Réaction d’un citoyen israélien (chrétien), vivant en Israël depuis 15 ans, à votre « SPECIAL ISRAEL, 30 pages historiques 1948-2008 », paru dans Le Point (N° 1851 du 6 mars 2008).
Abonné au Point depuis plus de 20 ans (avant mon arrivée en Israël en 1993), je m’attendais, en lisant ce gros titre en couverture, à trouver dans un magazine de droite, un reportage intéressant et pour une fois équilibré, complet, décent, voire élogieux sur ce jeune pays, « pas comme les autres », pour son soixantième anniversaire. Hélas ! Amère déception, révolte même, pour la présentation insolente d’Israël, qui depuis sa « re-naissance » en 1948, lutte pour sa survie, en état de miracle permanent.
Ce que je reproche à ce reportage, d’une façon générale, c’est le manque d’empathie total envers ce Peuple. Je sais bien que cela ne se commande pas, mais au moins vos journalistes se doivent à un minimum d’objectivité et de courtoisie !Voici résumés mes principaux griefs :
· Aucune allusion au refus historique, par les Pays arabes, de la Résolution 181 de l’ONU, instituant le partage en deux Etats du territoire de la Palestine. Les Juifs ont accepté ce partage, malgré le morcellement ; les Arabes, NON ! Les Juifs ont pu ainsi fonder leur Etat (1947). Par contre les Arabes ont préféré « le feu et le sang ». Ce fait est capital dans le conflit israélo-palestinien, car de là découlent toutes les guerres qui suivent et qui continuent…· Vous évoquez le massacre de Deir Yassin, (alors que les combattants juifs avaient demandé aux Arabes d’évacuer les femmes et les enfants de ce village !), mais vous vous gardez bien de parler des nombreux massacres arabes, comme par exemple celui d’Hébron en 1929…· Vous parlez de la NAQBA palestinienne (700.000 Palestiniens qui fuient leurs villages pour se réfugier dans les pays frères aux alentours). Mais vous vous gardez bien de parler de la « NAQBA » des Juifs expulsés des pays arabes et islamiques (1.000.000, dont les 2/3 trouvèrent refuge en Israël, où ils furent intégrés, sans l’aide de l’ONU ou de l’UNRWA).· « Les Territoires occupés » (F. Mitterrand préférait dire : « Territoires disputés ») : aucune explication pour vos lecteurs. Il faut pourtant préciser que jusqu’en 1967, il n’y avait pas de Territoires occupés par les Israéliens, néanmoins la guerre existait ! Par contre la Jordanie, elle, « occupait » la Judée et la Samarie (Cisjordanie), de 1948 à 1967, sans l’aval de l’ONU ! Personne ne trouvait à redire, la Nation et l’Etat palestinien n’existait pas encore…A quel Etat appartenait alors la Cisjordanie ? Je vous le demande ?· Après la victoire contre la coalition arabe de 1967, la Cisjordanie est « occupée » par Israël, mais pas « annexée » comme l’avait fait auparavant la Jordanie. Pourtant l’Histoire montre que le vainqueur d’une guerre annexe les territoires conquis (voir l’Alsace et la Lorraine !). Aucune allusion au « Triple NON » de Khartoum, au lendemain de la guerre de 1967, où les Etats arabes refusèrent toutes négociations de paix avec Israël.· Il est important de préciser que ce terme d’ « occupation », d’après le Pr Jules Basdevant, ancien Président de la Cour de Justice Internationale, « désigne la présence de forces militaires d’un Etat sur le territoire d’un autre Etat » A quel Etat appartenait ce territoire, puisque l’Etat palestinien n’existait pas ? La Jordanie ? Le Mandat britannique ? Les Ottomans ?· La Résolution 242 (1967) prévoyait un retrait des forces armées israéliennes DE et non DES ou de TOUS les) Territoires en question.Ce détail est capital, mais qu’en sait-il votre lecteur lambda ?Ce sont ces précisions qui manquent dans votre reportage : elles sont pourtant capitales pour comprendre de façon équilibrée l’origine et la complexité du conflit. Mes reproches ne s’arrêtent pas là !· Pourquoi parlez-vous à plusieurs reprises de « l’humiliation des armées arabes vaincues ? Etre vaincu, c’est toujours humiliant, surtout lorsqu’on est l’instigateur de cette guerre perdue !· Votre définition du Sionisme comme étant d’abord une révolte contre la fatalité est manifestement réductrice.· Ben Gourion, bien que laïc, n’a pas écarté la religion en fondant l’Etat juif, bien au contraire (il avait toujours la Bible à son chevet !). La notion de « Nation juive » et de « Peuple juif » se définissait pour lui par les paramètres suivants : – Une langue (l’hébreu qui n’avait jamais cessé d’être parlé) – Une Ecriture (l’hébreu qui n’avait jamais cessé d’être utilisé). – Un calendrier divisant l’espace et le temps, sans rapport avec le calendrier grégorien. – des frontières (fixées par l’ONU). – Un drapeau (blanc-bleu, avec incrustation de l’Etoile de David), et un hymne national (Ha TIKVA), et une armée. – Une Religion (le Judaïsme), clef de voûte du Peuple juif.· Pour contrer la Bible, vous ne trouvez pas mieux que de citer Israël Finkelstein, un archéologue israélien, (contesté par ses pairs, mais cela, vous vous gardez bien de le dire). Ce « scientifique » engagé a « découvert » que l’Auteur des Psaumes, « le roi David, n’était pas un grand roi, mais peut-être un chef de bande » ! D’où votre conclusion scandaleuse : « Israël, fruit de la propagande ? A chacun sa Terre promise » !· Passons aussi sur la détresse des nouveaux pauvres (en France aussi, non ?), pour conclure : « Le mythe de l’Israël égalitaire s’effondre », rançon d’une économie israélienne d’une insolente bonne santé : Croissance : 4,7 %, Chômage : 6,5 %, budget excédentaire, malgré l’état de guerre permanent !· Vous citez, cela semble vous plaire, un certain Victor Klemperer qui compare le Sionisme au nazisme ! mais Jacques Maritain comme Jacques Ellul, vous ne le connaissez pas !· TSAHAL : « une institution en faillite » ? Votre reporter a certainement enquêté dans les milieux resquilleurs antimilitaristes, comme il en existe dans tous les pays du monde. Je connais personnellement dans mon entourage une bonne dizaine de jeunes de 18 à 25 ans qui seraient déshonorés de ne pouvoir faire l’armée. La mère de l’un d’eux lui conseillait une planque ; celui-ci lui a répondu : « non ! maman, je veux les commandos de choc, comme mon frère aîné » ! Un enthousiasme et un sens de leurs responsabilités qui m’époustouflent, et un sionisme loin d’être obsolète… Vos lecteurs ignorent certainement que Tsahal est la seule armée au monde où on enseigne aux jeunes recrues l’éthique dans les combats contre l’ennemi…Je constate aussi que de plus en plus les jeunes militaires portent la Kippa, le sentiment religieux est toujours présent…· Pourquoi, dans votre enquête, éludez-vous complètement le problème religieux ? Le Judaïsme est pourtant à l’origine du Sionisme avant la lettre : « Si je t’oublie, ô, Jérusalem, que ma dextre m’oublie, que ma langue se dessèche dans mon palais » ! ou… « l’an prochain à Jérusalem ».· Pourquoi faites-vous silence sur la présence juive continue en Terre sainte, même après l’expulsion en 70, et malgré les persécutions ? N’est-ce pas là un attachement viscéral à leur Terre et donc la meilleure légitimité de la « Re-naissance » de leur Nation ?Mais revenons à votre enquête et au choix des photographies pour illustrer votre texte : Pour amuser le gogo, une belle photographie pleine page d’un Juif ultra-orthodoxe sur une plage de Tel Aviv, sans doute la photo du siècle ! En 15 années, je n’ai jamais vu un ultra-orthodoxe sur une plage de Tel Aviv !A propos de Tel Aviv, justement : une Honte ! 12 photographies de la métropole, aussi laides les unes que les autres, et quelles vues ! Ma ville où j’habite avec bonheur, je ne l’ai pas reconnue ! On se croirait dans une banlieue du Tiers-Monde. Où est ma « ville blanche », inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO (2003), qui fête cette année son centenaire ? Ses plages super équipées, bordées sur des kilomètres par la « Tayelet » ? Son architecture ? Ses quartiers si sympathiques comme par exemple « Neve Tsédek », etc…?Et JERUSALEM ?? Rien, pas une photo, pas un mot sur la capitale de l’Etat. Le Mur des Lamentations ? Les Synagogues ? Pas même celle détruite par les Jordaniens, jouxtant les deux célèbres Mosquées, qui elles sont toujours à l’honneur ! C’est à croire que Jérusalem ne fait pas partie d’Israël, n’appartient pas au Peuple juif ! Qui donc l’a fondée ? Qui donc, autres que les Juifs, en ont fait leur Capitale depuis 3.000 ans ? Sans doute votre journaliste emboîte-t-il le pas aux Nations qui refusent « l’annexion » de la Ville par ses Propriétaires légitimes et immémoriaux !Pour Le Point, si je comprends bien, Jérusalem, capitale d’Israël, ne sera pas partie prenante dans les festivités du « Soixantenaire » !
André Moisan – Tel Aviv