En janvier 2005, l'archevêque de Mossoul a compté parmi les victimes de la violence en Irak. Enlevé par des inconnus, il a été menacé de mort, avant d'être libéré.
A ses ravisseurs qui lui demandaient combien il avait d'argent, l'archevêque a répondu à la question, mais il a ajouté que si on le tuait, c'est eux qui allaient devoir distribuer l'argent aux pauvres à sa place.
Mgr Basile Georges Casmoussa, 71 ans, est l'archevêque de Mossoul pour les catholiques syriaques. Quand il parle de sa terre natale, un sourire éclaire son visage parce que, avoue-t-il, il garde espoir en l'humanité.
Dans cette interview accordée à l'émission de télévision « Là où Dieu pleure », le prélat réfléchit sur l'urgence de la paix pour son pays en proie à des conflits et des troubles.
Q : Souhaiteriez-vous le départ des soldats américains dès que possible ?
Mgr Casmoussa : Vous commencez par la bonne question. Oui, bien sûr, tout soldat souhaite normalement rentrer chez lui. Ce dont nous avons besoin et que nous espérons, c'est la paix pour notre pays. Je pense que c'est une bonne chose d'étudier les modalités de retour, afin de construire la paix, la tranquillité et l'amitié entre deux peuples, le peuple d'Irak et le peuple des Etats-Unis.
Les chrétiens sont-ils pénalisés en Irak par la présence des soldats américains ?
Je n'aime pas cette expression. C'est le peuple irakien tout entier qui est puni par la présence d'une armée étrangère. Les chrétiens, ici une minorité, pensent qu'ils sont plus affectés que les autres, mais la réalité est que tous souffrent des conditions de la guerre.
Vivre en Irak est encore très risqué, et sans doute aussi dans la région où vous vivez. Si je ne me trompe, vous-même avez été enlevé en 2005. Pouvez-vous dire qui vous a enlevé et pourquoi ?
Bien, je ne sais pas qui ; mais ce que je sais, c'est que j'ai été enlevé. J'ignore encore aujourd'hui si c'étaient des fondamentalistes, un groupe politique ou autre. J'ai passé 20 heures avec eux. Je dirais qu'ils m'ont traité correctement. J'étais tranquille avec eux, je parlais, je répondais à leurs questions.
Que vous ont-ils demandé ?
Ils m'ont demandé par exemple, pourquoi nous disons que le Christ est le Fils de Dieu, pourquoi nous, prêtres ne nous marions pas, quelle est la signification du mariage chrétien etc.
Vous ont-ils enlevé parce qu'ils pensaient que vous étiez un espion américain, ou pourquoi l'ont-ils fait ?
Non, non rien de cela. Ils ne m'ont accusé de rien. Parfois, ils utilisent ce prétexte, mais ce n'est pas vrai, bien entendu, et ils ne m'ont pas accusé de cela. Ils prétextent toujours une relation avec les forces d'occupation.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous est arrivé ? Comment avez-vous été enlevé ? Etait-ce dans la rue, dans l'église ?
Je visitais une famille et, après cette visite, j'ai béni la nouvelle maison. Des jeunes gens ont abattu un arbre pour me bloquer et m'ont mis dans le coffre de leur voiture.
Avez-vous craint pour votre vie ?
Quand j'étais dans le coffre de la voiture, j'ai prié Dieu pour qu'il me donne la grâce de garder mon calme et d'espérer jusqu'au bout, et que sa volonté soit faite. J'ai également demandé de m'accorder la grâce de rester calme et tranquille et de ne rien dire qui me soit préjudiciable. Et je suis resté très calme quand un des ravisseurs m'a demandé combien d'argent j'avais. Je lui ai dit combien j'avais, que je l'avais noté sur mon carnet, et que l'argent était pour les pauvres. Il m'a dit : « On va vous tuer ». J'ai répondu : « Bon, alors c'est vous qui devrez distribuer cet argent aux pauvres, à ma place ».
Et que vous ont-ils répondu? Même si l'argent était destiné aux pauvres, sans doute le voulaient-ils pour l'utiliser à des fins terroristes?
Peut-être, je ne sais pas. Mais le lendemain, quand j'ai été menacé d'être tué, l'un d'entre eux m'a demandé si j'avais quelque chose à dire à mes proches. J'ai répondu « oui ». Je me suis mis à prier, m'abandonnant entre les mains de Dieu et ensuite j'ai dit : « J'offre ma vie en sacrifice pour la paix en Irak et pour que tous les enfants du peuple irakien, musulmans et chrétiens, se donnent la main pour construire ce pays ». Il a dit : « Non, je veux quelque chose de spécial de toi, quelque chose de personnel ». « Je n'ai rien d'autre à dire », ai-je répondu Le discours a changé, et le problème a été résolu.
Ainsi vous êtes aimé des chrétiens comme des musulmans ?
Sans doute est-ce un don de Dieu. Quand je suis revenu à l'archevêché, une vieille femme m'a dit : « Excellence, j'ai prié pour que Dieu leur rompe le cou ». C'est une expression arabe. J'ai répondu : « Non madame, si Dieu leur rompt le cou, le nombre des handicapés va augmenter. Demandons à Dieu de briser leurs cœurs pour un miracle ».
Les chrétiens irakiens sont nombreux à quitter le pays… Et vous êtes toujours à Mossoul. Comment se fait-il que vous restiez à Mossoul ?
Je pense que la façon de faire rester les chrétiens en Irak est de retourner à une situation de paix, parce qu'ils ont tous leur propre maison, leur travail et leur histoire. Comme chacun sait, nous chrétiens d'Irak ne venons pas d'un autre pays. Nous sommes ici depuis 2000 ans, autrement dit nous sommes ici depuis les débuts du christianisme, et c'est ici que nous avons nos maisons. Nous avons notre propre histoire, notre identité. Nous avons nos propres églises et monastères. Ce n'est pas facile d'abandonner son identité.
Vous-même êtes né pas très loin de Mossoul ?
Oui, à Kirkuk. Dans toutes ces zones autour de Mossoul et dans le nord, que vous appelez maintenant Kurdistan, il y a des terres chrétiennes. Nous avons des milliers et des milliers d'églises et de monastères ici. Nous avons des manuscrits et des livres traitant de l'histoire du christianisme sur cette terre. L'islam est arrivé en 632 de notre ère, au VIIe siècle, mais avant cela le christianisme était organisé avec des églises, monastères et Ordres.
Mais maintenant on fait venir des musulmans dans des villages chrétiens. Ne peut-on pas parler de nettoyage ethnique quand des familles musulmanes viennent s'installer dans des villages chrétiens?
Oui, il y a des quartiers à Bagdad qui ont été vidés de chrétiens. Mais à Bagdad surtout, il y a également des quartiers qui ont été vidés de sunnites et remplacés par des chiites. Je ne sais pas… mais le problème est différent pour les villages chrétiens. Les villages chrétiens dans la plaine de Ninive ont toujours été ici. Ils étaient chez eux ici. Quand vous amenez des familles musulmanes par milliers dans ces zones à majorité chrétienne, les chrétiens deviennent la minorité, et la composition démographique s'en trouve modifiée. De même, la question de la culture et de l'éducation : actuellement tous peuvent fréquenter nos écoles et nos églises, parce qu'elles sont ouvertes. Si nous devenons une minorité, dans ces lieux historiques, nous perdons tout.
Cela signifie que vous perdez les églises ou les écoles?
Non, nous ne les perdons pas en tant que bâtiments, mais nous perdons notre liberté, notre culture et notre personnalité (notre identité) et nous sommes dilués dans la majorité, comme c'est le cas dans les grandes villes comme Bagdad. Quand on a un régime démocratique et que le pays est libre pour tous, chacun jouit de ses droits en tant qu'individu et en tant que communauté, chrétiens ou non chrétiens ; par exemple dans nos écoles maintenant : si vous avez un élève musulman parmi des chrétiens, cet élève musulman a droit à l'enseignement islamique, ce qui est bien et nous sommes d'accord pour cela ; mais pour les chrétiens, il faut qu'il y ait 51% de chrétiens dans l'école pour qu'ils aient droit à l'enseignement chrétien.
C'est donc injuste?
Oui. Si vous avez les mêmes droits pour tous les citoyens, alors vous ne demandez pas de privilèges spéciaux. Les privilèges existent quand on ne garantit pas aux citoyens les mêmes droits. Aux Etats-Unis, les immigrés d'Irak, de Chine, du Japon, d'Europe et d'Irlande, sont autorisés à conserver leurs langues et leur culture, mais ils sont tous considérés comme Américains ; comme citoyens américains jouissant des mêmes droits. Nous aspirons à cela, mais tant que nous ne l'obtiendrons pas, nous demanderons la reconnaissance de notre identité et de notre culture.
Mais comment pouvez-vous rester assis là, souriant et si amical, en sachant la gravité de vos problèmes et que vous risquez de perdre votre propre identité en retournant chez vous?
Vous me demandez de pleurer, mais la vie est la vie, et nous gardons espoir en l'avenir. Nous mettons notre espérance dans l'homme. Aussi effrayant que soit notre pays pour notre peuple, si nous nous mettons d'accord pour un gouvernement ou un Etat démocratique, les Etats-Unis pourraient trouver une solution raisonnable à cette question.
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