dans un contexte explosif de tensions ethniques. Aucune enquête sérieuse n’a été menée jusqu’à présent sur les agressions subies par les professionnels des médias. Nous rappelons aux autorités qu’il est de leur devoir de veiller à la sécurité des journalistes et de mettre fin à l’impunité”, a déclaré Reporters sans frontières.
“Fin 2009, alors que l’exaspération montait contre le pouvoir de l’ancien président Kourmanbek Bakiev, les journalistes avaient été touchés par une violente vague d’agressions et d’intimidation. Si les nouvelles autorités centrales ne se trouvent sans doute pas derrière ces attaques, du moins faillissent-elles sérieusement à leur responsabilité de protéger les journalistes – tout comme les civils en général."
Depuis la révolte politique d’avril 2010, qui s’était suivie de violences inter-ethniques dans le sud entre Kirghizes et Ouzbeks, la situation politique et sociale reste très tendue dans le pays, d’autant plus que l’Etat est durablement affaibli. Les journalistes qui tentent de rendre compte des problèmes actuels sont de plus en plus fréquemment pris à partie, notamment dans le sud du pays et à Och, où plusieurs centaines de civils ont trouvé la mort en juin dernier.
Le 17 mai 2011, Hulkar Isamova, correspondante de l’agence de presse Reuters, a été prise à partie sur un parking de Och par deux femmes qui l’ont menacée à l’arme blanche. Elles l’ont accusée d’être un “suppôt de Kadyrjan Batyrov”, un des leaders de la communauté ouzbèke recherché par les autorités. Détail troublant, ces femmes étaient en possession d’informations confidentielles que la journaliste avait confié à la police lors de l’enquête sur les événements de juin dernier. Cette agression est survenue trois jours après l’intrusion d’une quinzaine de personnes se réclamant du parti nationaliste Asaba dans les bureaux de l’agence d’information 24.kg à Och. Les intrus ont proféré des menaces et des insultes à caractère ethnique à l’égard des employés et des journalistes, les traitant d’”espions ouzbeks”.
La liste des exactions contre les journalistes s’allonge de semaine en semaine, dans l’indifférence générale. L’impunité est de mise. Les plaintes déposées à la police ne sont jamais suivies d’effets. Quand elles sont ouvertes, les enquêtes semblent être bâclées, sans qu’aucune volonté réel de retrouver les agresseurs soit démontré.
La correspondante de l’agence de presse russe Interfax Jyldyz Bekbaeva avait fait l’objet d’une violente agression dans le quartier “Zapadny” de Och, le 1er mai, en début de soirée. Alors qu’elle rentrait chez elle, accompagnée de sa fille de deux ans, elle a été attaquée par quatre personnes, dont deux femmes. Blessée à la tête, aux jambes et au cou, la journaliste a dû être hospitalisée. La présidente kirghize de transition, Rosa Otunbaeva, avait réagi par de fortes déclarations, estimant qu’il s’agissait d’une “atteinte à la liberté de la presse” et promettant de suivre l’enquête avec attention. Pourtant, sur les deux enquêtes ouvertes, l’une vise… Bekbaeva elle-même, qui figure parmi les trois personnes mises en cause.
Dix jours plus tard, Samat Asipov, reporter pour la chaîne Canal 5, a été agressé par trois inconnus, près de l’université technique de Bichkek. Violences qui lui ont valu un séjour à l’hôpital. Le journaliste travaillait pour le programme d’informations “Kundemi” sur des thèmes politiques et sociaux.
“Trois agressions graves entraînant l’hospitalisation des victimes ont donc été commises depuis début mai. Dans chaque cas, le motif professionnel est hautement probable, dans la mesure où rien n’a été dérobé aux journalistes, qui travaillaient sur des sujets sensibles”, a souligné l’organisation.
Au moins deux autres journalistes, Elmira Toktogulova (Tazar, Media-Consult) et Nazgul KushnazarovaRadio Almaz), ont été violemment agressées à Bichkek depuis le début de l’année, sans qu’il soit possible de déterminer si le motif professionnel était prépondérant. Mais dans les deux cas, l’enquête piétine. (
Des journalistes auraient aussi été pris à partie par des trafiquants de carburant dans la région isolée et frontalière de Batken (sud-ouest). D’après le Centre kirghize pour les droits de l’homme (KCHR), le 9 mai 2011, les correspondants de la télé et radio publique ElTR, Ulan Makkambaev et Zhyrgal Aitmatov ont été menacés de représailles s’ils diffusaient de nouveau des informations sur ce trafic.
La justice kirghize s’est malheureusement révélée partiale dans une série d’enquêtes portant sur le conflit de juin 2010. En témoignent les conclusions de l’enquête, fin avril, contre les patrons de médias ouzbeks Khalil Khudoiberdiyev et Djavlon Mirzakhodjaev. Le créateur et directeur de Och TV et le propriétaire et directeur des trois chaînes de télévisions Mezon TV, Itogi Nedeli et Portfel, actuellement en exil, sont poursuivis pour “organisation et participation à des troubles de l’ordre public”, ”appel au séparatisme”, ”incitation à la haine religieuse et interethnique”, ”abus de pouvoir” et “création illégale d’un groupe armé”. Les deux hommes ont appris leurs chefs d’accusation dans la presse. Ils seraient poursuivis pour avoir couvert un meeting de la communauté ouzbèke à Djalal Abad en mai 2010. Khudoïberdiyev avait été obligé de vendre Och TV en juillet 2010 après avoir reçu des menaces. Les événements de juin 2010 et la persistance des tensions inter-ethniques constituent un tabou pour la presse kirghize, comme le confirme Inga Sikorskaya, de l’Institute for War and Peace Reporting, “Un journaliste écrivant sur les effets de la violence ethnique s’expose à beaucoup de problèmes. En conséquence, l’autocensure se développe.”
Reporters sans frontières