Elle est belle et « tendance », élégante et commode : elle tient dans la paume d’une main. Si on la feuillette de l’autre, on sait immédiatement dans quel livre on se trouve : les marges extérieures en portent le nom en capitales de feu bien lisibles. Le papier fin mais pas trop permet un format compact. Les pages grisées rythment la tranche: les introductions.
Tendance, belle et scientifique
Le look tient ses promesses de sérieux scientifique aussi. Elle a réussi ses examens : les premières pages reproduisent les six décrets du cardinal préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Antonio Canizares Llovera, pour la France, la Belgique,la Suisse, le Nord de l’Afrique, le Canada et le Luxembourg : la maison Mame, les évêques et experts français n’ont pas travaillé que pour l’Hexagone. Une introduction générale précède les textes, ainsi que des indications pour la lecture publique, l’un des objectifs de cette édition. Les livres du « Premier » et du Nouveau Testament sont précédés de brèves introductions, accompagnés de notes et l’ensemble s’achève sur cinq cartes.
Mgr Bernard Podvin, porte-parole des évêques de France, souligne que les évêques ont vécu avec « intensité » dette étape déterminante de la publication après 17 années de travail. Une édition « au service de la prière » des baptisés. Car, pas de l’érudition pour l’érudition mais des « enjeux pastoraux, communautaires », le défi « de rendre la Parole de Dieu plus proche ».
Quant à la « fébrilité autour du Notre Père », Mgr Podvin estime que c’est une « fébrilité positive, comme un signe de l’attachement de l’opinion à cette prière ».
Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours vient de présenter le texte à l’assemblée des évêques de Frane, à Lourdes, en qualité de président de la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques, puis à la presse, accompagné de Mgr Philippe Gueneley, évêque de Langres, président de l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones, de Mgr Bernard Podvin, porte-parole des évêques de France, et du P. Jacques Rideau, directeur du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle.
D’emblée, il dit sa « joie » et son « émotion » devant la publication de ce qui constitue la première traduction liturgique, francophone, intégrale, de la Bible.
Mgr Aubertin rappelle que dans les années 70-75 une traduction liturgique partielle est parue : elle représentait 20 ou 25 % du « Premier Testament », et pas la totalité du Nouveau Testament.
Cette édition – intégrale -, est le fruit d’un va-et-vient de dix-sept ans, entre l’équipe du « chantier », coordonnée par le P. Henri Delhougne, osb, les évêques, la congrégation romaine, les traducteurs : en tout 4200 amendements ont été étudiés avant l’édition, ce qui en fait un « travail ecclésial ».
Il souligne aussi que la Bible est faite « pour être proclamée, entendue », et que c’est justement un des objectifs de cette traduction. Elle n’en est pas moins « scientifique », à partir de l’hébreu, de l’araméen et du grec, mais c’est une version que l’on pourra plus facilement « mémoriser et retenir », étant donné aussi le travail littéraire et pédagogique.
Une Bible « ecclésiale »
L’archevêque évoque son expérience antérieure de moine, l’habitude monastique de la « fréquentation de la Parole de Dieu qui travaille l’intelligence et le cœur », mais justement cette expérience n’est pas « réservée aux moines ».
La nouvelle traduction vise donc à cette « familiarité » du lecteur et de la Parole de Dieu. Une nouvelle édition des lectionnaires du dimanche et de semaine (en 2014 ?) reprendra cette version de la Bible.
Quant à l’édition du Missel Romain – donc avec la nouvelle traduction du Notre Père – elle ne devrait pas paraître avant 2016.
Elle doit être auparavant soumise vote par les assemblées des différents épiscopats. Car ce n’est pas « événement seulement français », souligne Mgr Aubertin : « mais nous sommes mandatés par différentes conférences épiscopales – Canada, Belgique, Luxembourg, Suisse, Afrique du Nord -, avec aussi des partenariats avec Monaco, l’Afrique Subsaharienne. L’événement dépasse le seul Hexagone ! »
Mgr Philippe Gueneley souligne quant à lui trois aspects qui lui semblent caractéristique de cette édition sans précédent. C’est, tout d’abord, une Bible « ecclésiale » : soixante-dix spécialistes de différentes spécialités – exégètes, hommes de lettres, historiens… – y ont contribué, c’est donc en quelque sorte une « Septante » moderne ! Les évêques ont veillé à sa réalisation et elle a été ensuite « reconnue » par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements : elle jouit de la « recognitio » officielle de Rome.
Deuxième caractéristique : elle va « aider à la construction du Peuple de Dieu qui entend le même texte, qui va le méditer ».
Troisième qualité : c’est une Bible qui répond à la « modernité », dont le texte a été travaillé pour qu’il soit « intelligible ». La traduction est faite « avec fidélité » et en même temps de façon à être « accessible pour aujourd’hui ».
La traduction du Notre Père
Mgr Aubertin tient à souligner que « la traduction actuelle » du Notre Père « n’est pas fausse, ni erronée », mais elle a fait l’objet de « polémiques » dès les années 70. Le texte actuel dit :« Ne nous soumets pas à la tentation ». Le nouveau dit : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Car, explique l’archevêque, le texte de la « sixième demande » est « complexe » : on a « du mal à traduire » le verbe grec qui n’a peut-être que trois emplois dans le Nouveau Testament.
En effet, l’épreuve fait partie de l’expérience humaine, la mise à l’épreuve fait partie de toute vie humaine, mais elle ne peut pas être imputée à Dieu : on ne peut pas « laisser entendre que c’est Dieu qui donne la tentation ». Il fallait lever l’ambiguité.
Pour Mgr Aubertin, et pour beaucoup de catholiques, c’est la troisième traduction du Notre Père. Après « ne nous laisse pas succomber à la tentation », est venue la traduction actuelle : « Ne nous soumets pas à la tentation ». La formule « ne nous laisse pas entrer en tentation » entrera en vigueur dans la liturgie catholique quand la nouvelle traduction du Missel Romain sera promulgué.
L’archevêque recommande une « attitude priante » et d’avoir « confiance » dans cette nouvelle traduction.
L’évolution de la langue
Pour sa part, le Père Rideau fait observer qu’une traduction est « toujours liée à un contexte culturel donné ». Par exemple, dans la traduction des années 75-76, on a traduit par « pitié » deux mots grec différents signifiant « pitié » et « compassion », mais cette fois, les traducteurs les ont distingués.
La traduction change aussi, explique-t-il, du fait des changements de connotation des mots. Par exemple le mot « race » disparaît du Magnificat au profit de la « descendance » et le mot « miséricorde » apparaît à la place du mot « amour » : un exemple typique de l’évolution de la connotation du mot miséricorde dans le sillage de Jean-Paul II. Tandis que dans les années soixante-dix, à choisir le mot amour pour désigner les différentes formes que prend cet amour dans la Bible, notamment la miséricorde.
Autre exemple, le nom « les juifs » dans saint Jean pouvait susciter dans certains contextes de l’antisémitisme. Là où c’était possible, le texte traduit « des juifs », pour bien distinguer entre les juifs de tous les temps et tels interlocuteurs directs de Jésus de façon à éviter de « globaliser » !
La traduction a donc été attentive à « comment le texte est reçu dans le contexte culturel d’une langue ».
Un aspect important a été l’aspect œcuménique. « Le problème de l’unité de formulation de la prière est réel lorsqu’il s’agit de la Prière du Seigneur », fait observer le P. Rideau. Les Eglises orthodoxes et protestantes (Réformés et Luthériens) ont été consultées.
Les artisans de ce travail ont communiqué le souhait des conférences épiscopales catholiques à la Fédération protestante de France et à Mgr Emmanuel pour les Orthodoxes, dans un courrier du 28 septembre 2009.
Leurs réponses ont été apportées à la réunion du Conseil des Eglises chrétiennes en France, en novembre 2010 : le pasteur Flemming Fleinert-Jensen a été chargé de travailler la question. Conclusion : validation œcuménique.
La publication de la Bible s’accompagne de celle d’un livret pédagogique intitulé « Découvrir la traduction officielle liturgique de la Bible », publié par l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AELF) avec Mame et Magnificat.
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