France 24, la BBC et aujourd’hui Euronews : en quelques mois, ces télévisions se sont mises à l’arabe avec l’objectif de se faire entendre, via le satellite, par une large population dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais les premiers bilans semblent mitigés.
À ces télévisions s’ajoutent la chaîne américaine al-Hurra (« la libre », lancée en 2004) et la russe Russia al-Yaum (« Russie aujourd’hui », lancée en 2007). La Deutsche Welle émet, elle, trois heures par jour en arabe depuis 2005.
Un porte-parole de la BBC a indiqué que la chaîne était « comblée par la réaction » du public, quatre mois après le lancement de la BBC Arabic Television, sans toutefois disposer de chiffres d’audience. Son budget s’élèvera à 25 millions de livres (33 millions d’euros) dès qu’elle diffusera 24h/24. Le passage de 12 à 24 heures de diffusion, prévu initialement pour cet été, est cependant reporté à l’automne. Aucune explication n’a été fournie pour ce délai. La chaîne, qui avait déjà lancé une version arabe en 1994 mais qui s’était arrêtée au bout de deux ans, ambitionne de s’adresser à une audience de 20 millions de téléspectateurs par semaine d’ici à 2010.
France 24 compte de son côté une vingtaine de journalistes arabophones et émet depuis avril 2007 4 heures par jour. Agnès Levallois, directrice adjointe en charge des contenus en arabe, dit être « satisfaite ». « On commence à avoir de bons retours d’audience dans les pays du Maghreb », assure-t-elle. Dans le Proche et Moyen-Orient, en revanche, « c’est plus difficile » : la chaîne française souffre là-bas de « la concurrence très importante » d’al-Jazira et al-Arabiya.
Les deux grandes chaînes panarabes d’information continuent de dominer l’audience. Dans les territoires palestiniens, la première est regardée par la grande majorité de la population, en raison de son ton militant. Beaucoup ne savent même pas que des chaînes occidentales en arabe existent.
Selon un centre d’étude d’opinion en Jordanie, les premiers résultats de la BBC sont décevants. « Elle n’a pas réussi à susciter de l’intérêt », selon ce centre, qui ajoute qu’al-Hurra a presque disparu des écrans, souffrant de ses liens avec l’administration américaine.
Pour la sociologue d’origine algérienne Leila Babès, « globalement dans le monde arabo-musulman, il y a de la méfiance à l’égard des médias occidentaux, surtout lorsqu’ils font passer des messages des grandes puissances ».
Le philosophe Malek Chebel, également d’origine algérienne, se montre assez pessimiste quant à l’avenir de ces chaînes. « Elles vont se concurrencer entre elles », estime-t-il. « Elles ne vont pas conquérir les téléspectateurs arabes : ceux qui écoutent religieusement al-Jazira ou al-Manar (la télévision du Hezbollah) ne vont pas changer », affirme-t-il. « Dans le meilleur des cas, les téléspectateurs arabes vont les utiliser pour compléter les informations », ajoute Malek Chebel.
Pour le politologue libanais Joseph Bahout, « le consommateur de télévision se promène un peu sur toutes les chaînes. À un moment, il écoutera ces chaînes-là ». « Mais est-ce qu’elles le fidéliseront ? » interroge-t-il. Mais selon ce politologue, le plus important « n’est pas l’audience ». « La bataille se situe au niveau politique et non au niveau des parts de marché. Comme on a une ambassade dans le monde arabe, il faut avoir une télévision; ça fait partie de l’arsenal diplomatique. Il faut exister politiquement », estime-t-il.
L'Orient Le Jour 12.07.2008