devant tout le monde ses rêves utopiques « de lever le voile » des yeux de ses sujets et d’ouvrir « des voies pour la compréhension » entre les peuples. Or parmi ceux que captivait son éloquence vertigineuse, il y avait un scribe qui avait été condamné aux cachots pour avoir eu l’audace de faire état des actes malfaisants commis par les grands de ce monde.
Mais dans un royaume voisin vivait un seigneur qui ne supportait pas les princesses et leurs désirs, et encore moins les hommes qui à ses épées d’acier opposaient leurs plumes électroniques. Ses cachots étaient remplis de ceux qui le défiaient de leur seule voix, et parmi ses prisonniers il comptait, depuis peu, celle qui était désormais connue comme la fille de Facebook.
Debout au milieu de la place de la ville électronique, la courageuse jeune fille déclara que l’empereur n’avait pas d’habits, et séance tenante elle troqua le sien contre la tenue de la prison. Les gouvernants des pays alentour prirent le parti du sinistre prince. Un jour, ils rédigèrent une charte royale proclamant que quiconque dans la foule contesterait les bienfaits de leur pouvoir « le paierait de sa tête ». Les paysans se révoltèrent. En particulier ceux qui possédaient des caméras de télévision et une connexion Internet…
Malheureusement, comme le souligne le dernier rapport de Freedom House, les relations entre des médias et l’État dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’ont rien d’un conte de fées. Il n’est pas un seul pays arabe où la presse pourrait être classée « libre ». Pour chaque autorité officiellement chargée de desserrer les rênes, il y a un avocat intentant un procès ou un voyou de flic avec sa matraque éclaboussée de sang. Le supplice de la roue n’est plus d’époque, mais la sonde électrique reste aujourd’hui l’outil de persuasion préféré.
Le contraste entre la princesse Rym al-Ali, belle-sœur du roi de Jordanie, et la situation critique où se trouve, à 27 ans, Esraa Abdel-Fattah, la « fille de Facebook » en Égypte, est un résumé saisissant des contradictions inhérentes aux relations entre gouvernements et médias dans le monde arabe. La princesse Rym, ancienne correspondante de CNN, est à la recherche de moyens pour construire la première école supérieure de journalisme en arabe dans la région. La fille de Facebook, pendant ce temps, est entre les mains de la sécurité d’État égyptienne, pour avoir créé, sur le site convivial, un groupe sur ce réseau, qui, fort de ses 75 000 membres, a provoqué l’étincelle qui a déclenché les récentes grèves contre le président Hosni Moubarak.
Le mépris qu’affichent – et la peur qu’éprouvent – de nombreux régimes arabes à l’encontre des médias se voit dans les saisies d’équipements de transmission par satellite, dans le blocage de sites Web, et dans tout un cortège de mesures de plus en plus manifestes en vue de faire entrer le génie des médias dans sa bouteille.
La nouvelle charte arabe de diffusion par satellite permet aux gouvernements de réduire au silence les chaînes de télévision trop désagréables. La Ligue arabe allègue que ce qu’elle vise ce sont les chaînes islamistes qui développent l’intégrisme parmi les jeunes, mais le régime Moubarak n’a pas perdu de temps pour fermer une chaîne d’opposition dont le siège est à Londres, ce qui démolit cet argument.
Cette charte représente bien le degré d’engagement des gouvernements arabes dans un combat pour faire face à la cacophonie de critiques qui se déversent sur leurs pays via la télévision, les satellites, l’internet et le SMS. Les opposants n’ont plus besoin de se rassembler, il leur suffit de « gazouiller ». À une époque où chaque téléphone mobile est potentiellement une arme dans la guerre des médias, chasser les caméras de télévision ne suffit plus. Les réseaux de sites conviviaux où des gamines de 12 ans partagent des secrets de maquillage sont devenus le terreau de la révolution.
L’effet rouleau médiatique crée des vagues d’informations, qui viennent battre en brèche les murs de la censure mis en place par les gouvernants arabes pour défendre leurs châteaux. Chaque nouvelle affaire de mécontentement public vient à la rescousse de la précédente.
Mais n’oubliez pas les chevaliers blancs non plus. Vous n’avez qu’à interroger le caméraman d’al-Jazeera, Sami el-Hajj, finalement relâché après six années d’emprisonnement à Guantanamo, et Bilal Hussein, photographe d’Associated Press, qui a passé 735 jours dans les prisons américaines en Irak. Dans un cas comme dans l’autre, pas de preuve, pas de charges, pas de procès.
Il est probable que beaucoup d’eau coulera encore sous les ponts avant qu’un journaliste arabe puisse couler des jours heureux.
Lawrence Pintak: dirige le Centre de journalisme électronique Kamal Adham à l’Université américaine du Caire et est aussi éditeur et coresponsable de publication de
www.ArabMediaSociety.org.
L'Orient le Jur 19.05.2008