Deux ans après les massacres qui ont eu lieu dans l'Etat indien de l' Orissa, les victimes des violences antichrétiennes n'ont toujours pas obtenu justice et vivent toujours dans la peur, rapporte « Eglises d'Asie » (EDA), l'agence des Missions étrangères de Paris.
Le bilan de l'action du gouvernement de l'Orissa, deux ans après les massacres de chrétiens perpétrés plusieurs mois durant par des hindouistes, a été fortement critiqué dans une déclaration de presse diffusée conjointement avec le Forum des minorités de l'Orissa, le 30 août dernier, par Mgr Raphael Cheenath, archevêque catholique de Cuttack-Bhubaneswar. Les autorités ont manqué à leur promesse « d'essuyer les larmes et de panser les blessures » des victimes, a dénoncé le prélat, qui a demandé que les coupables des pogroms soient jugés, les victimes enfin indemnisées et que soient mises en place des initiatives en faveur de la réconciliation afin que s'apaisent les tensions interreligieuses.
En 2008, la vague de violence qui s'était abattue sur l'Etat de la côte orientale de l'Inde avait fait plusieurs centaines de morts, déplacé près de 50 000 personnes et détruit des milliers de maisons, lieux de culte et institutions (1).
Mgr Cheenath a rappelé que les chrétiens avait attendu avec patience et espoir que le gouvernement, comme il s'y était engagé, répare les torts commis en rendant justice et en réhabilitant les victimes par des indemnités, des aides et une réinsertion sociale, dont la possibilité de retrouver un travail. « Mais la communauté chrétienne opprimée et démunie est toujours aussi vulnérable, alors même que le gouvernement de l'Orissa reste dans le déni, refusant ne serait-ce que de reconnaître le problème, et agissant encore moins », poursuit-il, soulignant que la persécution se poursuit toujours, dans le silence.
Une partie de l'opinion publique indienne a été choquée par les rapports récemment publiés d'ONG faisant état de l'existence en Orissa, et surtout dans le district du Kandhamal, épicentre des violences antichrétiennes, d'un important trafic d'être humains, de la multiplication des abus sexuels, notamment sur les enfants, et de déplacements de populations fuyant les persécutions et les menaces des hindouistes. Ils sont plusieurs milliers à n'avoir pas pu regagner leur foyer, et d'autres encore continuent de fuir, a précisé l'archevêque de Cuttack-Bhubaneswar au quotidien The Hindu, le 31 août dernier.
Le communiqué de presse reproche également aux autorités de l'Orissa les sommes « dérisoires » versées en dédommagement aux victimes : « Le versement de 50 000 roupies [835 euros] pour les habitations ‘totalement détruites' et de 20 000 [334 euros] pour celles désignées comme étant ‘partiellement endommagées' est d'une insuffisance patente, quand on connaît les coûts de construction ! », s'indignent encore l'archevêque de Cuttack-Bhubaneswar et le président du Forum des minorités de l'Orissa, Swarupananda Patra. A l'heure actuelle, bien que l'Eglise ait aidé à la reconstruction de 2 500 maisons, plus de 3 500 habitations attendent toujours d'être rebâties, et ce malgré les engagements solennels de l'Etat de l'Orissa.
Les deux responsables chrétiens ont également demandé que le gouvernement réexamine les dossiers des crimes commis pendant les violences de 2008 et qu'il ordonne une enquête impartiale selon les techniques modernes d'investigation et avec le concours d'experts, comme le font les autres Etats de l'Union indienne dans des circonstances similaires. De plus, il est urgent, ajoutent-ils, que l'Etat protège les victimes et les témoins avant, pendant et après les procès dans les tribunaux spéciaux établis à cet effet.
Ce communiqué de presse intervient quelques jours seulement après la tenue d'un « tribunal populaire » du 22 au 24 août à New Delhi, à l'occasion du deuxième anniversaire du déclenchement des violences de 2008 (2). Le jury de ce tribunal non officiel était composé de personnalités du monde indien, comme A.P. Shah, ancien premier magistrat de la Cour suprême, qui présidait les débats. Mgr Cheenath a assisté également aux séances au cours desquels 43 survivants ont donné leur témoignage, et de nombreuses ONG, associations d'aide aux victimes ainsi que des experts ont fourni des rapports accablants démontrant la complicité et la corruption des autorités chargées de protéger les victimes et d'enquêter sur leurs agresseurs.
La douzaine de membres du jury, appartenant à différentes confessions religieuses (dont un seul chrétien), se sont tous déclarés scandalisés et « honteux » de la manière dont les persécutions avaient été ignorées, voire encouragées par le gouvernement de l'Orissa. A l'issue des débats, ils ont appelé le gouvernement fédéral à intervenir en diligentant une enquête impartiale sur les violences antichrétiennes de 2008. Le verdict a été également sans équivoque : « Le parti pris des institutions de l'Etat, y compris de la police, est scandaleux ; elles sont impliquées dans les violences et sont complices des efforts visant à entraver le fonctionnement de la justice et la désignation des coupables (…). » Le tribunal a également souligné le manque de réactivité et la « sous-estimation » volontaire de l'ampleur des violences par le gouvernement de l'Orissa, qui avait laissé agir les hindouistes pendant plusieurs semaines avant d'intervenir sous la pression de l'Etat fédéral. Il a été également conclu que les violences se poursuivaient en toute impunité au Kandhamal, continuant de semer « la peur et l'intimidation ».
A.P. Shah a fait part, lors d'une conférence de presse, de ses conclusions à l'issue de cette session extraordinaire : « La plupart des victimes sont dalit ou aborigènes. Les survivants continuent d'être menacés et leurs droits à la protection et à la justice leur sont systématiquement déniés. Ils ne peuvent retourner dans leur village sans se convertir [à l'hindouisme] (…). Ce qui s'est passé au Kandhamal est une véritable honte pour notre nation, et d'une totale inhumanité»
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