Nous publions ci-dessous le commentaire de l'Evangile du dimanche 9 novembre proposé par le père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale.
Evangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 2, 13-22)
Comme la Pâque des Juifs approchait, Jésus monta à Jérusalem.
Il trouva installés dans le Temple les marchands de boeufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple ainsi que leurs brebis et leurs boeufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d'ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »
Ses disciples se rappelèrent cette parole de l'Écriture : L'amour de ta maison fera mon tourment.
Les Juifs l'interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple, et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais le Temple dont il parlait, c'était son corps.
Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l'Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Copyright AELF – 1980 – 2006 – Tous droits réservés Voici la demeure de Dieu ! Cette année, à la place du XXXIIe dimanche du temps ordinaire, on célèbre la fête de la dédicace de l'église-mère de Rome, la basilique du Latran, à l'origine dédiée au Sauveur puis à saint Jean Baptiste. Que représente pour la liturgie et pour la spiritualité chrétienne la dédicace d'une église et l'existence même de l'église comme lieu de culte ? Il faut partir de l'Evangile de Jean 4, 21 qui dit : « L'heure vient – et c'est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père ». Jésus enseigne que le temple de Dieu est tout d'abord le cœur de l'homme qui a accueilli sa parole. En parlant de lui et du Père, il dit : « Nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui » (Jn 14, 23) et Paul écrit ceci aux chrétiens : « n'oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu » (1 Co 3, 16). Le croyant est donc le nouveau temple de Dieu. Mais le lieu où deux ou trois sont réunis en son nom (cf. Mt 18, 20) est aussi le lieu de la présence de Dieu et du Christ. Le Concile Vatican II arrive jusqu'à appeler la famille chrétienne une « église domestique » (LG, 11), c'est-à-dire un petit temple de Dieu justement parce que grâce au sacrement du mariage, celle-ci est par excellence le lieu dans lequel « deux ou trois » sont réunis en son nom. Pourquoi les chrétiens donnent-ils alors tant d'importance à l'église, si chacun de nous peut adorer le Père en esprit et en vérité dans son cœur ou chez lui ? Pourquoi cette obligation d'aller à l'église tous les dimanches ? La réponse est que Jésus Christ ne nous sauve pas séparément les uns des autres ; il est venu pour se constituer un peuple, une communauté de personnes, en communion avec lui et entre elles. L'église est pour la famille de Dieu ce que la maison d'habitation est pour une famille. Il n'y a pas de famille sans maison. Je me souviens d'un film du néoréalisme italien intitulé « Il tetto » (Le toit) écrit par Cesare Zavattini et mis en scène par Vittorio De Sica. Deux jeunes, pauvres et amoureux, se marient, mais ils n'ont pas de maison. Ils échafaudent un système pour en construire une à la périphérie de Rome de l'après-guerre, en luttant contre le temps et contre la loi (si la construction n'est pas arrivée au toit avant la tombée de la nuit, elle sera démolie). A la fin, lorsque le toit est mis, ils s'embrassent, heureux, sûrs d'avoir une maison et une intimité : ils sont une famille. J'ai vu cette histoire se reproduire dans de nombreux quartiers de grandes et de petites villes et dans des villages qui n'avaient pas d'église et qui ont dû en construire une eux-mêmes. Chacune des histoires de solidarité, d'enthousiasme et de joie de travailler avec le prêtre pour donner à la communauté un lieu de culte et de rencontre mériterait un film comme celui de De Sica… Il faut cependant souligner un phénomène douloureux : l'abandon en masse de la fréquentation de l'église et donc de la messe du dimanche. Les statistiques sur la pratique religieuse sont désastreuses. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui ne vont pas à l'église ont perdu la foi, mais que la religion « sur mesure » a remplacé la religion instituée par le Christ. Aux Etats-Unis on l'appelle la religion « pick and choose » (prends et choisis), comme au supermarché. Métaphore à part, chacun se fait sa propre idée de Dieu, de la prière, et a la conscience tranquille. On oublie ainsi que Dieu s'est révélé à travers le Christ, que le Christ a prêché un évangile, a fondé une ekklesia, c'est-à-dire une assemblée d'appelés, qu'il a institué des sacrements, comme signes et canaux de sa présence et du salut. Celui qui ignore tout cela pour cultiver sa propre image de Dieu s'expose au subjectivisme le plus total. Il ne se confronte plus qu'à lui-même. Dans ce cas, il se passe effectivement ce que disait le philosophe Feuerbach : Dieu se réduit à la projection des nécessités et des désirs de chacun ; ce n'est plus Dieu qui crée l'homme à son image, mais l'homme qui se crée un dieu à son image. Mais c'est un Dieu qui ne sauve pas ! Il est vrai qu'une religiosité faite uniquement de pratiques extérieures ne sert à rien ; Jésus combat ce type de religiosité tout au long de l'évangile. Mais il n'y a pas d'opposition entre la religion des signes et des sacrements et la religion profonde, personnelle ; entre le rite et l'esprit. Les grands génies religieux (nous pensons à Augustin, Pascal, Kierkegaard, notre Manzoni) étaient des hommes d'une intériorité profonde et très personnelle et en même temps ils étaient intégrés dans une communauté, fréquentaient leur église. Ils étaient « pratiquants ». Dans les Confessions (VIII, 2) saint Augustin raconte comment le grand rhéteur et philosophe romain Marius Victorinus se convertit du paganisme. Désormais convaincu de la vérité du christianisme, il dit au prêtre Simplicien : « Sache que désormais, moi je suis chrétien ». Simplicien lui répondit : « Je ne te croirai pas tant que je ne te verrai pas dans la maison du Christ ». « Ce sont donc les murs qui font de nous des chrétiens ? » rétorqua-t-il. La discussion se poursuivit quelque temps mais un jour Victorinus lut la parole suivante du Christ, dans l'Evangile : « Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération… le Fils de l'homme aussi rougira de lui ». Il comprit que c'était son amour propre, la peur de ce qu'auraient dit ses collègues savants, qui le retenaient d'aller à l'église. Il alla voir Simplicien et lui dit : « Allons à l'église, je veux devenir chrétien ». Je crois que cette histoire a aussi quelque chose à dire à plus d'une personne de culture.
ROME, Vendredi 7 novembre 2008 (ZENIT.org)