C’était le 18 septembre de l’an 1854. Le « Journal de Rome », organe officiel de l’État pontifical, publiait l’annonce du pape Pie IX que tout fidèle romain attendait avec frénésie, en ces jours où régnait l’angoisse due à l’épidémie de choléra qui s’était diffusée dans la ville. L’impatience fut apaisée à la lecture de la déclaration du pape qui accordait une indulgence de sept ans aux personnes qui visiteraient l’église de Saint-Roch, et une indulgence plénière pour celles qui s’y rendraient sept fois.
Ce geste réconforta la multitude des fidèles qui, en ces jours-là, affluaient sans discontinuer à l’intérieur de l’église à la façade néoclassique, qui se dresse avec élégance devant l’Autel de la paix (Ara Pacis). Les semaines qui avaient précédé la propagation de la peste jusqu’à Rome, Pie IX avait demandé d’urgence que, outre les images les plus vénérées de la Vierge et les reliques des saint Pierre et Paul, on expose aussi au public « le prodigieux bras de saint Roc dans son église ».
L’ordre du pape fut rapidement exécuté mais avant même que l’on ait procédé à l’exposition, des bandes de fidèles s’entassaient déjà sur les marches de l’église, persuadés que l’intercession du saint bien-aimé arrêterait ce fléau qui avait déjà causé des milliers de morts en quelques semaines. Et bien, la calamité enregistra une baisse sensible et constante et finit par disparaître complètement en décembre 1854, quelques jours avant Noël.
Ce fut la dernière fois que la ville de Rome connut une épidémie de peste d’une telle ampleur. La dernière mais pas la seule. Dans les siècles précédents, l’intervention de Saint Roch et de son bras miraculeux, conservé dans l’église du même nom, avait été invoquée maintes fois afin d’empêcher la diffusion de la maladie.
Roch, né à Montpellier, est considéré comme l'un des saints les plus populaires et vénérés de tout le monde catholique. Malgré cette popularité, on sait peu de choses sur sa vie. On raconte qu’il a vécu au XIVeme siècle et qu’à l’âge de vingt ans il vendit tous ses biens pour rejoindre le tiers-ordre franciscain, faisant vœu de se rendre à Rome afin de prier sur la tombe des apôtres Pierre et Paul. S’étant arrêté à Acquapendente, près de Viterbe, durant son pèlerinage, il ignora les conseils de la population en fuite à cause de la peste et décida de rendre service dans l’hôpital du lieu. C’est de là que partit sa réputation de sainteté, en trois mois d’activité, il fit de nombreux miracles en guérissant des malades de la peste.
Il est mort un 16 août, entre 1376 et 1379, à Voghera, où il était en prison parce que les autorités de la ville le soupçonnaient d’être un espion. C’est dans cette ville de Lombardie que commença à fleurir, aussitôt après sa mort, le culte de saint Roch, ami des laissés-pour-compte, des malades de la peste et des pauvres.
Sous le pontificat de Clément VIII (1592-1505), lorsque la peste représentait dans toute l’Italie un mal désormais connu depuis plusieurs siècles, on décida d’apporter à Rome une relique de saint Roch, le « saint thaumaturge », pour préserver la Ville éternelle de catastrophes effroyables. Ainsi, le bras du saint fut déposé dans l’église de Saint Sébastien-hors-les-Murs, le saint qui, avant saint Roch, avait compté parmi les principaux protecteurs contre la peste. Quelques années à peine après l’arrivée de la relique dans la ville, on décréta le transfert de celle-ci dans l’église dédiée à saint Roch, près du port de Ripetta. Ce lieu était justement symbolique, puisque les épidémies de peste se contractaient là, puisque celle-ci arrivait des terres lointaines qui communiquaient avec Rome à travers les échanges commerciaux par bateaux.
D’après les chroniques de l’époque et les témoignages conservés dans les archives de l’"Association européenne des amis de Saint Roch", la procession pour le transfert de la relique se déroula solennellement parmi le peuple. C’était des files de cardinaux, d’évêques et de prêtres, le Sénat romain, des confraternités, des corporations et des ouvriers, des commerçants, des écoles, des artisans et une immense foule de personnes simples, en particulier des pêcheurs.
Quelques dizaines d’années auparavant, on atteste le premier prodige attribué à la relique de saint Roch. C’était en l’an 1624 ; une épidemie de peste fauchait des centaines de victimes par jour, dans la ville de Palerme, et certains symptômes faisaient craindre que le mal puisse se diffuser jusqu’à Rome. En ces années-là, Urbain VIII, qui était sur le Siège de Pierre, avait une grande dévotion à saint Roch. Il décida d’ordonner des prières publiques, auxquelles il participait, pour obtenir de Dieu, par l’intercession du « saint taumaturge », que la Sicile soit libérée de ce terrible mal et que Rome soit préservée de la contagion. Le dimanche 18 août 1624, Urbain VIII alla célébrer la messe dans l’église de Saint Roch où il fit installer la relique du saint sur l’autel majeur. Quelques jours seulement passèrent et le fléau menaçant cessa à Palerme et dans toute l’île sicilienne, évitant aussi les rives du Tibre.
Quant à Urbain VIII, il ordonna que le Magistrat de la ville de Rome offre chaque année à saint Roch, le jour de sa solennité, un calice en argent et quatre cierges. Aujourd’hui encore, sur un mur de la nef droite, à l’entrée de l’église de Saint Roch, on peut lire l’inscription, datée de juillet 1625, qui atteste l’approbation du Sénat romain.
Avant le choléra de 1854, un autre témoignage d’une épidémie qui se propagea à Rome remonte à 1656. Au cours de l’été, un bateau provenant du port de Naples accosta à Neptune, près de Rome, laissant aux abords du port des vêtements contaminés par la peste. On raconte que certains de ces habits furent accidentellement emportés dans la ville, propageant la maladie avec une rapidité foudroyante. En un temps record, 14.500 personnes périrent. Le pape d’alors, Alexandre VI (1655-1667) qui se trouvait en vacances à Castelgandolfo, rentra précipitamment à Rome pour venir au secours des citoyens par des dispositions d’urgence et pour demander des prières publiques et des offices solennels en mémoire de saint Roch dans l’église qui lui est dédiée. Après cela, le fléau cessa.
On compte d’innombrables intercessions miraculeuses attribuées à saint Roch, en Europe et dans le monde.
Traduction d'Hélène Ginabat
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