La lumière ne fait pas de bruit. Elle veille, elle opère en silence, c’est son silence qui guérit. Une bougie que l’on oublie la nuit, et qui reste allumée, change la teneur des rêves, éveille à une vigilance somnolente, irradie la pénombre de douceur. Une simple flamme suffit. La lumière rassemble comme une mère tout l’éclat des couleurs
Elle ranime, elle rend à chaque objet sa juste place, parfois, oblique, elle met en valeur l’aspect oublié de l’un, la face cachée de l’autre. C’est paisible de penser à la lumière, à la vraie lumière, douce et bienfaisante, qui va sans flonflons ni bruits de réclames, qui ne clignote pas, ni n’éblouit. C’est la nuit que le mystère de la lumière devient palpable. Je parle d’une qui n’est pas celle des villes. La vasque du ciel se déverse sur le paysage ; elle rend le corps humble, collé à la terre, et un, rassemblé à partir de ses multiples extensions. Différents lieux de fécondité, de relations, sont unis par des traits invisibles et brillent en symphonie. Le corps devient masse pesante et taiseuse, tout occupé de la vertigineuse attraction qui se meut en lui, pour toujours plus d’unité dans des diversités toujours plus intenses. L’enfant aussi se tait. S’il vagit parfois, il ne parle pas. Son message est bien trop vaste. Il est encore uni au mystère qui l’enveloppe, qui ferait éclater comme une coquille d’œuf le corps des adultes, de ceux qui savent, de ceux qui se répandent en parole. L’enfant est emmailloté par prudence, ses langes sont une gangue pour l’amande douce amère de sa présence. De l’infans dans ses langes au ressuscité dans son linceul il n’y a qu’une paille. Le fruit est souvent caché, pour qu’on se mette en quête de lui. Le fruit de lumière affleure sous la peau. Le silence de l’enfant guérit lui aussi. Il rassemble autour de lui un peuple improbable de mages et de bergers, de personnes confiantes et étonnées, qui parle à mi-voix pour ne pas l’éveiller. Quand on se met à l’écoute du silence de l’enfant, quelque chose commence à se taire au plus enfoui de nous, et creuse une place qui ouvre au mystère. La pause est nécessaire : sans mise en veille de la force, de l’intellect, de la richesse, la lumière reste emprisonnée, nul ne se doute de sa présence. Elle est trop douce pour s’imposer. Elle veille.
Le silence et la lumière ne sont pas absents des villes. Dans les tunnels du RER ou du métro, le crissement des freins métalliques ainsi que la stridence de la sirène avant que les portes ne claquent sont dissous par le geste de tendresse d’un vieil homme pour sa compagne au moment de quitter la rame. Le regard que l’on pose sur une rose qu’une voisine a offerte, alors qu’elle déplie ses pétales en lente élégance, dissipe les agressions sonores du voisinage. L’effort est parfois plus intense pour aller vers les puits de silence. Des constellations se dessinent entre les personnes qui portent en elles cette soif de silence et de douce lumière. C’est la lumière qui agit, elle aimante les rencontres, elle visite les creux, les failles, les endroits vulnérables, elle s’y glisse, et attire en luisant doucement. C’est seulement à partir du silence qu’advient une parole unifiante. Le silence avec son apparente immobilité contient tout le langage et ses possibles, de même que toutes les couleurs, si on les anime, en viennent à se fondre dans une même lumière blanche. Le blanc n’a pas dissout la lumière des autres couleurs, le silence est un écrin pour la parole.
Nathalie Rollin-France