“Selon nos sources, dans la nuit du 25 au 26 mai, au moins une douzaine de journalistes ont été agressés ou détenus par les forces de police qui ont, semble-t-il, perdu toute mesure. Cet usage de la force contre des professionnels qui ne faisaient que couvrir les événements, est intolérable. Nous appelons les autorités, mais également l’opposition, à respecter le travail des journalistes, qui ne doivent pas être les victimes collatérales des tensions politiques agitant le pays”, a déclaré l’organisation.
Depuis le 21 mai 2011, plusieurs milliers de personnes manifestent chaque jour en Géorgie pour demander le départ du président Mikheil Saakachvili. Le 26 mai, peu après minuit, les forces du ministère de l’Intérieur sont intervenues pour disperser les opposants qui occupait l’avenue Rustaveli. Les autorités avaient prévenu les manifestants qu’il fallait libérer les lieux pour que puissent se tenir les célébrations des vingt ans de l’indépendance du pays. La police et les forces spéciales ont procédé à une intervention violente, faisant grand usage de matraques, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. Dans la confusion générale, de nombreux journalistes ont été malmenés, verbalement et physiquement. Leurs appareils photos et leurs caméras ont été confisqués ou détruits. On dénombre également plusieurs interpellations injustifiées.
“Ces exactions ont souvent été commises à dessein, les forces de l’ordre étant parfaitement conscientes du travail qu’effectuaient les journalistes. Dans plusieurs cas, ces derniers ont été passés à tabac alors qu’ils s’étaient clairement identifiés ; des badges et brassards de presse ont été arrachés. Dans les heures qui viennent, la liste des violences de la nuit risque encore de s’allonger”, a ajouté Reporters sans frontières.
Plusieurs journalistes de Netgazeti ont été victimes de violences. Nino Kachniachvili, intoxiquée par des gazs lacrimogènes, a dû être hospitalisée. Nestan Tsetskhladze s’est vu confisquer sa caméra. Tamaz Koupreichvili a, quant à lui, déclaré à Reporters sans frontières : “Alors que j’étais avec mon collègue Koté Stalinski devant le Parlement, j’ai été atteint par une balle en caoutchouc et nous nous sommes mis à courir en direction du métro. Nous avons alors remarqué des agents des services spéciaux devant nous. J’ai crié que nous étions de la presse, mais une dizaine d’hommes nous a encerclé et a commencé à nous donner des coups de matraque.”
Deux correspondants de l’agence Expressnews ont été arrêtés. Anna Gabounia a passé la nuit au poste de police ; son collègue Tengo Akoudjava a été interpellé et retenu pendant deux heures. Leurs téléphones ont été confisqués. La journaliste a rapporté que les agents du ministère de l’Intérieur, après l’avoir fouillée, lui avaient expressément demandé de ne plus couvrir les actions de l’opposition.
Malkhaz Tchadova, correspondant de l’agence Interpressnews, agressé physiquement et verbalement, a été détenu plusieurs heures au poste de police du district de Digomi. Daredjan Papiachvili, de la même agence, a été frappé et son appareil photo a été confisqué.
Dato Mtchedlize, journaliste du site d’information media.ge, a été roué de coups de matraques. Nato Goguélia, qui couvrait les événements pour le journal régional Guria News, s’est vue confisquer sa caméra. Zaira Mikatadze, du journal Résonance, a été violemment agressée. Diana Khoperia, travaillant à Obiektivi, a quant à elle été passée à tabac, ce qui lui a valu plusieurs points de suture au crâne. Giorgi Mamatsachvili et Beka Tsitsivadzé du journal Assaval Dassavali ont été sévèrement frappés.
Plusieurs journalistes russes ont également été violentés. Vladimir Astapkovitch, correspondant de l’agence RIA Novosti, a été détenu toute la nuit avec des manifestants. Un autre journaliste de l’agence, Andreï Malychkine, a été battu et retenu, menotté, durant cinq heures au commissariat, avant d’être relâché. Le matériel de Vladimir Vorssobine, correspondant de Komsomolskaïa Pravda, a été confisqué. D’autres noms encore sont évoqués dans les médias russes, sans qu’il soit possible pour l’heure de les confirmer.
Le ministère de l’Intérieur fait état de deux morts – des policiers renversés par une voiture qui quittait les lieux en trombe -, 37 hospitalisations et 90 interpellations.
Depuis le début du mouvement de protestation, plusieurs journalistes géorgiens avaient témoigné des pressions dont ils étaient victimes, de la part du pouvoir, mais également de l’opposition. Le 21 mai, devant le bâtiment de la télévision de Batoumi (mer Noire), la rédactrice en chef du journal local Batoumelebi, Eter Touradzé, s’était faite encercler par une vingtaine d’agents des forces de l’ordre qui l’ont empêché de couvrir une manifestation. Le lendemain, Anzor Bitsadzé, le fils de la leader du mouvement d’opposition "Assemblée Nationale" et ancienne présidente du Parlement, s’en était pris physiquement à Tamaz Koupréichvili (cité plus haut). Nino Bourdjanadzé avait présenté ses excuses pour le comportement de son fils.
Les journalistes géorgiens sont de plus en plus clairement pris en otages dans l’affrontement politique qui déchire le pays. Malgré une situation de la liberté de la presse bien meilleure que chez ses voisins arménien et azerbaïdjanais, les altercations physiques et verbales sont une des réalités du travail journalistique en Géorgie. Le pays est 100ème sur 178 dans le classement mondial de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières.
Reporters sans frontières