Comme si de rien n’était : le titre du troisième album de Carla Bruni-Sarkozy tient du paradoxe tant sa sortie, demain, en France a suscité l’effervescence des médias, liée au statut de Première dame de l’ex-mannequin devenue chanteuse.
« Le voilà, le fameux album de Carla Bruni. L’objet de tous les désirs, interrogations, spéculations, rumeurs et fantasmes », écrivait le Journal du Dimanche dans sa dernière édition, tandis que le quotidien Le Figaro évoquait récemment « le disque le plus attendu qui se soit enregistré en France ces dernières décennies ». Depuis un mois, la première dame a fait la une de tous les grands hebdomadaires généralistes comme de la presse people. Vendredi, jour de la sortie, Carla Bruni est en outre l’invitée du journal de 20h00 de la chaîne privée TF1, le plus regardé du pays.
Face à l’appétit des médias, la maison de disque Naïve a avancé de dix jours la date de sortie de l’album, qui sortira simultanément en France et dans la plupart des pays d’Europe. Depuis hier, il peut être écouté gratuitement sur Internet, sur le site www.carlabruni.com.
Dans l’ensemble bien accueilli par la critique, cet album, dont l’ancien mannequin a écrit presque tous les textes, s’inscrit dans la même veine que son premier disque Quelqu’un m’a dit en 2002, malgré des orchestrations plus étoffées.
La plupart des médias ont toutefois abordé le sujet sous le double angle artistique et politique. Car depuis son mariage avec Nicolas Sarkozy début février, Carla Bruni, 40 ans, femme de gauche issue d’une riche famille italienne d’artistes, a été totalement associée à l’image publique du chef de l’État. Elle a elle-même reconnu que la perception de son disque par le public ne serait « pas que musicale ». Dans un entretien jeudi dernier avec la radio France Inter, elle a assuré « comprendre » qu’il puisse y avoir des réactions hostiles à l’égard de son parcours ou de son album. « Si les gens ne l’écoutent pas parce que j’ai épousé le président de la République, je le comprends, si les gens l’écoutent parce que j’ai épousé le président de la République, j’en suis ravie, et si les gens, surtout, l’aiment, c’est ce qui compte pour moi », a-t-elle dit.
La place à accorder à la sortie de ce disque événement a suscité de nombreux débats dans les rédactions. « Les journalistes français luttent pour trouver un équilibre entre sa célébrité de pop star et son rôle de Première dame », constate le correspondant à Paris du journal américain The Christian Science Monitor, Robert Marquand. Fin juin, le quotidien de gauche Libération a publié un entretien de Carla Bruni sur cinq pages. Le journal dit avoir reçu de nombreux messages de protestation sur son site Internet, mais a vu ses ventes exploser de plus de 40 %. En février, la première interview de la nouvelle Mme Sarkozy avait également permis à l’hebdomadaire L’Express d’écouler près 600 000 exemplaires, un record. Cette omniprésence provoque aussi des grincements de dents, à l’instar de l’hebdomadaire Marianne qui s’insurge : « Opération Carla. Trop, c’est trop ! » Tout en consacrant cinq pages au phénomène.
L’ex-mannequin à la réputation de femme fatale, dont les aventures amoureuses faisaient les délices de la presse people, a rapidement endossé son nouveau statut, affichant une attitude humble et un soutien sans faille à son mari. Parfois comparée à Jackie Kennedy, Carla Bruni-Sarkozy est perçue comme un atout pour un président en mal de popularité. Selon de récents sondages, 55 % des Français estiment que Nicolas Sarkozy « utilise son épouse pour son image personnelle » et 51 % estiment qu’elle remplit « plutôt bien » son rôle.
Un album pop-folk de 14 chansons
Le troisième album de Carla Bruni est un disque aux accents pop-folk qui creuse en 14 chansons et 42 minutes le sillon intimiste de Quelqu’un m’a dit, qui l’avait révélée comme chanteuse en 2002. Il a été enregistré à Paris, dans un studio près des Champs-Élysées.
Tous les textes sont de Carla Bruni, hormis La possibilité d’une île (un poème de Michel Houellebecq), You belong to me (morceau en anglais qu’a chanté Bob Dylan) et Il vecchio e il bambino, une reprise du chanteur anarchiste italien Francesco Guccini. La chanteuse a coécrit Péché d’envie avec le père de son fils, Raphaël Enthoven.
Le disque bénéficie d’arrangements pop nettement plus amples que le dépouillement guitare-voix de Quelqu’un m’a dit, qui avait été un gros succès commercial, mais il reste dans la même veine. Certaines chansons rappellent les Beatles (Ma jeunesse), les slows des années 60 (Je suis une enfant, adaptée d’un lied de Schumann), ou le blues (Tu es ma came).
Les textes sont intimistes et évoquent pour la plupart l’amour ou le temps qui passe. Certains seront immanquablement sujets à interprétation sur sa relation avec Nicolas Sarkozy. Dans Ta tienne, Carla Bruni chante : « Qu’on me maudisse, que l’on me damne/Moi j’m’en balance, j’prends tous les blâmes (…) Moi qui faisais valser les hommes/Toute entière à toi je me donne. » Tu es ma came, qui dresse un parallèle entre l’amour et l’addiction à la drogue (« Tu es ma came/Plus mortel que l’héroïne afghane/Plus dangereux que la blanche colombienne »), a suscité en juin une protestation officielle de la Colombie.
Le titre Comme si de rien n’était fait référence à une œuvre photographique du frère de Carla Bruni, Virginio, décédé en 2006 (et auquel la chanson Salut marin s’adresse implicitement).
Selon la maison de disques Naïve, les royalties de Carla Bruni sur cet album disque seront reversées à une organisation caritative, la Fondation de France.
Quelqu’un m’a dit avait connu un succès public et critique considérable (1,2 million d’exemplaires en France, 800 000 à l’étranger, selon la maison de disques). No Promises, sorti début 2007 et dans lequel Carla Bruni mettait en musique des poèmes anglo-saxons, s’était moins bien vendu (380 000 exemplaires dans le monde dont 110 000 en France).
L'Orient Le Jour 10.07.2008