Mark Riedemann – Un an avant votre ordination, l’archevêque chaldéen de Mossoul a été tué. Il y a eu des menaces de mort contre la hiérarchie de l’Eglise. Devant tous ces défis, n’êtes-vous pas tenté de dire : « Je ne veux pas de cette responsabilité, elle est trop grande » ?
Mgr Bashar Matti Warda – Cela n’est pas naturel, mais j’ai dit que j’étais prêt, à n’importe quel prix. J’obéis. Je savais que c’était lourd et difficile. Depuis j’ai eu plusieurs expériences à Bagdad aussi bien durant qu’après la guerre. Heureusement Erbil est un lieu sûr, mais la peur est un sentiment naturel et il existe ici aussi. Mais une fois que tu t’es lancé tu avances, voilà tout.
Votre mémoire présenté à l’université de Louvain, en Belgique, traite de la violence dans l’islam. Pourquoi ce thème?
En 1993 et 1994, le précédent régime irakien s’est tourné vers l’islam et le mouvement islamique, non pas parce qu’il croyait en eux, mais pour établir un contrôle majeur durant la période des sanctions internationales. Nous avons alors connu une augmentation de la violence à l’intérieur de l’islam et parmi les musulmans en particulier au Moyen Orient.
J’étudiais les racines de ces mouvements et m’attendais à une politisation et à une radicalisation majeure de l’islam. De 2001 à 2003 on voyait clairement apparaître des mouvements radicaux, ce qui n’était pas normal. Je me rendais compte que tout le Moyen Orient était en train de traverser un moment très délicat, que les défis étaient grands, surtout à cause du radicalisme islamique.
La violence est-elle inhérente à l’Islam ou est-ce l’islam qui est manipulé par les fondamentalistes?
Je répondrais : manipulation. Car nous avons vécu ensemble pendant tant d’années dans une coexistence pacifique avec les musulmans chiites ou sunnites. Il y a certainement eu de la violence dans l’histoire de l’islam et il y en a encore. Il n’y a pas si longtemps un évêque a été tué et de nombreuses familles ont du quitter Mossoul et Bagdad. Beaucoup de groupes, en Irak, pensent que l’islam est l’unique religion et que faire usage de violence pour l’atteindre est justifié.
Y a-t-il une campagne qui vise à forcer les chrétiens à s’en aller?
La violence est dans tout le pays. La situation des chrétiens est un phénomène particulier. Les chiites répondent par la violence aux sunnites quand ils sont attaqués et vice versa, alors que les chrétiens sont les seuls à ne pas répondre par la violence. Cela fait d’eux des êtres spéciaux…
Une cible facile, donc…
Exactement. Et il y a tant de motifs pour attaquer les chrétiens, les chrétiens sont victimes d’un processus social, économique et politique. Il y a des personnes qui discriminent et attaquent les chrétiens parce qu’ils sont chrétiens, il y a d’autres groupes qui attaquent les chrétiens parce que cela fait « la une » dans le monde, c’est-à-dire pour montrer au monde entier que le processus politique en Irak est un échec, qu’il y a des personnes qui attaquent les chrétiens par intérêts sociaux et enfin d’autres pour des raisons économiques. Ce groupe-là menace les familles chrétiennes, les oblige à quitter leurs maisons pour, tout simplement, s’en emparer et les occuper.
De nombreux chrétiens du Sud sont déplacés à l’intérieur du pays dans le nord. Quel impact cela a-t-il sur votre diocèse?
L'expérience de ces pauvres gens nous a poussés à prendre soin d’eux pastoralement. C’est donc une grâce de Dieu et un signe d’espérance pour nous. Dans les diocèses de Bagdad et de Mossoul, ils sont obligés de fermer les églises alors que nous, nous pensons en construire de nouvelles pour ces familles. Nous avons plus de 5.000 nouvelles familles chrétiennes et celles-ci ont besoin d’un endroit à elles. Et cela n’est pas temporaire, car beaucoup de personnes, grâce à Dieu, achètent une maison à Erbil et Ankawa. L'achat d’un bien est signe qu’ils pensent rester de manière permanente.
Ce qui est un bon signe pour le pays…
Oui, c’est un bon signe pour le pays mais aussi pour le christianisme car nous pouvons trouver un équilibre entre une région qui souffre et une région pacifique. Cela donnera bon espoir aux autres évêques et prêtres à Bagdad et Mossoul qui verrons au moins un signe d’espérance, car ce qui nous attriste c’est de voir ces familles qui quittent le pays. C’est vraiment très triste, car nous savons qu’elles reviendront jamais plus.
A propos des refugiés, y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement touché?
Il a été demandé à une famille de préparer leur fille à épouser un émir, le chef d’un petit groupe radical, dans les 24 heures. L’ultimatum était le mariage, se convertir à l’islam et quitter la maison.
Il a été proposé de créer une enclave chrétienne sur la plaine de Ninive. Est-ce une bonne idée?
Dans les discussions avec les politiques chrétiens, personne n’a absolument jamais eu cette idée. Personne ne pense que cela soit une bonne idée de rassembler les chrétiens en un lieu. C’est un malentendu depuis le début. Certains vieux villages et quelques villes sont connus pour être chrétiens. Un certain groupe islamique a commencé à acheter les propriétés chrétiennes le double de leur valeur pour le simple fait d’y entrer en possession et de modifier la situation démographique du village jusqu’à ce que les gens comprennent la raison profonde qui était à la base de cette opération et finissent par cesser de vendre. La question est, par contre, de changer la démographie de ces villes, d’avoir des droits constitutionnels pour ces villes et villages historiques. Mais personne n’a jamais demandé de rassembler les chrétiens en un seul lieu.
Malgré les difficultés, on constate qu’un nombre extraordinaire de fidèles fréquente la messe, mais aussi une augmentation des vocations…
Notre terre est la terre d’Abraham. Il fut appelé à un moment de sécheresse. Mais ce fut aussi un moment de difficulté et Dieu lui a dit: regarde le ciel et la multitude des étoiles, telle sera ta descendance sera comme cela. Il en a toujours été ainsi. Dieu nous donne un signe d’espérance au milieu de souffrances de manière à ce que nous puissions compter sur Lui et aller de l’avant. Nous vivons la joie chrétienne et nous louons Dieu au milieu des souffrances. Au milieu d’une crise, Dieu nous donnera toujours ce signe d’espérance et de joie que Lui est avec nous, Emmanuel.
Que pouvons-nous faire pour aider les chrétiens en Irak?
L’Eglise en Irak est une Eglise qui souffre, mais il faut nous donner l’espérance et l’encouragement à poursuivre notre mission, car nous voyons que le christianisme est un bien précieux pour le pays. Nous avons encore tant de gens qui croient avec nous que nous avons une mission auprès de cette communauté surtout dans les moments de violence.
Nous avons une mission, une mission à remplir avec confiance, un rôle très important qui consiste à semer la réconciliation parmi tous les partis politiques. C’est pourquoi, nous avons besoin de tant de prières de votre part mais aussi de cette conscience que l’Eglise est, ici, encore bien vivante.
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