« Comment les évêques français, soutenus par le pape Pie XII, ont-ils tenté de freiner la machine génocidaire ? » demande l’auteur en se fondant sur des fonds d’archives jusqu’ici inexplorés.
HCM expose, dans ce dossier de 28 pages, richement illustrées, les « réseaux chrétiens de sauvetage » des juifs pendant l’occupation nazie, montre comment les libertés se sont décidées face aux persécutions, comment Pie XII a manifesté son soutien , elle indique certains « diocèses refuges » et propose ainsi une nouvelle vision de la réaction catholique face à la Shoah.
Dès 1940, les juifs étrangers présents en France sont regroupés dans des camps d’internement : ils montent, sous contrôle de la police française, dans les trains qui les conduisent à Baume-la-Rolande et Pithiviers.
Le cardinal Jean Verdier (1864-1940), archevêque de Paris, sera un « fer de lance de la résistance catholique aux idées nazies ». Il se fait l’artisan du « rapprochement entre l’Eglise et l’Etat » et de « l’amitié entre juifs et chrétiens ». « Avec trois autres cardinaux européens, il dénonce fermement l’idéologie raciste et eugéniste des nazis dans un ouvrage « Les chrétiens contre le racisme, une hérésie anti-romaine » diffusé en décembre 1938 », explique l’auteur qui ajoute le témoignage de l’organe de presse des SS le « Schwarze Kopf » qui le situe parmi les « ecclésiastiques les plus actifs » avec le card. Mundelein de Chicago et le card. Hinsley à Westminster.
Le cardinal Pierre-Marie Gerlier a été déclaré « Juste parmi les Nations » par le mémorial de Yad VaShem en 1980. Il avait été un brillant avocat à Paris avant de devenir prêtre : « Son engagement inconditionnel pour le sauvetage des juifs à partir de mars 1942 l’amène à entrer dans une forme de désobéissance civile proche de la résistance ».
Mgr Valerio Valeri (1883-1963) est nommé par Pie XI nonce apostolique en France le 1er juillet 1936, au moment du Front populaire : il entretient des relations cordiales avec Léon Blum. Après l’invasion, il reste en poste sous Vichy, y menant une vie « retirée et simple » : « Il soutenait personnellement l’aumônerie catholique des camps de l’abbé Lagarde, qui aidait les juifs internés ». Il fit valoir auprès de Pétain que « le Saint-Siège n’approuvait pas les lois françaises ». Et, pendant les rafles de l’été 1942, il fit l’aller-retour à Rome pour prendre des instructions auprès du pape : il s’emploiera à faire reconnaître le gouvernement provisoire de la république française par le Vatican.
Quelques jalons : du 26 juillet au 31 août 1940, le cardinal Suhard est arrêté et interrogé par l’Occupant ; octobre 1940 : premier statut des juifs ; juin-juillet 1941, 2e statut, loi sur l’aryanisation des biens ; 24 juillet 1941 : déclaration de l’épiscopat sur les droits de la personne humaine ; mars 1942 : Gerlier se porte garant de la défense des juifs ; 16-22 juillet 1942 : rafles en zone non-occupée, protestation non publique ; août-septembre 1942 : série de protestations publiques en chaire dans 5 diocèses de la zone libre ; décembre 1942-mars 1943 : démarches secrètes du card. Suhard et de Pie XII pour protéger les juifs réfugiés en zone italienne ; août 1943 : intervention secrète de Pie XII pour empêcher Pétain de signer la loi sur la dénaturalisation ; février 1944, le card. Gerlier demande au préfet de Paris de ne pas donner ses listes.
HCM souligne qu’au cœur de l’Europe occupée, « confrontés aux rafles et aux déportations, les évêques et Pie XII ont réussi à contrarier la machine nazie. En faisant pression sur Pétain et Mussolini, puis en prenant à témoin l’opinion, et ce, malgré les chantages de l’occupant ».
Elle cite ce rapport du colonel Knochen, chef des SS en France, en août 1943 : « Le Maréchal Pétain a déclaré que Mgr Chappoulie, représentant les cardinaux en France, était venu le trouver, il y a deux jours, et lui a déclaré que le pape était très inquiet d’apprendre que de nouvelles mesures contre les Juifs seraient admises en France par le Maréchal. Le pape, a-t-il dit, est personnellement en souci pour le salut de l’âme du maréchal. Le maréchal a été visiblement impressionné par la visite de ce haut ecclésiastique ».
Un chapitre intéressant significatif : celui consacré aux diocèses refuges, attestés par les archives de Yad VaShem. L’historienne Jeanine Levana Franck « estime que 10 à 15 % sont effectués par des réseaux juifs (…), 10 à 15 % par des réseaux chrétiens, et 68 % par des sauveteurs qui se sont engagés (…) à la suite de contacts fortuits ».
Dans la région lyonnaise, quelques rares échanges attestent « la solidarité des évêques pour sauver des juifs ». Mgr Rémond, évêque de Nice, se plaint au card. Gerlier que plusieurs de ses églises ont été perquisitionnées, y compris la nuit, avec interrogatoire des prêtres, sous prétexte dit-il, que des juifs y étaient hébergées.
Les évêques de Montauban, Marseille, Toulouse, Clermont, Lyon et Tulle ont donné l’ordre d’ouvrir les couvents, pendant la rafle du 26 août 1942. A Annecy, Mgr Cesbron accueille des juifs chez lui. Les rabbins ont aussi reçu l’aide des évêques de Tarbes, Auch, Agen, Grenoble, Narbonne et Nice, selon des rapports adressés au Consistoire central. Dans le diocèse d’Albi, les maisons religieuses ont accueilli des enfants.
L’accueil dans les couvents féminins de clôture sont dus à l’engagement des évêques, seuls habilités à donner l’autorisation de rompre ainsi la clôture : l’auteur cite le Carmel de Lyon. La communauté accepte par un vote. Les réfugiées restent cachées trois mois et y célèbrent le shabbat.
Anita Bourdin
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