«Comment l'idéologie du genre se répand-elle en Afrique ?»: Monseigneur Tony Anatrella répond à cette question dans cet entretien que nous publions en plusieurs volets (depuis le 30 août), à propos de l'encyclique sociale de Benoît XVI «Caritas in Veritate»
et de la théorie du « genre ». Un sujet que Mgr Anatrella a traité en juillet dernier dans une conférence donnée aux évêques du continent africain.
Monseigneur Tony Anatrella, Psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale. Consulteur du Conseil Pontifical pour la famille et du Conseil Pontifical pour la Santé, membre de la Commission Internationale d'Enquête sur Medjugorje auprès de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il consulte et enseigne à Paris à l'IPC et au Collège des Bernardins.
Il a été invité à donner une conférence sur le thème : « Caritas in Veritate et la théorie du genre » auprès des Évêques Africains réunis à Accra (Ghana) pour la 15ème Assemblée Plénière du Symposium des Conférences Épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) qui s'est tenue du 26 juillet au 2 août 2010.
Il répond aux questions de Zenit au sujet du long et riche rapport qui a retenu l'attention de l'Assemblée des Conférences Épiscopales d'Afrique.
Zenit : Comment l'idéologie du genre se répand-elle en Afrique ?
Monseigneur Tony Anatrella : L'Occident fabrique des idées qui sont de nouvelles pathologies sociales et cherche à les exporter en Afrique, ce que les Africains ne veulent pas, malgré les financements qu'on leur propose en matière de santé, d'éducation, de couple et de famille, en échange de la diffusion des concepts du « genre » dans ce continent. Des associations chrétiennes se laissent prendre au jeu des subventions accordées dans la mesure où elles propagent cette idéologie dans des sessions de formation organisées par des Caritas en direction des prêtres, des religieux et des religieuses. Des évêques m'ont dit les avoir refusées et avoir décliné des financements pour leurs écoles et leurs centres de santé car ils ne voulaient pas être instrumentalisés par les agences Onusiennes et les ONGs.
De la même façon, les responsables politiques des différents pays d'Afrique supportent de moins en moins l'action commune des différentes chancelleries européennes, via leur ambassade, qui interviennent de façon harcelante pour favoriser la reconnaissance quasi matrimoniale des relations entre personnes de même sexe. Pour les Africains, les Occidentaux déraisonnent en voulant leur imposer un mode de vie qui est contraire à la réalité où seuls un homme et une femme forment un couple, se marient, conçoivent, adoptent et éduquent des enfants. Une orientation sexuelle est un déterminant de la personnalité que le sujet va plus ou moins bien assumer, c'est son affaire. Elle n'est pas une référence à partir de laquelle la société s'organise en matière conjugale et familiale. C'est bien pour cela que la France ne reconnaît ni le mariage, ni l'adoption des enfants par des personnes de même sexe. Il n'y a aucune discrimination à affirmer que l'intérêt de l'enfant est de pouvoir se développer entre un homme et une femme. Il serait même discriminatoire de le priver de la rencontre de l'un et de l'autre au cœur de la vie conjugale de ses parents qui donnent, eux-mêmes et pour de vrai, naissance à une famille. L'intérêt de l'enfant ne réside pas dans l'enveloppement affectif de personnes qui s'occupent de lui, mais qu'il puisse grandir dans les conditions mêmes de la filiation seulement partagées par un homme et une femme. Le reste n'est qu'une falsification de la conjugalité et de la filiation aux effets délétères sur les personnalités et sur la société.
Dans l'idéologie du genre, on voudrait nous renvoyer à une nature indéterminée et malléable à merci selon les fantasmes de chacun. La psychanalyse nous a appris, ce que les anciens savaient déjà, que le fantasme n'a pas vocation à se réaliser. Il est simplement une obligation faite à la représentation pulsionnelle de travailler sur soi. Le climat social, politique et éducatif de l'époque actuelle, ne facilite pas cette opération psychique et symbolique puisque l'infantilisme, l'impulsivité et le passage à l'acte permanent sont valorisés.
Zenit : On a le sentiment que la théorie du genre refuse la différence sexuelle qui est pourtant l'un des fondements de toutes les sociétés ?
Monseigneur Tony Anatrella : En effet, elle est dans le déni de la différence sexuelle et cette transgression du réel est insupportable pour des Africains qui, dans les meilleurs des cas, ont le sens de l'homme et de la femme, et de la famille quand ils ne sont pas soumis à des conceptions inégalitaires et de domination de l'homme sur la femme. Ce déni tient aux conditions de la création de cette idéologie à partir de personnalités transsexuelles qui n'acceptant pas leur corps sexué pour un corps fantasmé appartenant à l'autre sexe, les premiers théoriciens en ont conclu que la véritable identité sexuelle n'était pas inscrite sur le corps mais dans la psyché. Autrement dit le vrai sexe, c'est le fantasme. Nous sommes en pleine hémorragie psychique. Un cas particulier et extrême est ainsi devenu une généralité. Ainsi est née une idéologie psychologisante au nom de laquelle le politique est sommé de faire des lois à partir des intérêts subjectifs de chacun, de quoi morceler la société. Les mouvements féministes puis les mouvements lesbiens et homosexuels s'en sont emparés pour donner une légitimité « scientifique » à leur mode de vie et à leurs revendications. L'orientation sexuelle remplace l'identité sexuelle. Toute une trajectoire compassionnelle s'est développée autour de ces questions, à cause de la pandémie du sida, et l'idéologie, liant sentiments et déni d'humanité, s'est imposée au point de devenir une norme à partir de laquelle on redéfinit l'homme, la femme, le couple, le mariage, la famille et la filiation. Cette dynamique a mis plus de quarante ans pour créer de nouveaux paradigmes et succéder au marxisme.
Ainsi, au lieu de chercher à unir dans la complémentarité établissant une relation entre la différence sexuelle de l'homme et de la femme, cette idéologie (et les lois faites en son nom) sépare et oppose de plus en plus pour essayer de se maintenir dans l'indifférencié et, de ce fait, dans la confusion des pensées.
La théorie du genre ne cesse d'opposer l'homme à la femme allant jusqu'à la revendication d'un pouvoir féminin à travers l'autonomie de la femme qui exclut l'homme de la procréation et de la vie familiale. Elle manifeste une profonde immaturité intellectuelle dans le sens où la fin de la maturité humaine ce n'est pas l'autonomie, même si cette étape est nécessaire au moment de l'adolescence afin que le sujet prenne possession de soi, mais l'interdépendance entre l'homme et la femme. Celle-ci facilite leur relation de coopération, de complémentarité et des rôles assumés selon les qualités, les compétences et les symboliques de chaque sexe. Il n'est pas certain que toutes les fonctions puissent être exercées indistinctement par les hommes et les femmes et que cela soit sans conséquences sur les personnes et le lien social. Il suffit de l'observer sur les enfants et les adolescents dans le milieu scolaire.
La mixité partagée par l'homme et la femme ne se confond pas avec la similitude et en ce sens, la mixité scolaire a échoué. Au lieu de favoriser une meilleure relation entre l'un et les autres, elle entraîne à la fois une identification féminine à la psychologie masculine et le besoin, chez des postadolescents trentenaires, de se retrouver dans des groupes de personnes de même sexe : masculin ou féminin. Il reste encore à découvrir que la relation, l'attrait de l'autre et l'association de l'homme et de la femme ne se font que dans la reconnaissance intime de leur distinction. A l'inverse, la théorie du genre laisse entendre qu'il n'y a pas de distinction. Il y a pourtant une psychologie masculine autre que la psychologie féminine et des intérêts et des besoins qui sont différents chez les uns et les autres. En perdant le sens de cette différence majeure des sexes, on perd également le sens des autres différences au moment où on veut les revendiquer. Ce qui est une imposture, car ce qui est recherché c'est la similitude.
Zenit : L'un des aspects de la théorie du genre que vous avez largement analysé dans vos livres mais aussi que vous avez précisé lors de récents interviews pour Zenit, est d'opposer constamment l'homme à la femme ? Comment l'encyclique aborde cette question ?
Monseigneur Tony Anatrella : Le risque et le danger de la théorie du genre consistent justement, au nom d'artifices intellectuels, à diviser et à séparer des réalités humaines qui ont vocation à s'unir. Des mesures législatives entreprennent, par exemple, de modifier le langage pour mieux faire accepter l'opposition de l'homme et de la femme, et favoriser le mariage et l'adoption des enfants par des personnes de même sexe alors qu'ils sont antinomiques à ce type de situation paradoxale.
Le Saint-Père souligne, fort justement dans son raisonnement, que l'homme ne saurait être réduit à un donné purement culturel, comme le prétend la théorie du genre. Plus précisément, il souligne le risque de séparer la culture de la nature humaine. « Éclectisme et nivellement culturel ont en commun de séparer la culture de la nature humaine. Ainsi, les cultures ne savent plus trouver leur mesure dans une nature qui les transcende, elles finissent par réduire l'homme à un donné purement culturel. Quand cela advient, l'humanité court de nouveaux périls d'asservissement et de manipulation » (n. 26). Plus précisément, le genre humain ne se morcelle pas mais il se rencontre et se vit à travers l'altérité qui fonde « l'ouverture à la vie qui est au centre du développement » intégral (n. 28). Une altérité qui trouve son origine dans l'altérité du Dieu trinitaire comme le souligne Benoît XVI : « Seule la rencontre de Dieu permet de ne pas "voir dans l'autre que l'autre" mais de reconnaître en lui l'image de Dieu, parvenant ainsi à découvrir vraiment l'autre et à développer un amour qui devienne soin de l'autre pour l'autre » (n. 11).
Dans la théorie du genre nous sommes aux antipodes du sens de l'altérité pour s'installer dans la similitude, voire dans une vision comptable de la parité en tout point entre l'homme et la femme. Il ne s'agit pas de remettre en question une nécessaire égalité de l'homme et de la femme. L'Église, à l'image du Christ, a été la première institution à soutenir l'égalité de l'homme et de la femme contre tous les modèles sociaux prégnants qui allaient à l'encontre de cette dignité. Elle a dû lutter pendant près de vingt siècles pour faire admettre le mariage par élection libre des époux contre les mariages forcés et arrangés par les familles, la responsabilité conjugale et parentale partagée entre l'un et l'autre et le centrage de l'expression sexuelle dans la vie du couple. Il y aurait encore de nombreux exemples à donner qui ont été oubliés dans l'histoire des idées pour rendre justice à l'Église dans la promotion de la femme.
En revanche, ce qui se joue actuellement n'a rien à voir avec l'égalité entre les hommes et les femmes. La parité n'est qu'un prétexte pour instaurer un pouvoir féminin qui tendrait à exclure l'homme notamment dans le domaine conjugal et la procréation. Une attitude qui consiste à dévaloriser le mariage au bénéfice du concubinage, d'unions civiles, de la cellule monoparentale, en les mettant tous sur le même plan. Une confusion supplémentaire dommageable au lien et à la cohésion sociale ainsi morcelés. Ensuite on s'étonnera de l'augmentation du nombre de célibataires et la difficulté pour beaucoup de savoir être en couple, et élaborer une relation conjugale selon les âges de la vie même du couple.
C'est pourquoi le Saint-Père rappelle que le mariage ne concerne que l'alliance engagée seulement entre un homme et une femme et qu'il serait déraisonnable et injuste d'en attribuer les caractéristiques à des situations relationnelles qui sont d'une autre nature. Le Pape souligne avec raison que « les États sont appelés à mettre en œuvre des politiques qui promeuvent le caractère central et l'intégrité de la famille, fondée sur le mariage entre un homme et une femme, cellule première et vitale de la société, prenant en compte ses problèmes économiques et fiscaux, dans le respect de sa nature relationnelle » (n. 44). Autrement dit, les États ont tort d'élargir les droits inhérents au mariage à des situations comme le concubinage, le pacte civil et des duos homosexuels qui ne présentent pas les mêmes propriétés et les mêmes vertus. C'est ainsi que l'on fracture l'anthropologie au lieu d'en avoir une vision unitive.
zenit