Ami pèlerin ferroviaire, tu l'aimes ton « train de Lourdes ». Tu vibres à la perspective de le prendre annuellement. Il porte un nom de couleur ou de région auquel tu t'identifies. Une ambiance sans pareille y règne durant le voyage. Tu te lies à des amis. Vous vous retrouvez entre deux pélés dans une convivialité, une union de prière.
Ami pèlerin, tu l'aimes ton train marial. Il n'est franchement pas comme les autres dans tous les sens du terme : il roule à « pas d'heure ». Il te plante parfois en rase campagne. Il n'a pas toujours la jeunesse ou le confort des trains de chaque jour. Un autre contact s'y noue cependant avec les membres du personnel. Ami pèlerin, tu en fais des économies pour t'inscrire à ce départ tant attendu ! Tu t'y ressources joyeusement. Dans ton existence pas facile, tu fais l'expérience, avec d'autres, d'un ensoleillement. Tu es souvent de condition modeste. Tu es parfois handicapé, malade, chômeur. Le climat fraternel te redonne confiance en l'autre… Les miracles ne s'accomplissent pas qu'à Lourdes. Des miracles, tu en es témoin dans ces compartiments où les coeurs se parlent, rient, cassent la croûte, prient, se confient…
Le matin de Pentecôte, se susurrait au plus haut niveau de la SNCF, en direct à la radio, que ces trains pas comme les autres, trains roses, verts, jaunes, auraient vécu ? Véritable séisme pour des centaines de milliers de personnes. Propos contradictoires avec les assurances données début juin aux différents directeurs de pèlerinages. Où est la vérité ? « On ne peut plus assumer ces déplacements massifs aujourd'hui en de bonnes conditions techniques de sécurité », plaide un des dirigeants des chemins de fer. On ne peut plus ou on ne veut plus ?
Ami pèlerin, le sort s'acharne sur toi. Jusqu'à présent, ton train accusait de fréquents retards. Tu prenais ton mal en patience. Voici que disparaîtrait ce que tu connais depuis tant d'années ? Evidemment tu es catho, donc en principe compréhensif et miséricordieux devant les tracas à répétition. Mais je sens monter en toi, comme en de multiples autres semblables, un véritable ras le bol. Tout ceci est d'autant plus injuste que les pèlerins de Lourdes sont « bons publics » depuis des lustres. Ils consentent des frustrations qu'aucun autre groupe de clients ne supporterait. Des non croyants le disent. Ceci est d'autant plus incompréhensible que les responsables de pèlerinage acceptent une hausse tarifaire supérieure à la hausse contractuelle. Ceci est d'autant plus inadmissible que les organisateurs religieux travaillent de concert avec la SNCF à une rationalisation des trains de pèlerinage.
Les catholiques ne sont pas de doux rêveurs. Ils savent que nous ne sommes plus en 1950. Ils n'ignorent pas les impératifs de compétitivité et de rénovation des voies auxquels est acculée la grande maison du train français. Ils ne demandent pas la lune contre rien. Ajoutons qu'ils représentent une clientèle potentielle et symbolique non négligeable. Que l'on s'explique donc franchement sur la faisabilité des choses pour le bonheur de tous. Beaucoup de personnes humbles voient tout cela se décider au-dessus de leur tête. En cette société marquée par l'individualisme, n'y a-t-il pas un signe fort à se rendre ensemble vers le même but ? En pèlerins participant à la même démarche.
Celui qui écrit ce bloc notes a lui-même une carte de « très grand voyageur ». Son papier n'est donc pas désincarné, n'éludant pas les contraintes qui pèsent fortement dans la mondialisation. Raison de plus pour toujours humaniser ce qui peut l'être.
Ami pèlerin, tu tiens à ton train, non par égoïsme mais par altruisme, n'est-ce pas ? Seras-tu entendu ?
Père Bernard Podvin
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