Le P. Mauro Gagliardi est professeur titulaire à l’Athénée pontifical « Regina Apostolorum », chargé de cours à l’Università europea di Roma, consulteur du Bureau des célébrations liturgiques du Souverain Pontife et de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.
Les numéros 1071-1075 du Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC) traitent de la liturgie comme source de vie, ainsi que de sa relation avec la prière et la catéchèse. La liturgie est source de vie, avant tout parce qu’elle est « l’œuvre du Christ » (CEC, 1071). En second lieu, parce qu’elle « est aussi une action de son Eglise » (ibid.). Mais, de ces deux aspects, lequel est prééminent ? Et d’ailleurs, que signifie, dans ce contexte, le mot « vie » ?
Le Concile Vatican II répond : « C’est donc de la liturgie, et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes, et cette glorification de Dieu dans le Christ, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Église » (Sacrosanctum Concilium [SC], 10). On comprend alors que, quand on dit que la liturgie est source de vie, on veut dire que c’est d’elle que jaillit la grâce. A travers cela, nous avons déjà répondu à la première question : la liturgie est source de vie principalement parce qu’elle est l’œuvre du Christ, qui est l’Auteur de la grâce.
Un principe classique du catholicisme, toutefois, affirme que la grâce ne supprime pas la nature, mais qu’elle la suppose et la perfectionne (cf. saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 1, 8 ad 2 etc.). C’est pour cela que l’homme aussi coopère au culte liturgique qui est l’action sacerdotale du « Christ tout entier », c’est-à-dire la Tête qui est Jésus, et les membres qui sont les baptisés. Ainsi, la liturgie est aussi source de vie en tant qu’elle est l’action de l’Eglise. C’est justement en tant qu’œuvre du Christ et de l’Eglise que la liturgie est « l’action sacrée par excellence » (SC, 7), qu’elle donne aux fidèles la vie du Christ et qu’elle requiert leur participation consciente, active et fructueuse (cf. SC, 11). On comprend aussi alors le lien de la liturgie avec la vie de foi : nous pourrions dire « de la Vie à la vie ». La grâce qui nous est donnée par le Christ, dans la liturgie, réclame une implication vitale : « La liturgie n’épuise pas toute l’activité de l’Eglise » (SC, 9), en effet « elle doit être précédée par l’évangélisation, la foi et la conversion ; elle peut alors porter ses fruits dans la vie des fidèles » (CEC, 1072).
Ce n’est pas un hasard si, au moment de rassembler les écrits liturgiques de Joseph Ratzinger en un unique volume intitulé: Théologie de la liturgie, on a pensé exprimer une des intuitions fondamentales de l’auteur en ajoutant en sous-titre : Le fondement sacramentel de l’existence chrétienne. C’est une traduction, en termes théologiques, de ce que Jésus a dit dans l’Evangile par ces paroles : « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Dans la liturgie, nous recevons le don de cette vie divine du Christ, sans laquelle nous ne pouvons rien faire de valide pour le salut. C’est pourquoi la vie du chrétien n’est rien d’autre qu’une prolongation, ou le fruit, de la grâce reçue dans le culte divin, en particulier dans le culte eucharistique.
En second lieu, la liturgie a un lien étroit avec la prière. De nouveau, la clé de compréhension de ce rapport est le Seigneur : « La Liturgie est aussi participation à la prière du Christ, adressée au Père dans l’Esprit Saint. En elle toute prière chrétienne trouve sa source et son terme » (CEC, 1073). La liturgie est donc aussi la source de la prière. A partir d’elle, nous apprenons à prier de manière juste. Puisque la liturgie est la prière sacerdotale de Jésus, que pouvons-nous en apprendre pour notre prière personnelle ? En quoi consistait la prière du Seigneur ? « Pour comprendre Jésus, certaines notations récurrentes sont fondamentales : ce sont des notations qui indiquent que Jésus s’est retiré “sur la montagne” et qu’il y a prié pendant plusieurs nuits, “seul” avec le Père. […] Cette “prière” de Jésus est le dialogue du Fils avec le Père, prière dans laquelle se trouvent entraînées la conscience et la volonté humaines de Jésus, son âme humaine, ce qui permet à la “prière” de l’homme de participer de la communion du Fils et du Père » (J. Ratzinger/Benoît XVI, Jésus de Nazareth, I, Flammarion, Paris 2007, p. 27). En Jésus, la prière « personnelle » n’est pas distincte de sa prière sacerdotale : selon la Lettre aux Hébreux, la prière souffrante de Jésus pendant la Passion « constitue la mise en acte du Sacerdoce suprême de Jésus. C’est précisément en criant, en pleurant et en priant que Jésus accomplit ce qui est le propre du Grand Prêtre : il élève le tourment de l’être des hommes vers Dieu. Il présente l’homme devant Dieu » (ibid., II, Editions du Rocher, 2011, p. 189).
En un mot, la prière de Jésus est une prière de dialogue, une prière qui s’exprime en présence de Dieu. Jésus nous enseigne ce type de prière : « La relation doit être réveillée sans cesse, et les éléments du quotidien doivent être continuellement reliés à elle. Nous prierons d’autant mieux que, dans la profondeur de notre âme, l’orientation vers Dieu sera présente » (ibid., I, pp. 152-153). La liturgie nous enseigne donc à prier parce qu’elle nous réoriente constamment vers Dieu : « Elevons notre cœur – nous le tournons vers le Seigneur ! ». La prière, c’est être tourné vers le Seigneur – et c’est aussi cela, le sens profond de la participation active à la liturgie.
Enfin, la prière est « le lieu privilégié de la catéchèse […], procédant du visible à l’invisible » (CEC, 1074-1075). Cela implique que les textes, les signes, les rites, les gestes et les éléments ornementaux de la liturgie doivent être capables de transmettre vraiment le mystère qu’ils signifient afin qu’ils puissent être utilement expliqués à l’intérieur de la catéchèse mystagogique.
Don Mauro Gagliardi
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