« Nous sommes capables de rire, de danser, de chanter », reconnaît Mgr Gabriel Akwasi Abiabo Mante. « Ce n'est pas que nous nions l'existence de situations difficiles. C'est que, quand nous chantons, nous dansons et nous rions, nous pensons toujours aux solutions à nos problèmes ».
L'évêque ghanéen, âgé de 63 ans, s'est livré à cette réflexion lors de l'émission de télévision « Là où Dieu pleure ».
Q : Des missionnaires affirment que l'Afrique doit être évangélisée par les Africains. Où en est l'Eglise du Ghana à cet égard ?
Mgr Mante : Je crois que l'Eglise au Ghana a fait beaucoup de chemin. La hiérarchie ghanéenne, les évêques, les principaux représentants de l'Eglise sont des Ghanéens, de même que la grande majorité des prêtres ; 80% d'entre eux, ou plus, sont originaires du Ghana. Ceci ne signifie pas, toutefois, que nous n'avons pas besoin de missionnaires au Ghana. Nous en avons encore besoin. Et même, je les invite maintenant à venir, car mon diocèse est un jeune diocèse.
Ces missionnaires ont-ils influencé votre vocation ?
Oui, ils nous ont inspirés énormément, par la façon dont ils s'acquittaient de leur tâche. Ils étaient pleins de zèle, concentrés sur leur mission et très déterminés et, de plus, proches de nos gens. Quand ils venaient dans un village typique, ils allaient de maison en maison pour visiter les gens. Leur travail était exaltant, accompli dans un esprit de sacrifice. Si l'on y songe, même en comparant avec la situation de nos jours – ils ont quitté leurs maisons, si loin, pour dormir dans nos sacristies, dans nos huttes aux toits de chaume. C'était formidable. La plupart d'entre eux ont mangé notre nourriture. Ils se sont identifiés à nous. Leur vie de prière nous a beaucoup inspirés. Je me souviens de cette époque où, avant la messe, le curé de la paroisse venait prier le bréviaire, ou réciter le rosaire, autour de l'Eglise. Toutes ces choses ont inspiré certains d'entre nous et influé sur nos décisions d'enfance de devenir prêtres. J'étais impliqué dans l'Eglise car mon frère était catéchiste et, très tôt, il m'a appris à animer les services religieux, pour les remplacer, quand lui ou le prêtre étaient absents. Je pense que cela aussi a contribué à inspirer ma vocation.
Et vos parents ? Etaient-ils catholiques ?
Ma mère a été la première à être baptisée, puis mon père. Il est mort quand j'étais encore enfant, et je ne l'ai pas vraiment connu. Donc, pour ce qui est de la foi catholique dans notre famille, c'est une chose que nous avons reçue de notre mère. Elle a été baptisée la première. Elle nous a élevés sans jamais nous obliger à aller à l'église, mais d'une certaine façon elle nous poussait tous à y aller. Nous sommes maintenant à la quatrième génération qui maintient la foi que nous avons reçue d'elle.
J'aimerais aborder avec vous la question des religions africaines traditionnelles. Certaines sont-elles appréciées dans l'Eglise catholique ?
Je dirais plutôt qu'elles sont dépositaires d'un certain nombre de valeurs, par exemple le respect des parents, des personnes âgées, de l'autorité, le travail dur, l'humilité et autres et, je dois dire aussi, une certaine crainte de Dieu. Oui, les religions traditionnelles possédaient, et possèdent encore, ces valeurs ; mais la grande différence est que ces valeurs sont inspirées davantage par la crainte d'une punition des esprits que par l'amour de Dieu, qui inspire ces valeurs dans les Eglises catholiques et chrétiennes. C'est là la grande différence.
L'Eglise catholique a-t-elle incorporé quelques-unes de ces traditions ?
Oui, la plus importante, qui, je dois dire, n'est pas propre à la culture du Ghana, mais à l'ensemble du continent, est notre manière de rendre le culte à Dieu. Nous sommes très extravertis dans notre façon de rendre le culte ou de nous exprimer. Nous faisons beaucoup de gestes, nous chantons, nous dansons, mais il y a également des moments où nous observons le silence. C'est là un des aspects les plus importants qui ont été incorporés. L'autre est l'utilisation de la langue locale. Certains disent que, maintenant, nous sommes en mesure de profiter de la liturgie, parce que nous chantons et prions dans notre propre langue.
Quelle est la position des femmes aujourd'hui dans la société ? Ont-elles accès à l'éducation ?
La situation a complètement changé au cours des 30 dernières années. Il y a plus de filles à l'école maintenant qu'auparavant. Les femmes occupent des postes au plus haut niveau de l'échelle sociale. Beaucoup d'étudiants dans les universités et autres institutions d'enseignement supérieur sont des femmes. Je dois dire que, d'une certaine manière, le Ghana une fois de plus ouvre la voie pour rehausser l'image de la femme. Le président de la cour suprême est une femme, le président de l'assemblée aussi. Nous avons une Commission des droits de l'homme, et à la tête de l'administration de la justice, il y a également une femme. Nous avons eu un nouveau gouvernement en 2009 et le président a nommé une dizaine de femmes comme ministres de son cabinet. Toutefois, la situation des femmes dans les zones rurales reste difficile.
Dans quel sens ?
Elles assument la plus lourde tâche dans le foyer. Elles sont les premières à se lever le matin, généralement vers 4h du matin, elles sont les dernières à se coucher, vers 9h du soir. Elles font la cuisine, bien entendu avec l'aide des enfants. Elles font la lessive et autres tâches ménagères. La production alimentaire relève entièrement du domaine des femmes. Les hommes sont impliqués dans la culture de rente comme le coco et autres produits, mais tout ce qui concerne la production alimentaire est l'apanage des femmes.
Quels sont les problèmes que vous exposent ces femmes quand vous les visitez ?
Quelquefois, quand il y a des malentendus dans la maison et qu'elles ne parviennent pas à les solutionner au sein de la famille, elles viennent à moi. Certaines se plaignent de leurs problèmes conjugaux ; l'homme n'aide pas et n'assume pas sa part de responsabilité. Ce sont quelques-uns des problèmes que je rencontre et que nous essayons de réduire. Nous avons des programmes pour les associations de femmes catholiques. Nous les formons à la gestion pour gérer ces situations. Nous avons ce que nous appelons des projets Femmes et développement, au profit des femmes, ou alors des « facilitateurs », des conseillers en développement, viennent les former à développer leurs compétences pas seulement dans la vie courante, mais aussi dans les activités de production.
Vous vous êtes prononcé contre la corruption. Est-elle toujours aussi répandue ?
Je ne crois pas qu'il y ait eu un changement significatif depuis la publication de notre importante déclaration sur la corruption en 1998. Elle est largement répandue, à tous les niveaux. Et certaines des méthodes ont été « perfectionnées ». Elles sont devenues sophistiquées, si bien qu'il faut avoir des yeux plus qu'ouverts- et nous avons, en particulier, besoin de personnes placées à certains endroits qui témoignent et nous informent – pour voir que la corruption a eu lieu. Je ne le nie pas ; la corruption est toujours un élément majeur auquel est confrontée la société ghanéenne. Elle est toujours là. Elle n'a pas été réduite. Elle a revêtu des formes différentes pour ce qui est des méthodes et des possibilités, et s'est enracinée plus profondément encore.
Que peut faire l'Eglise catholique ?
Il y a dix ans, nous avons composé une prière dans une église catholique contre la subornation et la corruption au Ghana, et nous l'avons diffusée dans l'Eglise. Je regrette de dire que nous n'avons pas maintenu cette prière et qu'elle n'est récitée que dans de rares endroits. En dehors de cette initiative, je ne crois pas que nous, en tant qu'Eglise, ayons adopté des mesures concrètes et précises pour lutter contre la corruption. Nous continuons à en parler. Nous la condamnons, mais pour ce qui est de l'action concrète, je crois que très peu, pour ne pas dire rien du tout, n'est fait par l'Eglise. J'assume la responsabilité de ma déclaration et je suis prêt à la défendre.
Que peut apporter l'Eglise catholique du Ghana à l'Eglise catholique universelle ?
Permettez-moi de dire que nous apportons notre sens de l'endurance à l'Eglise catholique universelle. Nous avons certes été persécutés par le passé, le Ghana dans son ensemble a traversé des moments très difficiles ; mais, dans tous ces moments, l'Eglise a toujours été aux côtés du peuple ghanéen, sans compromission. C'est une des contributions à l'Eglise et, en outre, peut-être notre joie. Sur toute la côte occidentale de l'Afrique, le Ghana est un pays qui ne connaît pas de conflit civil grave au point de diviser et dresser les gens les uns contre les autres, comme c'est le cas à sa porte, au Liberia et Sierra Leone etc. – c'est l'un des rares pays. Nous avons connu des situations semblables à celles du Liberia ou du Sierra Leone, qui auraient pu dégénérer en guerres civiles ; mais les Ghanéens, comme je l'ai toujours dit, savent combattre avec les paroles plutôt qu'avec les armes. Je pense donc, notre sens de l'endurance face à des situations graves, réelles, provocatrices, conflictuelles ; mais en même temps, au milieu de toutes ces situations, nous sommes capables de rire, de danser, de chanter ; non pas que nous nions l'existence de situations dures, mais lorsque nous chantons, dansons et rions, nous pensons toujours à des solutions à nos problèmes.
Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer pour l'émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par le Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
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