Dans une discussion à bâtons rompus avec L’Orient-Le Jour, Dov Jacobs, professeur de droit pénal international à l’Université Leiden à La Haye, a mis d’abord l’accent sur « la nature des normes internationales, inadaptée à l’urgence, à l’injustice immédiate ». « Le problème est très complexe », a-t-il ajouté. Parmi les différentes voies ouvertes à une action efficace (si l’on s’accorde toutefois, avec Mgr Aram 1er, sur la qualité du catholicossat à l’intenter, « étant lui-même une victime du génocide »), celle des juridictions internationales, à savoir la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI). Une éventuelle action devant la seconde ne peut être conduite que par le procureur général près la CPI, alors qu’un recours devant la CIJ, en tant qu’autorité judiciaire internationale, doit être soutenu par la République d’Arménie, sur base de la responsabilité de l’État turc. Pour M. Jacobs, le moyen d’action le plus utile pour le catholicossat serait devant les tribunaux turcs eux-mêmes. Dans le cas où ceux-ci ne lui donneraient pas gain de cause, le catholicossat aura épuisé les voies de recours internes et obtenu un jugement qui l’habilite à se pourvoir devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui répond des violations par un État membre du Conseil de l’Europe de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Deux courants doctrinaux
D’autres moyens seraient opportuns pour une mobilisation de l’opinion publique internationale, comme le fait de s’en remettre à l’Assemblée générale de l’ONU pour obtenir, par vote, une reconnaissance du génocide. Pareil vote aurait une autorité morale, qui apporterait un élan à la lutte des Arméniens. Une autre action symbolique consisterait à recourir aux commissions internationales pour avis consultatif dans l’affaire de la restitution des biens de l’Église. Dans cette optique, certains juristes, représentant une mouvance fort progressiste dans la théorie du droit international public, invoquent les opinions dissidentes des juges internationaux comme source légale. Ces opinions pourraient être prises en compte pour contrebalancer la non-rétroactivité de la Convention sur le génocide (adoptée en 1948), consacrée par le tribunal de Nuremberg. Ce courant progressiste dénonce en outre « la loi injuste » et fonde beaucoup d’attentes sur les organisations internationales et les ONG pour pallier les failles de la loi. Plus réaliste, M. Jacobs, en réponse à une question, qualifie cette approche de « malhonnête, puisque cette loi, jugée injuste, peut se révéler dans d’autres cas juste ».
De l’oubli
L’approche efficace doit donc s’appuyer sur les normes existantes, fruit d’une progression non négligeable de la justice internationale, et épouser le pragmatisme politique qui se greffe immanquablement sur tous les dossiers. Finalement, « entre la restitution et l’indemnisation », c’est l’oubli que Gabriele Della Morte, enseignant de droit international public à l’Université catholique de Milan, a tenté de cerner. La force de l’oubli pouvant stimuler le pardon, la nouvelle question, liée à la conscience collective, est celle de savoir de quoi le peuple arménien a-t-il besoin pour oublier. « La révélation de la vérité est-elle le prix de l’oubli ? » s’est-il demandé, initiant une approche nouvelle d’un problème aux multiples facettes, où la psychologie de tout un peuple semble constamment reléguée.
(Voir nos articles des vendredi 24 et lundi 27 février).