Internet est devenu le meilleur « marieur » de Bagdad pour les jeunes diplômés qui cherchent l’âme sœur par-delà les murs de béton cloisonnant la capitale en quartiers communautaires.
« Il n’y avait pas de filles dans mon agence bancaire et je ne souhaitais pas que ma mère me trouve une épouse car je voulais d’abord tomber amoureux », assure Omar Assir, un employé chrétien de 29 ans, du quartier de Qadassiyah sur la rive ouest du Tigre. « J’ai fait la connaissance d’Evan sur le site Iraq4u.com et j’étais ravi quand elle m’a confié qu’elle était chrétienne. Pour des raisons de sécurité, nous ne nous sommes vus brièvement que deux fois au Tea Time, un café du quartier Mansour (centre de Bagdad) », confie-t-il. Il y a actuellement en Irak quelque 650 000 chrétiens, dont 250 000 à 300 000 vivent à Bagdad, 50 000 à Mossoul et 30 000 au Kurdistan, selon des statistiques qui ne peuvent être confirmées. « Mes parents étaient hostiles à un mariage avec une fille rencontrée sur le net, mais je les ai convaincus que c’était presque le seul moyen de faire connaissance », explique Omar, ému à l’idée de demander la semaine prochaine à ses parents la main d’Evan Fadi, 25 ans.
Diplômée de langues mais ne travaillant pas, Evan habite à Zayouné, sur la rive est du Tigre. Les deux amoureux habitent à moins de 10 km à vol d’oiseau l’un de l’autre, mais depuis que les 89 quartiers de la capitale se sont transformés en camps retranchés, circuler s’apparente à une course d’obstacles. « Je voulais rencontrer l’homme de mes rêves, mais comment réussir en étant cloîtrée chez moi ? Au début, j’ai connu Omar par ses mots, mais j’ai aimé sa façon de penser », confie-t-elle. « Il est hors de question d’avouer à mes parents comment nous nous sommes connus. Nous avons mis dans la confidence une amie qui s’est présentée comme l’intermédiaire », ajoute-t-elle.
Selon une étude menée en octobre 2006 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le ministère irakien de la Santé, 49,3 % des hommes et 47,5 % des femmes sont célibataires ou divorcées. « Je pense que les Irakiens cherchent l’amour sur Internet car il n’y a plus de lieux de rencontre. Une fois les études terminées, les filles restent désœuvrées chez elles », raconte Moustafa Kazem, 20 ans, un futur ingénieur qui a rencontré sa fiancée sur le forum de son université. Chercheuse en sciences sociales au ministère de l’Enseignement supérieur, Oum Mohammad, 52 ans, estime qu’Internet « a détrôné dans certains milieux la traditionnelle marieuse qui mettait en contact les jeunes en âge de s’épouser ». Pour elle, ce succès vient du fait que « beaucoup d’hommes ont été victimes de la violence ou ont quitté le pays et beaucoup de femmes ne travaillent pas car leurs parents ont peur de les laisser sortir ».
Ali Adnane, 30 ans, un ingénieur informatique sunnite, qui a quitté sa maison rue de Palestine en raison des violences confessionnelles, a connu par Internet l’élue de son cœur, Wadian, une chiite qui a fui aussi son quartier pour les mêmes raisons. « Nous avons “chaté” des heures. C’est une fille éduquée. Comme moi elle fait fi des appartenances communautaires. Nous avons attendu huit mois avant de nous voir furtivement sur une place publique », dit-il. S’il a convaincu son père et sa mère, il fait face à un mur d’incompréhension de l’autre côté, non pas parce qu’il est sunnite, mais parce que la rencontre s’est faite sur Internet. « J’ai fait trois tentatives pour rencontrer ses parents, mais ils m’ont opposé un refus car ils trouvent qu’Internet n’est pas un moyen convenable pour faire connaissance. Je ne renoncerai jamais à mon amour », assure Ali.
L'Orient Le jour 13.08.2008