Et c’est la Fondation Jean Paul II à Rome qui a hérité des riches archives de ce Père Blanc décédé le 31 mars 2010 : des documents recueillis durant ses 25 ans de service de presse auprès du Vatican. La lecture de ses articles, des lettres et de ses notes privées brossent le portrait d’un grand journaliste et d’un témoin direct du pontificat du bienheureux Jean Paul II ainsi que d’un observateur vigilant de l’Église catholique à la fin du XXème siècle, fait observer Lilla Danilecka dans ce second volet de cet entretien.
Zenit – Il a, à plusieurs reprises, évoqué ce géant qu’il a côtoyé : qu’est-ce qu’il retenait de ce pontificat, lui qui était missionnaire?
Lilla Danilecka – En mai 2005, alors que le livre de la vie du pape venu « du pays lointain » était déjà définitivement refermé, P. Joseph Vandrisse a donné une large interview à la revue missionnaire « Peuples du monde », où il disait : « Au moment où le pape Jean-Paul II est rentré en scène en 1978, je me demande qui entendait parler du monde slave, de l’Eglise slave, des catholiques slaves. Attention : la Russie faisait partie de cet ensemble. Alors Jean-Paul II, pour cette raison, a lancé l’encyclique (dont on ne parle jamais, mais qui est symbolique de la personnalité de ce pape), « Slavorum apostoli ». L’objectif : de nous montrer cette liaison des cultures et de la foi. Nous nous rappellons tous l’histoire de ces deux moines byzantins au IXe siècle qui sont envoyés par le patriarche de Constantinople, qui était la grande Eglise, pour évangéliser les slaves. Cela commence par l’Ukraine actuelle, puis ils s’en vont en Moldavie, etc… Bref, c’est là que toute la pensée du pape se forge pour essayer d’unifier ces mondes. Il savait très bien que ça ne pouvait passer que par une visite et des accords avec la Russie. Il y a bien au plan œcumenique quelques ponts avec la Russie mais aussi un dissentiment si lourd entre Polonais et Russes… Et puis force est de reconnaître que les Russes ont toujours freiné une intervention du pape en Russie. Si le pape pardonnait facilement, la réciprocité, en l’occurence, n’était pas vérifiée. Et puis, disont les choses comme elles étaient : le pape était systématiquement soupçonné de prosélitysme en terres orthodoxes russes » 1.
Comment voyait-il évoluer la grande question de l’inculturation de la foi dans les cultures ?
Toujours dans la même interview, le P. Vandrisse a en effet relevé cette autre question, non moins importante du point de vue missionnaire – de l’inculturation : c’était une notion relativement nouvelle dans l’Eglise postconciliaire et le bienheureux Jean-Paul II se rendait compte de l’urgence de diriger la reflexion missionnaires sur la bonne voie. Le P. Vandrisse n’oubliait pas que c’est bien l’Eglise de France qui avait envoyé, pendant des siècles, des légions de missionnaires et qui ne cesse de réaliser des grands projets missionnaires sur tous les continents : « L’inculturation est aussi une des grandes idées de la nouvelle évangélisation. Je crois que la première fois qu’il a prononcé le mot d’inculturation c’était en Pologne et non en Afrique. Cependant assez vite, il a pensé à un synode « noir ». En 1985, alors que j’accompagnais la visite pontificale en route vers le Kenya, je m’interrogeais. Comment l’Eglise s’est-elle acculturée en passant du monde de Byzance au monde Slave pour rester aussi en contact et même pétrie du monde Latin ? Alors que nous sommes en Afrique ne devrions-nous pas jouer par rapport aux peuples africains le rôle que Cyrille et Méthode ont joué par rapport à nos frères slaves ? Le pape voulait mettre l’accent sur la foi. On l’a d’ailleurs trop souvent présenté comme un philosophe, comme un ami. Or, lui affirmait sans cesse : « Je suis d’abord croyant en Jésus-Christ ». C’était un discours très bien reçu par nos frères d’Afrique qui sont naturellement tournés vers la prière. Et de fait, bien souvent les problèmes attribués à l’inculturation des Eglises le sont davantage par les théoriciens occidentaux que par nos frères travaillant sur le terrain. Certes l’autonomie des Eglises est nécessaire, mais le pape la rendait possible parce que cadrée dans l’unicité garantie par l’universalité de la famille catholique. Si c’est bien Paul VI qui fut le premier à parler de l’inculturation, de nouvelle évangélisation, c’est quand même Jean-Paul II qui a donné un nouveau départ à cette démarche. A cette occasion, il a remis l’accent sur l’Eglise Communion. La communion dans l’Eglise des croyants avec la hiérarchie des évêques, mais aussi les Eglises en communion et en communion entre elles. C’était la grande idée développée constamment : l’Eglise n’est Eglise que si elle est inculturée, c’est-à-dire adaptée et façonnée par les gens qui la constituent. D’autre part cette Eglise n’est Eglise catholique universelle que si elle est en lien avec les autres Eglises, avec l’Eglise de Rome. Nous sommes en plein dans le rôle de Pierre, dans sa mission : « Confirme mes frères et fais l’unité, pais mes agneaux, pais mes brebis » (cf. J 21,16-17) ».
Dans la conclusion de ses réflexions sur le pontificat de Jean-Paul II, le P. Vandrisse a souligné ce qui lui – le prêtre-missionnaire – était particulèrement cher : « La mission ne peut faire découvrir la richesse de la foi que si elle est proche de l’homme. Le pape insistait beaucoup sur ce point. C’est le service de l’homme qui fait peut-être que beaucoup plus de gens que nous ne pensons sont proches du royaume de Dieu. C’est l’Evangile, Jésus le dit constamment : « Tu es plus proche du royaume de Dieu que tous ces Pharisiens qui discutaient pendant des heures » (cf. Mt 12,34). Chez le pape il y avait ce sens de l’homme, extrêmement poussé. Ce qui me subjuguait chez Jean-Paul II, moi comme beaucoup d’autres, c’était son humanité et sa bonté. D’autre part, ce service de l’homme trouve sa plénitude quand il y a la reconnaissance de Dieu. C’est le pape qui montrera que la mission doit être d’abord au service de Dieu. (…) Complétant ce que l’on peut dire sur les perspectives offertes, le pape disait encore que l’Eglise à l’aube du troisième millénaire n’a pas à chercher forcément des méthodes nouvelles, elle a d’abord à être elle-même : à vivre sa foi. Moi, qui ai été dans le monde byzantin, je peux dire que les orthodoxes ont beaucoup à nous apprendre : parce qu’une liturgie reste une liturgie, on ne fait pas un mélange… Jean-Paul II – homme de Prière nous a montré la voie ».
Ce missionnaire, ce professeur, était aussi très pédagogue dans ses relations à ses très fidèles lecteurs : comment entretenait-il le dialogue ?
Les fruits du travail journalistique du père Joseph Vandrisse occupent plusieurs rayons dans les archives du Centre de la Documentation et de l’Etude du Pontificat de Jean-Paul II à Rome. Parmi les classeurs y conservés, il y a deux particulièrement précieux qui contiennent la correspondance de l’auteur avec ses lecteurs, ses amis, ainsi qu’avec les ministres de l’Eglise et de l’Etat. Quand est-ce qu’il trouvait le temps pour tout cela ? D’où une aussi excellente mémoire de personnes ? Il n’y a point d’exagération dans la constatation que si l’on veut connaître le cœur de quelqu’un, il faut lire des lettres qu’il avait écrit. Peu importe si le destinataire des lettres du père Vandrisse s’appellait cardinal Paul Poupard ou bien Madame Geneviève Durand, une infirmière d’un des hôpitaux parisiens, chaque lettre était longue et respectueuse, motivée par le bien des personnes et de l’Eglise. Avec beaucoup de patience il expliquait à ses lecteurs ce que des médias hostiles à l’Eglise avaient faussé. Et combien d’humilité à reconnaître une erreur ou son incompétence face à tel ou autre spécialiste dans le domaine traité ! Combien d’engagement à s’occuper des problèmes confiés, qu’il aurait pu bien mettre de côté faute de temps, mais il ne l’a pas fait. La lecture des lettres du P. Vandrisse montre qu’il prenait ses correspondants au sérieux.
Vous pouvez citer un exemple ?
En 1986, cette infirmière d’un grand hôpital au centre de Paris lui a confié sa préoccupation pour les pauvres et pour son service : dans son milieu de travail, il n’y avait aucun aumônier catholique même auprès des agonisants, tandis que les répresentants de sectes y circulaient facilement. Le P. Vandrisse a répondu à Madame Durand : « Ne croyez pas que j’ai égaré votre lettre de la mi-novembre. Elle m’a beaucoup impressionnée et elle rejoint tellement ce que je pense. Tout récemment encore, l’usage abusif de ce que l’on a fait des interventions du pape Jean Paul II sur la pauvreté (message de Noël) vont tellement à contre-sens de ce qu’il a voulu dire que l’on peut penser de procès d’intention. Ce n’est pas en terme de ‘classe’ que parle le Saint Père et, comme vous le dites, la pauvreté n’est pas toujours là où l’on croit la trouver. Les récents documents de l’Eglise ne parlent plus d’option préférentielle pour les pauvres (expression politisée), mais « d’amour de préférence » pour les pauvres. Il faut aller vers toute faiblesse, toute misère, cachée ou non, toute souffrance (qui est le lot de tous). Comment notre regard pourrait-il être exclusif ? Notre force c’est notre faiblesse, notre ‘pauvreté’, c’est cela qu’a dit Jean Paul II en se référent à François d’Assise et en citant saint Paul. Ce que vous me dites sur les malades que vous côtoyez, catholiques de formation devenus ‘durcis, repliés sur eux-mêmes, matérialiste ou désespérés’ devrait nous obliger, nous, prêtres, à un rude examen de conscience : qu’avons-nous fait de nos frères ? Lors de l’année jubilaire 19822 sur la réconciliation, j’avais lancé un appel à l’un ou l’autre évêque français de lancer un appel en ce sens. Ils n’ont pas cru bon ou nécessaire de le faire. C’eut été pourtant au cœur du message évangélique : Convertissez-vous. Dire clairement que malgré la meilleure volonté du monde – et parfois par souci missionnaire – il y a eu depuis vingt ans en France tant de tâtonnements, d’erreurs, d’incompréhensions, cela aurait aussitôt soulagé beaucoup de catholiques. Et c’eut été la vérité qui libère ! Et quand, à notre place d’informateurs religieux, nous osons le dire, c’est pour voir aussitôt la levée des boucliers de l’intelligentsia des médias catholiques ! Je crois que beaucoup de gens comprennent notre langage mais cela est souvent ‘ponctuel’, sporadique et les problèmes de fond restent. Dans la revue Famille chrétienne à laquelle je collabore, le rédacteur en chef, Michel Denis écrivait récemment, à propos des manifestations d’étudiants de Paris : ‘C’est bien d’une nouvelle évangélisation qu’il s’agit, d’une nouvelle annonce. C’est cela qu’il faut encourager avec courage’. La mort de ce jeune cadre, frappé de leucémie, m’a beaucoup frappé. J’y pense constamment. Dimanche soir, célébrant l’Eucharistie avec un petit groupe de Français de Rome, nous avons prié pour lui, pour sa femme. S’il vous était possible de revoir cette personne, dites-le lui de ma part. J’ai cité dans mon article de la Toussaint ce mot de Paul Claudel qui m’a toujours frappé : Ce peuple de tous les morts avec moi, ces âmes l’une sur l’autre… Tenez bon ! Mes amis de Rome dont je viens de parler me disent qu’à la paroisse Notre-Dame d’Auteuil, un prêtre (il a un cancer des os qui évolue lentement) se consacre au travail auprès des grands malades. Il s’agit de l’abbé Daniel Favre. Vous pourriez éventuellement le contacter… ».
Dans le même style, le P. Vandrisse écrivait en 1987 à son collègue éminent du Figaro, Renaud Matignon (+1998) : « Je crois que beaucoup de gens attendent ce courage, quand, constamment, on voit revenir Ponce-Pilate ». Aussi dans sa lettre du 19 mai 1993 adressée au card. Paul Poupard, il lui partageait une réflexion amère : « La difficulté au journal – où, finalement, passe quand même bien des informations – c’est qu’il n’y a aucune hiérarchie des nouvelles. Mon collègue Elie Maréchal et moi-même nous trouvons le matin un article (ridicule) sur l’Opus Dei sans que nous ayons été consultés. Cela tient à l’ignorance crasse de nos chefs de rubrique (service des Informations générales). Problème de la sous-culture, cette-fois ! ».
C’est Mgr Riocreux qui a présidé les obsèques du P. Vandrisse. Qu’a-t-il mis en relief en évoquant cet ami ?
Le 3 avril 2010 Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Pontoise, a effectivement présidé les obsèques de l’un de meilleurs vaticanistes français. Il disait alors : « Celui qui signait "Joseph Vandrisse" dans ses articles du Figaro, était avant tout prêtre et missionnaire. Le Seigneur lui a donné un talent d'écriture et il l'a exercé. Logeant chez les Pères Blancs, Via Aurelia, à Rome, et à la rue Friant à Paris, il était à la fois un confrère comme un autre, mais les Pères Blancs savaient que son ministère était ailleurs, pour ceux qui liraient ses articles précis, concis. Mardi soir, après la messe chrismale à la cathédrale Saint-Maclou, rencontrant un autre célèbre Père Blanc, le Père François de Gaulle, missionnaire pendant 55 ans au Burkina, il répondit à ma question sur la santé du Père Vandrisse: "Il est très fatigué". En fait, il vivait ses dernières heures, puisqu'il mourait paisiblement dans son sommeil, Mercredi Saint, aux aurores. Nous célèbrerons ses funérailles le Mardi de Pâques, en rendant grâce pour cette belle figure de prêtre mort durant cette semaine sainte de l'année sacerdotale. J'ai sous mes yeux son admirable testament de deux pages qui commence par cette phrase du tropaire de Pâques: Christ est ressuscité des morts! Aux morts, il a donné la vie. Il dit que "sa vie aura été marquée par la presse". "J'ai aimé ce travail, écrit-il, je m'y suis donné avec au coeur la lourde passion de l'Eglise et du métier".
Aussi un de ses collègues de La Famille chrétienne du 1er avril 2010 a écrit que le Père Vandrisse était un vrai pédagogue et passeur – comme sur les eaux du Styx – en temps de crise. « Le Père Vandrisse a pratiqué son métier avec passion. Pour éclairer, convaincre et aussi transmettre. Il savait donner un coup de pouce aux jeunes générations. Aux apprentis journalistes. Un jour, il m’a ouvert sa porte à Rome, lorsque je faisais mes premiers pas dans la profession. Un jour pur et sans nuage, saturé d’azur. Dans cette grande maison généralice des Pères blancs qui culmine sur une des collines de Rome. Son bureau était vaste, sa bibliothèque aussi, sans oublier son carnet d’adresse… Pour le novice, il n’y avait rien d’autre à faire qu’à boire ses paroles. Car Joseph Vandrisse parlait comme un livre, avec une musique profonde et rassurante. En souriant. À Paris, quelques années plus tard, j’ai pu encore étancher ma soif. Désormais à la retraite, il n’avait pas vraiment le cœur à ranger sa plume. Ni à se lancer dans une psychanalyse collective avec ses confrères. Il voulait porter du fruit (un fruit romain) jusqu’au bout ».
Homme fort et passionné pour son travail auprès du pape fort et passionné pour l’Eglise, courant sans cesse entre son bureau et l’aéroport « car le Saint-Père ne nous laisse pas chômer » – disait-il. Mais avant tout le prêtre fidèle au Christ. Il était capable de reconnaître qu’il s’était trompé parfois de détails dans ses correspondances envoyées en vitesse et il n’attendait pas que toutes ses opinions allaient plaire à tout le monde. Peut-être est-ce justement grâce à cette attitude paisible qu’il pouvait continuer et tenir bon, sachant qu’il travaillait pour le Seigneur.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin
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