Reporters sans frontières exprime son inquiétude face à la recrudescence des procès intentés aux professionnels des médias au Koweït, pourtant premier Etat du Golfe à avoir dépénalisé les délits de presse.
“La réforme du code de la presse de 2006 a profondément transformé le paysage médiatique de l’émirat. Nous appelons les autorités à poursuivre leurs efforts pour renforcer la protection de la liberté d’informer et d’être informé. La mise en place de juges spécialisés, alors que les contentieux sont de plus en plus nombreux, serait une garantie supplémentaire pour les journalistes incriminés”, a déclaré l’organisation.
Fouad Al-Hachem, du quotidien koweïtien Al-Watan, a été condamné, le 28 mai 2008, à verser près de 22 000 euros de dommages et intérêts pour “diffamation” suite à trois plaintes émanant de Cheikh Hamad ben Jassem Al-Thani, Premier ministre de l’émirat du Qatar. Ce dernier accuse le journaliste d’avoir porté atteinte à son image dans des articles traitant de ses relations avec l’Etat d’Israël. Fouad Al-Hachem a déclaré à Reporters sans frontières qu’il faisait l’objet de plus d’une vingtaine de procédures judiciaires, la plupart initiées par des députés qui l’accusent d’avoir nui à leur image auprès de leur électorat. “Aujourd’hui, les journalistes koweïtiens doivent être prudents et avoir recours à l’autocensure pour se protéger de l’intolérance de certains hommes politiques qui n’acceptent pas la critique”, a-t-il affirmé. Son procès en appel devrait s’ouvrir en septembre 2008.
Dans une autre affaire, Saad Al-Ajimi, correspondant de la chaîne satellitaire d’informations Al-Arabiya, est poursuivi pour “outrage” suite à une plainte en diffamation déposée par Hamid Al-Ali, un dignitaire religieux. Le journaliste a été entendu par le parquet le 8 juin 2008, plus de cinq mois après la diffusion, le 1er février, de l’émission Sina’at Al-Mowt (L’industrie de la mort) ayant pour thème “L’histoire d’Al-Qaida au Koweït”. En faisant allusion au plaignant, le journaliste avait indiqué que des membres du mouvement avaient rencontré des “dignitaires religieux fondamentalistes au Koweït”.
Contacté par Reporters sans frontières, Saad Al-Ajimi a déclaré que “le nombre de plaintes déposées contre les professionnels des médias au Koweït était en hausse constante depuis le vote de la réforme du code de la presse, qui a certes écarté la menace de l’emprisonnement pour les journalistes mais a instauré des amendes beaucoup trop élevées.”
Fayçal Al-Qinai, secrétaire générale de l’Association des journalistes Koweitiens, a indiqué à Reporters sans frontières que des dizaines de professionnels des médias avaient sollicité une aide juridique pour faire face aux procès qui leur sont intentés. C’est notamment le cas d’Ahmed Abderrahmane Al-Qouss, un autre collaborateur du quotidien Al-Watan, qui fait l’objet d’une plainte en “diffamation” émanant du député Ali Al-Rachid. Ce dernier a demandé des dommages et intérêts à hauteur de 100 000 dinars (l’équivalent de 238 000 euros).
En mars 2006, le parlement koweïtien a adopté une nouvelle loi sur la presse octroyant un espace de libertés plus vaste pour les journalistes de l’émirat. La dépénalisation des délits de presse reste toutefois limitée puisque la nouvelle législation comprend de nombreuses exceptions – telle que l’atteinte à la religion – régies par le code pénal. En revanche, cette réforme a permis de mettre fin au monopole d’Etat sur l’octroi des licences aux médias. Le Koweït compte aujourd’hui quinze quotidiens et des dizaines de chaînes de télévison privés.
RSF 02.07.2008