Toutefois, avant l’apologétique, doivent arriver les excuses ; je n’ai pas titre à les présenter, sinon pour le compte de ma tradition religieuse.
Demande de pardon
C’est pourquoi permettez-moi de commencer, avant et par dessus tout, par une demande de pardon à notre Créateur, pour toutes les fois où ma communauté n’a pas accordé aux femmes cette plénitude de l’image divine à la ressemblance de laquelle celles-ci ont été créées.
Nous avons péché contre les femmes, et en agissant ainsi nous avons péché contre Dieu. Et, vu que la violence contre les femmes se poursuit encore à des niveaux élevés, nous perpétuons les péchés de nos pères, les transmettant d’une génération à l’autre.
Mais maintenant je voudrais passer à l’apologétique, non seulement pour remettre dans son contexte cette triste histoire, mais pour faire aussi ressortir les valeurs que notre propre tradition incarne – et qui devraient nous guider et nous inspirer – concernant la dignité des femmes.
La plupart des religions, et sûrement les religions abrahamiques, ont leur origine à l’intérieur de systèmes patriarcaux dans lesquels les femmes étaient au maximum des biens qui appartenaient aux hommes.
Bien que le récit biblique présente des textes « problématiques » concernant le statut des femmes, celui-ci représente un pas en avant très important vers la restitution aux femmes de leur dignité, don de Dieu.
Les matriarches et les prophétesses
Et on l’observe dans le rôle significatif des matriarches et des prophétesses; mais encore plus dans la législation qui garantissait aux femmes, probablement pour la première fois, leurs droits.
En particulier, l’enseignement biblique selon lequel chaque personne est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, a une grande signification.
Le grand sage de la Michna, Ben Azzai – il y a deux mille ans – mettait l’accent là-dessus, comme étant le principe le plus important de toute la Bible.
Pour faire cela, plus qu’aux premières et anciennes références à la création de la personne humaine dans l’histoire de la genèse il se rapportait aux premiers versets du cinquième chapitre de la Genèse:
« Ceci est le livre de la descendance d’Adam. Le jour où Dieu créa l’homme, il le fit à la ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa, il les bénit et les appela du nom d’Adam au jour de leur création. »
Ces versets soulignent le fait qu’ « Adam » est à la fois un nom d’homme et de femme. Ceci est conforme à la lecture midrashique, qui ne traduit pas le mot juif « zela » par le « côte », mais le traduit par « tout le côté » (comme c’est le cas aussi pour la construction du sanctuaire dans l’Exode (chapitre 26), lorsque, bibliquement, le mot « zela » est utilisé pour signifier tout un côté du Sanctuaire).
Ben Azzai poursuit : « Afin que tu ne dises pas : puisque j’ai été méprisé, que mon frère à son tour soit méprisé ; puisque j’ai été maudit, que mon frère aussi soit maudit »;
Et le sage Rabbi Tanhumah ajoute: « Si tu fais comme ça, tu connaîtras celui que tu méprises, car il (Adam) fut créé à l’image de Dieu »
La dignité de tout être humain
Par conséquent toute offense à la dignité de n’importe quel être humain, homme ou femme qu’il soit, est une forme concrète de blasphème envers Dieu.
Ben Azzai prononça ces paroles dans le cadre d’un débat avec son contemporain Rabbi Akiva, qui analyse le verset 18 du chapitre 19 du Lévitique – « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » – comme étant le plus grand et fondamental commandement de la Torah.
Nous pourrions dire que Ben Azzai se préoccupait d’une éventuelle interprétation restrictive du mot « prochain ». Comme nous l’avons vu, il craignait que les expériences subjectives n’aboutissent à un critère de jugement moral.
Le principe de l’image divine de la personne humaine transcende tout.
Bien qu’il ne fasse directement référence au concept durant sa conversation, Rabbi Akiva, le sage de la Michna, plus que quiconque, souligne constamment ce principe fondamental de l’image et de la ressemblance divine : celui du caractère inaliénable de la dignité humaine, qui en est la conclusion finale.
La Michna (Baba Kama 8:6) raconte l’histoire d’un homme qui se moqua d’une femme de mœurs légères en découvrant ses cheveux en public (en Israël, autrefois, les femmes vertueuses avaient les cheveux tressés, et se présenter en public les cheveux défaits était un déshonneur). Cette femme porta plainte auprès de Rabbi Akiva, qui fit payer à l’homme une amende de 400 zuz (une très grosse somme pour l’époque) pour l’humiliation qu’il lui avait infligée. L’homme, après avoir demandé de pouvoir étaler le paiement de son amende – qu’Akiva accepta – prépara un piège pour la femme. Au moment où elle sortit de la cour, et se dirigeait vers la rue publique, il rompit une ampoule d’huile précieuse sur son chemin. (C’était de l’huile pour les onctions qui, à notre époque, serait comme une lotion de haute qualité pour le corps ou un baume. Cette femme était clairement horripilée de voir tout ce gâchis). Elle dénoua ses cheveux et récupéra l’huile pour s’en mettre sur toute la tête.
L’homme s’était procuré des témoins et les emmena devant Rabbi Akiva. « Rabbi », dit-il, « c’est à ce genre de personne que je dois payer 400 zuz » ?
Akiva répliqua: « (…) Quand une personne se fait du mal à elle-même, elle n’est pas sujette à punition, même si elle n’avait pas le droit d’accomplir ce geste. (Toutefois) quand les autres lui font du mal, ils sont punissables. C’est comme lorsqu’une personne abat ses propres arbres (fruitiers), celle-ci n’est pas punissable, bien qu’elle n’ait pas le droit d’accomplir ce geste. Mais quand ce sont les autres qui abattent les arbres de sa propriété, eux méritent une punition »
Imitatio Dei
La dignité est une valeur sacro-sainte, indépendamment de comment on traite une personne, mais aussi indépendamment de comment on se traite soi-même.
Ainsi la violence, faite à quiconque, à l’exception de l’autodéfense, est interdite; nos sages enseignent que celui qui lève la main pour frapper quelqu’un doit être considéré comme une mauvaise personne (Talmud babylonien, Sanhédrin 58b).
Par ailleurs, la Torah nous enseigne que Dieu a un amour préférentiel pour les personnes vulnérables ; et que le commandement à l’Imitatio Dei, c’est à dire à l’imitation des qualités divines, suppose un comportement analogue.
Pour le dire avec les mots du sage Abba Saül (Mechilta, Cantique des Cantiques, 3): « comme lui qui éprouve miséricorde et compassion, tu devras éprouver miséricorde et compassion ».
En plus, les sages du Midrash commentent le psaume 68 au verset 2 – « Que Dieu se lève et ses ennemis se dispersent, ses adversaires fuient devant sa face », de la manière suivante:
« C’est une des cinq fois où (dans le livre des Psaumes) David demande à Dieu de se lever. Mais Dieu ne lui répond pas. Alors quand se lèvera-t-il ? Le Psaume 12 au verset 6 dit ceci : « pour le pauvre qui gémit, le malheureux que l'on dépouille, maintenant je me lève, dit le Seigneur. »
Le défi de la traite des femmes
Nos sages nous disent donc que même celui qui a été élu par Dieu ne peut prétendre que Dieu réponde automatiquement à son appel.
Ceci nous renvoie au commentaire qu’Abraham Lincoln a fait quand on lui a demandé si Dieu était du côté des Etats du Nord dans la guerre civile américaine. Il a dit : « ce qui importe c’est que nous soyons nous du côté de Dieu ! ».
Le midrash nous dit que nous sommes « du côté de Dieu », quand nous nous élevons, nous le faisons pour le bien des nécessiteux, des marginaux et des vulnérables.
La violence faite aux femmes et tout particulièrement la terrible traite esclavagiste et le trafic des femmes, est une oeuvre outrageuse sur toute l’humanité.
C’est une humiliation pour nos religions, qui enseignent le principe de la dignité humaine comme don de Dieu; cela est un défi pour nous tous, pour que nous fassions davantage et mieux pour protéger et promouvoir le bien être et le statut des femmes dans nos sociétés, et en particulier dans nos communautés religieuses.
Peace Meeting Roma 2013, 30 septembre 2012 (Sant'Egidio.org)
Traduction d'Océane Le Gall
(Les intertitres sont de la rédaction)
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