A l’occasion de la 6e journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre 2008, Reporters sans frontières souhaite mettre en lumière un aspect toujours d’actualité de ce scandale politique et humain que représente une sanction aussi archaïque : son utilisation contre les journalistes ou les défenseurs de la liberté d’expression.
"Il est certes délicat de souligner l’abjection d’un cas par rapport à un autre, lorsqu’il s’agit de la peine de mort. Mais nous tenons à mettre en lumière l’un des aspects pervers qui concerne directement les journalistes et la liberté d’expression, dans le but de contredire, une fois de plus, ceux qui hésitent encore à se mobiliser pour son abolition, sous prétexte que cette sanction irréparable ne concernait que les criminels les plus odieux", a déclaré l’organisation.
Le cas le plus emblématique, aujourd’hui, a lieu dans un pays qui, paradoxalement, se trouve sous la surveillance de puissantes démocraties parlementaires : l’Afghanistan. Dans une cellule d’une prison de Kaboul, le jeune journaliste et étudiant Sayed Perwiz Kambakhsh, collaborateur du magazine Jahan-e Naw ("Le Monde nouveau"), attend la conclusion d’un interminable procès en appel pour "blasphème". Malgré la mobilisation de nombreux confrères et d’écrivains afghans, le jeune homme est toujours sous le coup d’une condamnation à mort prononcée en janvier 2008 par la première chambre d’un tribunal de Mazar-i-Charif, au terme d’un procès expéditif, tenu à huis clos, en l’absence de son avocat. Le 17 octobre prochain, il entamera sa deuxième année de détention, une punition déjà stupéfiante pour avoir prétendument détenu chez lui des écrits sur la place de la femme musulmane dans la société. Document médical à l’appui, il a été démontré que Sayed Perwiz Kambakhsh a été torturé durant sa détention.
L’année précédente, en Iran, un cas similaire était venu rappeler que la peine capitale pouvait être un outil terrifiant pour faire taire les voix qui dérangent. Adnan Hassanpour, 26 ans, journaliste de l’hebdomadaire aujourd’hui interdit Asou et collaborateur de divers médias étrangers, avait été arrêté le 25 janvier 2007 et écroué à la prison de Mahabad (Kurdistan). En septembre 2008, la justice iranienne, qui l’avait d’abord condamné à mort à deux reprises pour "activités subversives contre la sécurité nationale", a finalement décidé qu’il ne pouvait être considéré comme un "mohareb" (ennemi de Dieu) et a transmis son dossier à un tribunal civil du Kurdistan iranien. Le jeune homme, ardent défenseur des droits culturels kurdes, est aujourd’hui détenu à la prison centrale de Sanandaj. Il a déjà observé deux grèves de la faim pour dénoncer ses conditions de détention.
En Iran, du reste, l’accusation d’être un "mohareb", qui est passible de le peine capitale et dont la définition est extrêmement vague, est une arme fréquemment utilisée pour mettre en garde ceux qui seraient tentés de défier les autorités du moment. Ainsi, en 2005, le blogueur Mojtaba Saminejad avait-il été poursuivi pour "insulte envers les prophètes", avant d’être finalement acquitté.
Les défenseurs de l’abolition de la peine de mort peuvent également être l’objet d’une répression systématique. Depuis plusieurs années, un journaliste et militant abolitionniste subit les foudres des autorités iraniennes, payant fréquemment son combat du prix de sa liberté. Emadoldin Baghi a été arrêté pour la dernière fois le 14 octobre 2007, après avoir été accusé de "propagande contre le régime" et de "publication de documents gouvernementaux secrets obtenus avec l’aide de prisonniers détenus pour atteinte à la sécurité dans des établissements spéciaux". Il venait de fonder l’association Les Gardiens du droit à la vie, la première organisation défendant l’abolition de la peine de mort en Iran. Fervent militant distingué, en 2005, par le prix des droits de l’homme de la République française, il avait purgé une peine de trois ans de prison entre 2000 et 2003, après la publication d’un livre-enquête sur une vague d’assassinats d’intellectuels et de journalistes en 1998. Et pour avoir défendu, dans un éditorial du quotidien Neshat, une vision moderne de l’islam dans ses rapports à la peine de mort.
Mais les autorités de Téhéran ne fléchissent pas. A tel point que le Parlement a adopté en première lecture, en juillet 2008, une loi extrêmement dure, destinée à "renforcer les peines pour les crimes contre la sécurité morale de la société". Si elle était définitivement adoptée, cette législation unique au monde punirait de "pendaison" ou d’"amputation de la main droite puis du pied gauche" la "création de blogs et de sites Internet faisant la promotion de la corruption, de la prostitution et de l’apostasie".
Le monde musulman n’est évidemment pas le seul concerné. En novembre 2005, les autorités éthiopiennes avaient ainsi fait incarcérer et juger pour "haute trahison" et "génocide" les cadres du principal parti d’opposition, ainsi qu’une vingtaine de directeurs de journaux qui les avaient soutenus, après que des émeutes sanglantes avaient suivi l’annonce des résultats des élections législatives, prétendument remportées par le parti du Premier ministre, Meles Zenawi. Acquittés ou grâciés en 2007, certains d’entre eux avaient été condamnés à mort pour ce que le pouvoir avait considéré comme une tentative de coup d’Etat à motivation ethnique.
Enfin, le cas du journaliste de radio et militant des Black Panthers Mumia Abu-Jamal, aux Etats-Unis, vient également rappeler que la peine capitale n’a toujours pas été abolie par la première puissance mondiale. Condamné à la peine capitale en 1982 pour l’assassinat, dont il a toujours nié être l’auteur, du policier Daniel Faulkner, Mumia Abu Jamal a passé 26 ans dans le "couloir de la mort". En mars 2008, la cour d’appel fédérale de Philadelphie a commué à une voix près cette condamnation en réclusion criminelle à perpétuité, décision encore susceptible de recours par l’accusation
Reportres sans frontières 9/10/2008