Un statut précaire
Ces réfugiés irakiens arrivent au rythme d’une à deux familles par semaine à l’aéroport de Beyrouth, où ils se voient délivrer un visa de court séjour difficilement renouvelable. Dès leur arrivée, leurs proches les aiguillent vers le HCR : s’ensuit alors une procédure longue d’environ deux ans, dans l’espoir incertain d’obtenir un visa pour un pays occidental. Ces départs créent un « appel d’air » : les nouveaux arrivants récupèrent les appartements de ceux qui, visa délivré par un pays occidental en poche, sont déjà partis. Certains propriétaires des quartiers de Bourj Hammoud, de Dekouaneh ou de Sedd el-Bauchrié ont eu vent de cette manne et n’hésitent pas à pratiquer des loyers indécents et prohibitifs au motif que les populations réfugiées sont dans l’incapacité de mener une action en justice.
Un quotidien au goût amer
Le niveau des loyers participe à l’aggravation d’une vie quotidienne déjà bien précaire : bien souvent, une famille ne peut compter que sur un ou deux salaires. Les travaux confiés à ces chrétiens irakiens sont manuels et peu rémunérés : leurs salaires en moyenne moitié moins élevés que ceux des libanais, pour le même travail effectué. *****(nom arménien) a 31 ans et possède un diplôme d’ingénieur civil irakien, il est à présent manutentionnaire dans une usine fabriquant des meubles en formica. Son travail se résume à porter des planches de 70 kilos.
L’adaptation des enfants au milieu scolaire libanais s’avère également compliquée. En effet, ils ne peuvent suivre que les cours dispensés en arabe et sont exclus de ceux prodigués en français ou en anglais. Ils se retrouvent donc avec des élèves deux à trois années plus jeunes qu’eux, la faute à une différence de niveau scolaire et à la barrière de la langue. Devant ce constat, certaines écoles, sous l’impulsion du HCR et de ses partenaires, ont essayé de trouver des solutions mais pour la majorité des enfants irakiens, l’école ressemble davantage à une garderie où leurs journées perdent leur sens. La plupart d’entre eux choisissent alors de quitter l’école pour travailler dès l’adolescence, d’autant plus que leurs possibilités d’emploi sont plus importantes que celles offertes à leurs parents. Pour certains jeunes, l’interruption des études est définitive : une fois dans le pays d’accueil, ils savent que la barrière de la langue et la nécessité de survivre au quotidien les écarteront définitivement de l’université. Selon le responsable de l’ONG slovaque auprès des chrétiens d’Irak, qui a requis l’anonymat, « l’éducation est le secteur où les réfugiés irakiens ont le plus perdu. L’éducation des enfants était la priorité absolue en Irak, mais les routes pour se rendre dans les établissements ne sont plus sûres et les bus scolaires sont la cible d’attentats ».
Les difficultés s’accélèrent encore lorsqu’un problème de santé survient. Ceux-ci sont nombreux, causés par la somatisation des traumatismes endurés ou conséquences d’une alimentation appauvrie. L’ONG slovaque prodigue alors des conseils médicaux et remplit des ordonnances mais elle ne possède pas assez de ressources financière pour aider les familles. Si Caritas prend alors le relais, les familles,elles, sont tout de même dans le dénuement face à une maladie importante. À l’Hôpital libano-canadien de Sin el-Fil, une femme dans la cinquantaine se meurt d’un cancer maintenant généralisé sans que ses jeunes fils, orphelins de père, ne puissent réunir les fonds nécessaires à l’obtention d’un traitement. Elle ne reverra jamais l’Irak et ses enfants devront payer 2 000 dollars pour y rapatrier son corps.
Dans l’incertitude
À Dekouaneh, chaque chrétien d’Irak a son cellulaire dans sa poche et chaque sonnerie déclenche espoir et inquiétude. C’est en effet l’unique moyen de communication utilisé par le HCR pour contacter les réfugiés tout au long de leur procédure d’émigration, ce qui ne fait qu’exacerber un climat d’incertitude. Dana Sleimane, en charge des relations publiques au HCR en a conscience : « On ne peut pas éviter l’attente mais c’est très dur pour les personnes concernées . Nous sommes en train d’examiner cette question. » L’attente est d’autant plus cruelle que la procédure est longue : les chrétiens d’Irak passent au total trois entretiens, dont les questions portent principalement sur le passé des candidats à l’émigration. Le dossier de la famille est ensuite envoyé à une délégation (nord-américaine, australienne ou européenne) susceptible de donner son accord. Depuis 2003, les États-Unis ont mis en place un programme permettant de faciliter l’émigration des chrétiens d’Irak réfugiés dans divers pays de la région. Ainsi, les six familles rencontrées ont de fortes chances de devenir américaines. La plupart d’entre elles a conscience des efforts d’adaptation qu’elles devront fournir : le choc culturel et les difficultés à trouver un emploi se répéteront.
Le personnel du HCR ne connaît pas la petite ONG slovaque qui s’occupe au quotidien de 110 familles de chrétiens d’Irak, une goutte d’eau au regard des 3 000 familles de réfugiés qui, elle l’espère, s’envoleront cette année vers un pays d’accueil. Pourtant, la présence régulière du responsable de projet de l’ONG slovaque assure aux familles une aide matérielle et surtout une présence humaine à l’écoute qui rend l’attente plus supportable. Tous deux œuvrent dans une même direction : assurer la dignité et la sécurité de ceux qui ont dû tout quitter, dans un pays qui ne reconnaît pas leurs droits.