Zenit – Eminence, Jean-Paul II, auprès de qui vous avez travaillé, est aujourd’hui bienheureux… Quels ont été ses apports principaux pour le monde et pour l’Eglise ?
Card. Cottier – Il y en a eu beaucoup. Je pense que Jean-Paul II a été un homme d’espérance. Quand il a dit « N’ayez pas peur », il l’a dit certainement pour les pays occupés par le communisme, mais il aussi parce qu’il avait vu une certaine décadence en Occident, et il a donc voulu réveiller l’Eglise, partout. Et puis, cet amour fantastique de la vie, dont il a témoigné surtout dans la dernière période, profondément marquée par sa maladie. Et les jeunes ont compris cela…
Vous avez été longtemps théologien de Jean-Paul II. Quelle a été votre contribution la plus importante à cette époque ?
Je devais revoir tous les textes prononcés ou signés par le pape, parce que, étant donné les nombreux collaborateurs qu’il avait, il fallait marquer l’unité, la légitimité et la clarté de sa pensée. Mon travail quotidien était essentiellement celui-là. Je dirais donc que les grandes joies s’identifient avec les grands actes du pape.
Par exemple, deux ans après mon arrivée, j’ai eu l’occasion de lire le Catéchisme de l’Eglise catholique et je me souviens l’avoir fait avec beaucoup de joie. J’ai lu aussi des encycliques ; c’était très intéressant pour moi, parce que certaines d’entre elles avaient été confiées à la Congrégation pour la doctrine de la foi ; c’est là qu’en tant que consulteur j’ai eu l’occasion de faire partie de groupes de travail et j’ai pu ainsi voir et découvrir le génie du cardinal Ratzinger, le pape actuel, qui avait un véritable don pour guider les groupes de travail, donner une ligne directrice, écouter. C’était très beau… Une autre expérience, enfin, qui m’a beaucoup frappé a été la préparation de l’Année sainte.
L’année 2000 ? De cette année nous nous souvenons tous de la « purification de la mémoire » voulue par le pape…
Oui. J’étais président de la Commission théologique historique et, à ce moment-là paraissait la Lettre apostolique Tertio Millenio Adveniente. Le pape a eu l’idée de demander pardon pour les fautes des chrétiens dans le passé, ce qui était très beau mais qui a été cause d’une grande perplexité chez beaucoup. J’ai su que, lors de la première réunion, il a expliqué son idée aux cardinaux qui, pour bon nombre d’entre eux, étaient dubitatifs ; mais en réalité, cela fut une grande intuition. Nous autres, cardinaux, nous devions préparer des congrès scientifiques sur ce thème, non sans difficulté, parce que le sujet était nouveau et que cette perplexité fut exprimée aussi par plusieurs théologiens. Cependant nous avons décidé des thèmes qui pouvaient être utiles, et nous en avons identifié trois : le premier était l’esclavage des Africains, la déportation, en particulier en Amérique du nord et du sud. Le second thème était le problème de l’Inquisition et le troisième enfin, la responsabilité des chrétiens dans l’antisémitisme, en le distinguant bien cependant de l’antijudaïsme.
Le pape voulait que ce soit un acte public, n’est-ce pas ?
Un autre grand souvenir personnel a été le fait qu’avec beaucoup de courage, le pape a rédigé tout le programme de l’Année sainte alors qu’il était déjà très fatigué. Je me souviens en particulier du 12 mars 2000, quand s’est déroulée la liturgie de demande de pardon et que l’on voyait le pape s’appuyer sur la croix et les responsables qui lisaient une prière. Ce fut une très belle liturgie à laquelle nous avons tous contribué.
Pensez-vous qu’après cette demande de pardon, les catholiques ont vu l’Eglise dans une optique différente ?
Je pense que ceux qui l’ont voulu ont pu le faire. Lorsque nous discutions du programme de ces événements, il y avait un père dominicain, un historien qui enseignait l’histoire de l’Eglise, qui disait : « On demande pardon pour des faits véritables, pas pour des mythes ». Je crois, en fait, que tout a été bien étudié. La conséquence, c’est que, par la suite, beaucoup d’autres personnes ont continué à travailler dans cette direction. C’est donc le signe que nous avons rendu un service. Et pour moi, pour les chrétiens et les catholiques, ce regard est très libérateur.
Le monde a reconnu ce pardon ?
Le monde, peut-être pas suffisamment. Le problème qui m’intéresse actuellement à un plan personnel, et qui pourrait être analogue au plan politique, est de savoir comment résoudre certains problèmes tragiques d’hostilité, de haine entre les peuples, où il ne peut y avoir d’issue sans pardon. S’il y a une haine réciproque, en effet, l’esprit de guerre demeure et la paix ne peut se réaliser. Ceci, nous le disons dans la Doctrine sociale de l’Eglise.
Il en va de même dans les guerres actuelles, dont certaines ont justement un caractère religieux ?
C’est vrai pour toutes les guerres. Prenons, par exemple, la situation dramatique au Moyen-Orient, dans certains pays musulmans comme l’Irak, la Syrie, où tant de minorités se massacrent entre elles et où les chrétiens sont les véritables victimes. On demande d’abord pardon à Dieu, pour demander ensuite pardon aux autres. C’est pourquoi l’idée de Jean-Paul II, que Benoît XVI a reprise avec la grande réunion d’Assise, est que, s’il y a un fond religieux authentique dans l’homme, la relation à Dieu ne porte pas à la guerre, mais à la paix.
A ce sujet, alors, certains n’ont pas compris le point de vue du pape à Assise…
En effet, cette rencontre a été très critiquée, mais Jean-Paul II a fait une distinction qui m’a beaucoup plu, en disant : « L’œcuménisme concerne les chrétiens : nous prions ensemble parce que nous avons la Bible en commun et que nous pouvons dire ensemble le Notre Père et toutes les prières chrétiennes ». A cette époque, donc, il disait : « Avec les chrétiens, nous prions ensemble ; avec les autres, nous sommes ensemble pour prier ». Cette distinction clarifie bien et nous permet de ne pas tomber dans la confusion, afin que nous soyons capables de voir la force du sens de Dieu et d’un comportement religieux qui pourrait, et même qui devrait, être un élément de paix au sein de l’humanité. Voilà les fruits que nous devons à Jean-Paul II et, je dirais, à l’Année sainte.
Avez-vous vu une différence entre Assise en 86 et Assise l’année dernière ?
Je crois que oui. Dans le sens où, le premier Assise a été un événement extraordinaire mais, comme cela arrive souvent, la seconde fois ces choses-là ne sont un événement de plus dans notre monde actuel.
Cela a maintenu, avant tout, une invitation à dialoguer de la part de l’Eglise catholique, ce qui est un facteur important, parce que dans le fondamentalisme musulman, par exemple, on n’est pas en présence de personnes qui dialoguent mais qui tuent ; où cela nous mène-t-il ? La nouveauté d’Assise de cette année a été d’inviter aussi des non-croyants ou, pour le dire dans le langage de Jean-Paul II, des « hommes de bonne volonté ». Je crois que cela a été une grande idée, un fruit de l’esprit du Concile Vatican II.
(à suivre)
zenit